Regards croisés : deux regards différents pour un même ouvrage.
– Le commentaire de Philippe Bauduin
– Le commentaire de Corinne Micelli
– Le droit de réponse de Marie-Anne Lecouté-Loewe
Ayant à sa disposition un ensemble d’archives tout à fait exceptionnel : journal de marche personnel tenu par Jean Lecouté, log book, lettres à celle qui allait devenir son épouse, photos et documents recueillis ici ou là, Marie-Anne Lecouté-Loewe nous présente en fait trois livres imbriqués dans un seul, le tout emprunt de la déférence qu’elle porte à son père.
Le premier décrit le parcours d’un jeune homme, mobilisé en novembre 1939, qui rejoint la France Libre en Angleterre en juin 1940. Le second est l’évocation très attachante de la vie de tous les jours, durant la même période, dans le canton rural et maritime des Pieux, dans le nord Cotentin, que le recenseur affectionne particulièrement. Le troisième, enfin, évoque la relation qui se noue entre deux jeunes gens depuis une première démarche de type : “marraine de guerre” jusqu’au mariage par procuration compte tenu des circonstances.
Je me contenterai d’évoquer la vie du pilote FAFL, l’un des très rares Free French en service au sein du Coastal Command. Admissible à l’École de l’Air en juillet 1939, le jeune Jean Lecouté est mobilisé dans l’artillerie en novembre. Après avoir fait état de son admissibilité, il est muté dans l’Armée de l’Air et se retrouve à Caen-Carpiquet avant de rejoindre l’École Élémentaire de Pilotage n°23 du Mans. Là, sous le commandement du lieutenant Édouard Pinot, futur Compagnon de la Libération, il apprend à piloter sur un Caudron Luciole à bord duquel il est lâché le 23 mars 1940. Pour échapper à l’avance de l’ennemi, l’école se replie d’abord à Laval puis à Morlaix et enfin, en pleine déroute, se retrouve à Douarnenez. Jean Lecouté embarque alors avec ses camarades sur le Trébouliste, dans la nuit du 18 au 19 juin 1940.
Après l’arrivée à Trentham Park, l’école est transférée à St. Athan. Jean Lecouté se retrouve à l’Olympia de Londres le 14 juillet pour défiler devant le général de Gaulle avec une cinquantaine de ses camarades aviateurs. Le 3 novembre 1940, il est à Odiham et suit l’écolage classique de la RAF : ITW, EFTS, SFTS. Il est breveté multimoteurs le 16 juillet 1941 et nommé sous-lieutenant. Le 30 janvier 1942, le Pilot Officer Lecouté embarque sur le Batory pour retrouver le Groupe Bretagne à Fort Lamy. Là il apprend que l’effectif est au complet et demande à retourner en Grande-Bretagne. Il est alors affecté au groupe de bombardement Lorraine qui va être reconstitué en Angleterre. Après être passé par Mezzé, Rayak et Suez, il embarque sur l’Orduna et débarque à Gourok, près de Glasgow le 31 décembre 1942. Il doit refaire un refreshment et se retrouve en AFU. Affecté de nouveau au Lorraine, il part le 19 mai 1943 à Londres pour demander son affectation au Coastal Command. En août il rejoint le 612 Squadron, sur bimoteur Wellington, puis est muté au 228 où il volera pour la première fois sur Sunderland en qualité de second pilote le 12 novembre 1943. Suivront de nombreuses missions de guerre de 13 à 15 heures avec un équipage de onze hommes sur cette imposante machine. En juillet 1944, en pleine Campagne de Normandie, il peut rendre visite à sa famille aux Pieux, dans la Manche. Au même moment, alors qu’il est stationné en Angleterre et sa future épouse domiciliée au Maroc, et ce malgré de nombreuses tentatives et demandes pour se rejoindre, ils sont mariés par procuration le 18 du même mois. Après un nouvel entraînement sur Wellington, le lieutenant Lecouté est mis au repos le 1er novembre 1944. Son log book fait alors mention de 820 heures de vol.
Le 28 novembre 1944, les deux époux se rencontrent pour la première fois à Port-Bail, dans le Cotentin, un peu plus de quatre mois après leur mariage par procuration.
Préfacé par le général Lucien Robineau, ancien directeur du service historique de l’armée de l’air et membre de l’Académie de l’air et de l’espace, le livre est enrichi d’une très pertinente présentation de l’histoire des FAFL rédigée par Yves Morieult et par 489 notes, la plupart rédigées par le même Yves Morieult, l’ensemble constituant une fresque originale sur l’épopée des Forces Aériennes Françaises Libres, vécue par un des premiers pilotes français formés dans la RAF.
Le livre de 442 pages, abondamment illustré, notamment de photos originales, réalisé par les Éditions TMA, est de grande qualité.
