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Jean-Yves Lorant et la JG300

une très longue histoire
Frédéric Marsaly

Avant-propos : Jean-Yves Lorant est l’auteur de Bataille dans le ciel d’Allemagne, publié en 2005-2006 aux Éditions Larivière (Coup de cœur de l’Aérobibliothèque). Nous le remercions de nous avoir accordé cet entretien.


FM : Jean-Yves, comment tout cela a-t-il commencé ?

JYL : Un nom me vient immédiatement à l’esprit. C’est celui de Francis Bergèse, qui me mit gentiment le pied à l’étrier en me permettant décrire mon premier article comme pigiste en 1975 – l’année de mon baccalauréat – dans le Fana de l’Aviation. L’année suivante, je demandai à être incorporé dans l’Armée de l’Air en invoquant ma petite licence de pilote privé. On me donna satisfaction en m’affectant à la BA 901 de Drachenbronn, un centre de contrôle radar implanté dans l’ouvrage Hochwald de la ligne Maginot près de Wissembourg en Alsace. Cette base formait aussi les fusiliers-commandos de l’air et disposait d’un unique Broussard détaché par l’escadron “Verdun”. J’y fus le témoin privilégié – mais souvent surpris – de l’entraînement des commandos, car on m’avait affecté au journal de base. Lorsque je fus rendu à la vie civile, Michel Marrand qui avait repris la rédaction en chef du Fana de l’Aviation, me demanda de le seconder…les quatre années qui suivirent furent intenses et formatrices. J’y appris la conception graphique et fus chargé des “réécritures” et diverses traductions. J’étais désormais immergé dans un micromilieu passionnant, où je pouvais déjeuner avec Jean Cuny le lundi, accueillir le lendemain un Lucien Morareau qui ignorait alors pratiquement tout des avions de la Marine française (!) mais qui revenait des USA avec un superbe reportage sur la Confederate Air Force, passer un après-midi avec Jacques Lecarme et Jean Lasserre dans un chalet du Salon du Bourget…

Engagé au Musée de l’Air en 1980 par le général Pierre Lissarrague, j’y ai passé seize ans, remué beaucoup d’archives, répondu à des centaines de lettres et légendé “quelques” photos. Ce fut l’arrivée au Musée de l’Air de personnes recrutées sur titres, ayant autant de connaissance dans le domaine aéronautique que moi en art byzantin, qui m’incita à demander ma mutation. Je dois donc beaucoup à Marcellin Hodeir et au général Hugues Silvestre de Sacy, qui me permirent d’intégrer le Service Historique de la Défense – ancien S.H.A.A. – à Vincennes voici déjà dix ans. J’y suis actuellement responsable de la photothèque.

FM : Pourquoi la JG 300 et qu’avez-vous voulu montrer à travers ce livre avec Richard Goyat ?

JYL : Comme tous les fanas de ma génération, mes livres de chevet furent “La vieille équipe” de Bernard Dupérier, l’inévitable “Grand cirque” et “Feux du ciel” de Pierre Clostermann, “La grande chasse” de Heinz Knoke. Mon intérêt pour cette période tenait autant aux avions de la fin de la guerre qu’aux hommes. Au début des années soixante-dix parut en Allemagne un livre de Werner Girbig intitulé “Start in Morgengrauen” (Décollage à l’aube) retraçant les six derniers mois de la chasse allemande. Il s’agissait d’une effroyable compilation de pertes humaines – avec Bodenplatte en point d’orgue – laissant penser que la Luftwaffe n’était sortie que pour se faire massacrer. Ceci ajouté à la phrase lue un peu partout : « …après le débarquement, la Luftwaffe, privée de carburant et d’avions, n’existait plus » me donnait l’impression que l’histoire de cette fin de guerre – vue du côté allemand – restait à écrire. Les histoires d’escadres parues à l’époque ne faisaient que “survoler” la dernière année de guerre. En examinant les pertes connues des escadres engagées dans la bataille d’Allemagne, je vis que la mythique Jagdgeschwader 300, à laquelle de nombreux auteurs faisaient alors référence sans jamais décrire ses opérations, avait participé à toutes les grandes batailles. Escadre de chasse de nuit “à vue” dès l’été 1943, puis opposée aux Mosquito et aux raids massifs américains sur l’Allemagne, elle m’apparut emblématique à plus d’un titre. Elle avait surtout subi d’effroyables pertes en combat. Un rapide calcul m’avait permis de situer l’espérance moyenne de vie d’un pilote affecté à la JG 300 à 11 heures de vol de guerre, soit à peine quatre missions, vol de réglages et convoyages compris.

