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Itinéraire d’un Français Libre

Jacques-Henri Schloesing
Patrick Collet


Regards croisés

Ce livre avait connu une première édition en 2010, chez « L’Esprit du Livre ». Il a fait l’objet en 2013 d’une nouvelle édition chez « Heimdal ». Coup de cœur, ce livre important est ici commenté par deux chroniqueurs :
Lire l’article de Jocelyn Leclercq (2013)
Lire l’article de Corinne Micelli (2010)

 Coup de cœur 2010 


Dans le format A4 habituel chez Heimdal, une solide couverture cartonnée protège une biographie de 159 pages. Il s’agit là de la réédition de l’ouvrage initialement paru en 2010, et qui avait à l’époque reçu un coup de cœur de l’Aérobibliothèque.

L’ouvrage se lit très bien, dans un style simple et clair, parfois un peu lyrique. Dans cet exercice, il est toujours tentant de verser dans l’hagiographie, mais j’ai personnellement trouvé que ce n’était pas le cas ici. Grâce en soit rendue à l’auteur.

Le découpage bien choisi, en 22 chapitres plus des annexes, en rend la lecture facile, presque rapide. L’iconographie, constituée de photographies, certaines forcément très connues, d’autres plus personnelles et rares, d’extraits des carnets de l’aviateur, de documents originaux, enrichissent le texte. On regrettera par endroits la mise en page qui caviarde les documents, par une superposition malvenue, ou des côtés rognés par les bords de page ou la reliure. C’est semble-t-il une tendance chez cet éditeur.

Parmi les rares points négatifs, les lecteurs les plus connaisseurs sur l’histoire de la Royal Air Force, son organisation et ses méthodes, verront que l’auteur ne maîtrise pas toujours finement certains sujets abordés. Par exemple à deux reprises il fait du No. 611 Squadron une unité néo-zélandaise, alors qu’elle faisait partie de l’Auxiliary Air Force. C’est le No. 485 Squadron (qui a relevé le 611 à Biggin Hill en 1943) qui était l’unité néo-zélandaise. Il y a cette mauvaise habitude de mettre un quantième aux numéros d’unités de la RAF. C’est encore plus irritant quand la reproduction d’un document original montre clairement l’absence de « th » dans la désignation. De même, il évoque les chutes de bombes volantes V1 sur Londres en 1943, alors que leur offensive n’a débuté qu’en juin 1944…

L’annexe I concerne la chute du Spitfire de Jacques-Henri Schloesing à Beauvoir-en-Lyons. Ce n’est cependant pas Madame Germaine L’Herbier-Montagnon qui a fouillé le point de chute, mais un dénommé Henri Soutif, lequel a scrupuleusement détaillé par correspondance ses trouvailles à la chef du service des disparus. Ce ne sont pas les lettres « PL » indiquant l’appartenance de l’appareil au groupe « Alsace » (dont le code était « NL »), qui ont permis l’identification du Spitfire, donc du pilote, mais le début du numéro de série PL399, peints en lettres noires de 20 cm de haut sur 10 de large. Cet indice, avec la croix de Lorraine, la date et l’heure, étaient suffisants pour confirmer qu’il s’agissait bien là de l’avion de Jacques-Henri Schloesing.

Globalement, la consultation de sources britanniques sur le sujet (rapports de combats, Operations Record Book divers, rapport d’évasion) aurait pu apporter quelques détails ou recoupements supplémentaires. On ne trouve aucune bibliographie ou liste des sources consultées, hormis les remerciements d’usage. Les carnets de vol, ou du moins certains d’entre eux, ont survécu, et j’aurais apprécié en annexe une compilation des vols opérationnels de ce pilote.

Patrick Collet a réussi là une belle relation de la vie d’un homme hors du commun, grâce au prêt des archives de la famille Schloesing. Un livre fort bien écrit, qui se lit très agréablement, qui mérite largement sa place dans toute bonne bibliothèque aéronautique, et constitue, à n’en pas douter, une belle idée de cadeau.

Jocelyn Leclercq, 2013


Jacques-Henri Schloesing, héros de la France Libre, a sans doute plus de raisons que d’autres de combattre depuis l’Angleterre après la débâcle de mai 1940. Dans ses veines coule le sang de ses aïeux alsaciens, déclarés « optants » après l’annexion de leur région par le Traité de Francfort en 1871. Et comme bon sang ne saurait mentir, il a hérité d’eux le pouvoir de dire non à l’envahisseur.

Il a devancé l’appel le 15 septembre 1939 et son choix s’oriente vers l’armée de l’Air. Après l’invasion éclair de l’Allemagne, l’école de l’Air s’est repliée à Toulouse-Francazal. Á vingt ans, Schloesing a juste un brevet d’observateur en poche. Dès le 17 juin, refusant l’« étrange défaite », il projette de fuir. Deux jours plus tard, alors qu’il n’a pas entendu l’appel du général de Gaulle, il fait preuve d’une étonnante clairvoyance. Il écrit à sa mère pour lui signifier son départ « ne serait-ce que pour la bonne raison qu’ils sont en guerre contre l’Angleterre, les Allemands vont utiliser chaque Français comme potentiel de travail, manuel ou autre, avec une place assignée, peut-être au cœur de l’Allemagne[…] Si je peux reprendre la lutte ailleurs, là où elle sera en Angleterre ou en Afrique… ».