Philippe Bauduin
Bâtissant son ouvrage sur diverses correspondances, comptes-rendus de mission et récits biographiques, Marie-Anne Lecouté-Loewe propose un livre sur son père, aviateur passé en Angleterre, suivant les ordres du lieutenant Pinot, commandant l’École Élémentaire de Pilotage n° 23 du Mans. C’est à bord d’un thonier en partance de Douarnenez que la formation tente de rejoindre Londres, en compagnie d’une centaine de personnes. Le carnet de vol de Jean Lecouté totalise alors 36 heures et quinze minutes de vol. Autant dire : rien. Ce n’est qu’une fois le pied posé sur le sol britannique que l’aviateur apprendra l’appel du 18 juin.
Les deux premiers chapitres posent les personnages. Dans le premier, Jean Lecouté se trouve en septembre 1940, au camp de Saint-Athan, près de Cardiff où se retrouvent la plupart des candidats à l’exil, trop peu expérimentés pour intégrer un squadron de la RAF. La Bataille d’Angleterre n’a pas encore débuté. Aussi, pour tromper l’attente, devenue l’ennemie numéro 1 à combattre, le pilote rédige ses souvenirs. Dans le deuxième, Marguerite Duchemin alias Rirette, retrace dans un carnet l’exode vers le Maroc où est posté son frère aîné Émile, militaire de carrière. Jean Lecouté et Marguerite Duchemin se connaissent depuis l’enfance. La jeune fille ayant obtenu l’adresse du pilote exilé en octobre 1941, c’est elle qui lui adresse la première lettre en anglais, telle une marraine de guerre.
Outre-manche, Jean Lecouté doit revenir à la case départ. Comme de nombreux pilotes passés en Angleterre, il intègre d’abord une école de formation afin d’y apprendre le maniement des appareils et adopter la langue anglaise, universelle pour piloter un avion. Il obtient son brevet de pilote des FAFL en juillet 1941. Son Pilot’s flying log book affiche 96 heures de vol. Il est envoyé au Bretagne en plein cœur de l’Afrique à Fort-Lamy. Après trois mois, il est affecté à l’escadron d’entraînement de la base aérienne n° 1. Il demande au général Valin de retourner en Grande-Bretagne. Nouvelle déception : il apprend son affectation au groupe mixte d’instruction à Damas pour une durée de trois mois et demi. Enfin, il rejoint le Lorraine qui doit rentrer en Grande-Bretagne pour y être reconstitué en 1943.
En fait, cet écrit épistolaire l’emporte rapidement sur les récits biographiques : au fil des courriers échangés par les deux protagonistes, on assiste aux préliminaires d’une histoire d’amour platonique entre deux personnes que la guerre sépare. Une histoire d’amour qui ressemble fort à celles que l’on rencontre dans les parloirs des prisons et qui finissent par un mariage à la Libération.
L’attention s’épuise par le manque d’intérêt présenté par le contenu des lettres dans ce pavé de 442 pages. En effet, on s’ennuie vite à connaître l’état de santé des proches ou la météo du jour. J’avoue avoir tourné la page avant d’en avoir terminé la lecture tant le contenu me paraissait insipide ou fastidieux. Les biographies insérées en fin d’ouvrage n’offrent aucun intérêt historique et semblent avoir été regroupées là pour faire du remplissage. En publiant ce roman (1), l’auteur s’est fait plaisir tout en répondant aux attentes de divers historiens en quête d’informations pour leurs propres ouvrages. D’ailleurs, le commentaire d’Yves Morieult sur les Forces Aériennes Françaises Libres, juste après la préface, résume, à lui seul, l’aventure extraordinaire de ces hommes qui ont choisi de continuer le combat hors de France.
Pour conclure sur une note positive, notons un ouvrage abondamment illustré par des extraits de carnets de vol ou des photos de qualité grâce au choix du papier couché pour l’édition.
Corinne Micelli
1 – Dans sa préface, le général Robineau écrit : « Ainsi sont réunis les ingrédients d’un roman captivant… »
Droit de réponse de Marie-Anne Lecouté-Loewe
J’ai lu la recension de Corinne Micelli sur mon livre, Jean Lecouté, pilote FAFL dans la RAF… recension qui m’a choquée. Le livre est un “pavé”, y lit-on, son contenu est “insipide ou fastidieux”. Et aussi : «En publiant ce roman, l’auteur s’est fait plaisir tout en répondant aux attentes de divers historiens». !
Mais ce livre n’est pas un roman !
C’est un témoignage, écrit sur le vif, qualifié d’exceptionnel au Service Historique de la Défense auquel j’ai fait don des originaux. Ceux-ci sont accessibles au Château de Vincennes à tous, historiens et non historiens.
Ces mots dans la recension : «on s’ennuie vite à connaître l’état de santé des proches ou la météo du jour» montrent qu’il faut plonger dans cette période pour bien la comprendre. Ce que nous apprennent ces pages, c’est que le pilote de bombardier est pris d’angoisse quand il fait beau : en cas d’attaque de l’ennemi, pas de nuages pour le protéger. « No future », disaient les Anglais. Ce détail n’est pas anodin… Quant aux nouvelles des proches, de la Normandie occupée, elles devaient passer par la Croix Rouge et… Mais lisez plutôt ce que mon préfacier, le général Robineau, membre de l’Académie de l’Air et de l’Espace, a écrit avec une finesse, une sensibilité et une élégance qui m’ont beaucoup émue :
« Ce livre est un livre vrai, où les faits arrivent à leur moment et s’enchaînent au double rythme des hasards de la guerre et des échanges de sentiments entre un homme et une femme que réunira un improbable destin. Cet ouvrage est précieux à maints égards (…) Paroles et répons décalés par les semaines de parcours des messages, ce dialogue n’a qu’une voix, déclamée par les seules lettres de l’aviateur exilé, et c’est en contrepoint de la première que l’autre est suggérée. Ainsi sont réunis les ingrédients d’un roman captivant. (…) C’est de la jeune fille que viendra la première lettre, amorce d’un échange normalement impossible : elle est au Maroc où l’a chassée l’invasion allemande, lui, d’Angleterre, Afrique ou Proche-Orient, bourlingue d’une adresse militaire secrète à une autre adresse militaire secrète, tandis que la censure fait de la dentelle avec le papier de leurs lettres. »
Dans la recension, on lit: «en publiant ce roman, l’auteur s’est fait plaisir.» Comment ? Un livre comme celui-là peut-il se réaliser « pour se faire plaisir » ? Non. Il y a trop de souffrance dans la forme et dans le fond. Je reviens au général Robineau : « Jean Lecouté égrène dans ses lettres et dans ses carnets les noms des camarades dont, jour après jour, il apprend la mort. Un tel martyrologe, dans sa simplicité quotidienne évocatrice de visages amis, vaut mieux que les manuels et que tous les discours pour rendre compte des réalités d’une guerre barbare. (…)
En plongeant dans l’aventure particulière d’un Français libre, on mesurera ce que chacun de nous, aujourd’hui, doit à ces aventuriers qui sauvèrent notre honneur quand il semblait perdu et, au moment de la victoire, justifièrent que la France fût parmi les vainqueurs. (…) Le témoignage de cet officier montre que le métier d’aviateur en guerre des Forces aériennes françaises libres a peu à voir avec les images d’Épinal habituellement servies. (…).Qu’on y voit alterner l’espérance et la désillusion, l’enthousiasme et le découragement, la joie et le cafard, l’ennui et, pourquoi pas, la peur. Qu’on y est des hommes faibles et forts à la fois, en communion avec ceux à qui Churchill avait promis, pour mériter la victoire, de la sueur, du sang et des larmes. »
Dans cette préface du général Lucien Robineau, l’essentiel est dit.
Marie-Anne Lecouté-Loewe
Table des matières
1re partie :
– Souvenirs d’enfance et de jeunesse
– Début de la guerre.
– École élémentaire de pilotage N°23. Le Mans. Laval. Morlaix.
– Fuite en Angleterre. Saint-Athan.
2e partie :
– Souvenirs de Marguerite Duchemin, « Rirette »
– L’exode
3e partie : L’année 1941
– Initial Training Wings (Odiham, North Hampshire). 3 novembre 1940 – 14 février 1941
– Elementary Flying Training Schpol no6 (Sywell, Northampton). 16 février -19 avril 1941
– Service Flying Training School no11 (Shawbuly, Shrewsbury). 27 avril- 16 juillet 1941
– N°3 School of General Reconnaissance (Squires Gate, Blackpool). 30 août – 24 octobre 1941
4e partie : L’année 1942
– Afrique Équatoriale Française: escadron d’entraînement de Bangui. 29 mars – 1er juillet 1942.
– Groupement Mixte d’Instruction (Damas, Syrie). 17 juillet – 24 octobre 1942.
5e partie : Du 1er janvier 1943 jusqu’à la fin de la guerre.
Angleterre, Pays de Galles, Écosse :
– N°18 Advanced Flying Unit (Church Lawford, WalWick Shire). 2 février – 5 avril 1943.
– N°13 Operational Training Unit or O.T.U. (Bicester; Oxfordshire). 6 avril- 22 mai 1943.
– N°49 Refresher Course S.F.T.S. College (Cranwell, Lincolnshire). 23juin – 10juillet 1943.
– N°6 (c) O.T.U. (Silloth, Cumberland). 20 juillet – 22 août 1943.
– N°612 Squadron (Leigh Light) Coastal Command (Devonshire). 22 août – 9 novembre 1943.
– N°228 Squadron (Sunderland flying boats) Coastal Command (Pembroke Dock, South Wales). 9 novembre 1943 – 27 août 1944.
– N°20 O.T.U. Lossiemouth – Elgin (Morayshire). 29 août – 7 novembre 1944.
– Préface du général Lucien Robineau
– Les autres ouvrages de la collection Mémoires et débats