Déserter : s’il sait quoi faire, il ne sait pas comment, car les avions sont sous bonne garde, voire volontairement mis en panne pour éviter toute tentative d’évasion. Le 21 juin, un Caudron Goéland effectuant une mission de liaison atterrit sur la piste de Francazal. Ce bimoteur capable d’emporter à son bord six personnes représente son unique salut. Il parvient à convaincre très facilement le pilote et quatre autres aviateurs de mettre le cap sur l’Angleterre où ils posent le pied le 22 juin en fin d’après-midi. Après avoir subi les interrogatoires de la Home Guard, les compères sont dirigés vers le camp de Saint-Athan, première station d’un long purgatoire. Ballotté d’école en école pour recevoir l’instruction nécessaire à l’apprentissage du combat aérien, Jacques-Henri Schloesing ronge son frein aux côtés des autres « condamnés à mort par Vichy ». Déclaré enfin apte en septembre 1941, il est affecté au N°17 Squadron, à Tain, en Écosse. Encore une déception intense pour ce fils de France impatient de se colleter avec l’ennemi, d’autant que les missions consistent en des vols d’escorte, qualifiés de « missions ingrates », par le commandant Mouchotte, lequel a également rejoint les rangs de la France Libre.

Le général de Gaulle est parvenu à mettre sur pied des unités composées uniquement d’éléments français. Schloesing, dont les qualités de pilotes ont été appréciées, est désigné pour intégrer le N° 340 Squadron, autrement dit l’« Île-de-France ». Le groupe, composé des Flights A et B, reçoit son baptême du feu le 10 avril 1942, remportant ses premières victoires tout en enregistrant ses premières pertes. Il stationne sur le terrain emblématique de Biggin-Hill, qui a la réputation de n’accueillir que les meilleures unités anglaises. Le 1er décembre 1942, « le grand Chleu » comme le surnomme affectueusement son mécanicien, prend la tête de l’« Île-de-France ». L’unité accumule les succès au cours des missions de chasse et des escortes de bombardiers américains B-17 Flying Fortress et B-24 Liberator.
Abattu le 13 février 1943 lors d’une mission d’escorte d’un Boston chargé de bombarder un navire allemand dans le port de Rouen, le Squadron Leader Schloesing parvient à se parachuter au-dessus de la Normandie. Atrocement brûlé au visage et aux mains, à demi aveugle, il parcourt de nuit plus d’une vingtaine de kilomètres avant d’être recueilli, à bout de forces, par de braves villageois qui le confient aux bons soins d’une infirmière, membre du réseau franco-belge de résistance Comète. Une fois ses blessures cicatrisées, il n’a qu’une idée en tête : reprendre le combat outre-Manche. Bravant les contrôles policiers français et allemands, il traverse la France et l’Espagne pour rejoindre Gibraltar, terre britannique, d’où il pourra embarquer en toute sécurité. Dès son arrivée en Grande-Bretagne, il est soigné par le docteur McIndoe, spécialiste des grands brûlés. Pas moins de huit opérations des paupières, échelonnées sur une année, seront nécessaires avant que Schloesing ne soit déclaré apte à reprendre les vols d’entraînement pour quatre mois. C’est sans compter sur la volonté inébranlable du pilote qui effectue en deux mois 50 heures de vol sur Spitfire. La commission médicale rend son ultime verdict : apte opérationnel.

Le 19 août 1944, l’« Île-de-France » et l’« Alsace » se posent sur le terrain de Sommervieu, en Normandie libérée par les Alliés après leur débarquement du 6 juin. Le 25, Schloesing est nommé à la tête du second. Le lendemain, son Spitfire est descendu en flammes et explose dans la ferme des Hauts Monts, à Beauvoir-en-Lyons. Á Paris, à la même heure, sous l’Arc de Triomphe, le général de Gaulle s’apprête à descendre les Champs-Elysées, en compagnie des autorités de la Libération. La mort, que Schloesing avait déjà vue de profil, est venue le faucher dans le dos à l’heure où la République reprenait le pas sur l’État français.

Jacques-Henri Schloesing est mort à 24 ans, laissant tout un pan de vie inachevé. Il est parti avant d’avoir tout dit, avant d’avoir aimé. Farouche combattant de la liberté, il a écrit de son sang une page de l’histoire d’une France écartelée ; c’était justice d’écrire sa propre histoire. C’est que qu’a fait Patrick Collet avec cet Itinéraire d’un Français libre qui se lit d’un seul trait, rédigé d’une écriture fluide et limpide, ainsi qu’indiqué par Pierre Schoendoerffer dans sa préface : « Une plume d’une grande probité. Ni sécheresse, ni lyrisme intempestif, ni bavardage… Un récit d’une grande coulée, qui reste clair et captive le lecteur ». Une préface admirable qui annonce la qualité de la biographie et le talent de son auteur, et qui tranche singulièrement avec l’avant-propos du chef d’état-major de l’armée de l’Air, dicté selon les traditionnels « éléments de langage », prescrits dans ce genre d’exercice.

Cette biographie, qui fait revivre également des aviateurs des Forces Françaises Aériennes Libres partageant le quotidien du « grand Chleu », mérite largement sa place dans les « coups de cœur » de l’Aérobibliothèque à laquelle j’ajouterais bien volontiers un rayon spécial « coups au cœur ». En effet, en parcourant les différents chapitres, le lecteur vit, vibre et souffre au rythme de la tragique épopée du pilote. Jacques-Henri Schloesing ignorait la veulerie, la vanité et l’orgueil. C’est à ces signes que l’on reconnaît la valeur du héros, selon le sens originel du terme.

Corinne Micelli, 2010


Préface de Pierre Schoendoerffer

Avant-propos du général Jean-Paul Paloméros, chef d’état-major de l’armée de l’Air
160 pages A4, relié
0,891 kg

Coup de cœur 2010 des aérobibliothécaires

En bref

Heimdal
ISBN 9782840483526

Coup de cœur 2010 – 2013

39 €