Entre 1976 et 1978, je pus entrer en relation avec des survivants du groupe d’assaut de la JG 300. Outre le plaisir de faire leur connaissance, je fus frappé par la précision et l’intérêt de leurs récits. En les écoutant, tout prenait soudain une autre dimension. La décision d’écrire un jour l’histoire de cette escadre de chasse oubliée fut prise à l’automne 1978…ainsi que celle d’améliorer rapidement mon allemand alors trop hésitant. Mon but était de combler une grosse lacune dans l’histoire de la guerre aérienne sur l’Europe en 1943-45.

FM : Combien de temps pour ce travail au total ?

JYL : Ce véritable travail de fourmi se décompose approximativement en vingt-cinq années de recherches et quatre années d’écriture sporadique. Il fallait jongler avec des obligations familiales – bien agréables, puisque j’ai eu une petite fille – et un pavillon en travaux. Mon ami et grand complice Richard Goyat, dont j’avais fait la connaissance en 1979, est intervenu assez vite dans l’écriture en m’envoyant régulièrement des cartes détaillées des opérations aériennes anglo-américaines jour par jour. Et son aide ne s’est pas arrêtée là…

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FM : Comment vous êtes vous réparti le travail avec Richard Goyat ?

JYL : Richard a fouillé dans les archives anglo-américaines, allant jusqu’à analyser les parcours des formations américaines heure par heure, retraçant les positions des différentes unités à des moments précis afin d’établir la correspondance avec les témoignages et les carnets de vol allemands et de mettre en évidence les éventuelles incohérences. Il a littéralement disséqué les rapports individuels de mission qu’il a pu retrouver, s’est intéressé aux conditions météorologiques, aux mouvements et rééquipements des unités. Il me fournissait régulièrement des cartes constellées de petites vignettes du style “24 Mustang du 357th Figther Group ici à 7500 m à 11h40” avec des traits de couleurs différentes selon les unités concernées. Une carte par jour de combat. Imaginez le travail de dément. Le mien n’était pas triste non plus : je m’étais fixé comme but de recueillir le maximum de témoignages et de carnets de vol des survivants. J’ai épluché les listes de pertes de la Croix Rouge, d’ailleurs incomplètes, celles des Bundesarchiv ou d’autres fournies par mes amis allemands Hans Ring et Werner Girbig. Il fallait trouver les adresses des parents des blessés, ce qui dans le meilleur des cas pouvait donner une localité et parfois une liaison directe avec la famille ou l’ex-blessé lui-même. Les Allemands sont, par chance, plutôt sédentaires. Puis, il m’a fallu passer des dizaines d’heures à la poste du Louvre à éplucher les bottins téléphoniques des villes allemandes et autrichiennes pour tenter de localiser les survivants afin de les contacter… Une véritable sinécure. Un exemple : ayant appris par Heinz Wischhöfer (1./JG 300) que son camarade d’escadrille Hans Fenten vivait à Düsseldorf dans les années soixante, j’ai plongé dans l’annuaire téléphonique… pour constater qu’il y avait 28 personnes portant ce nom à Düsseldorf, dont 7 prénommées Hans ou Johannes… Je les ai tous contactées. Hans Fenten devait faire partie des trois derniers, si mes souvenirs ne me trompent pas ! Mais il était là, bien vivant et stupéfait à l’autre bout du fil, me demandant avec sa voix rauque ce qu’un Français pouvait bien avoir à faire avec une escadrille de chasse qui avait disparu dans la débâcle allemande…

J’aurais aujourd’hui bien du mal à vous refaire l’arborescence des contacts, mais ce fut sans doute le jeu de piste le plus complexe et passionnant de toute ma vie. Une incroyable enquête, génératrice de grosses joies et de moments de déprime. Certaines pistes m’ont mené à de grands blessés – ou brûlés. D’autres pourtant prometteuses, ne débouchaient sur rien. Je suis même allé jusqu’aux registres de mariage d’une mairie, afin de retrouver la fille d’un pilote décédé dans les années 70. Elle avait évidemment changé de nom, mais je l’ai retrouvée… Tout ceci sans l’aide d’Internet, qui n’a existé pour moi qu’en 2001, alors que mes recherches étaient achevées. Richard avait d’ailleurs une sérieuse avance sur moi dans ce domaine et il m’a fait gagner un temps considérable en m’initiant à l’informatique.

FM : Comment se sont passés les relations avec les “anciens” ?

JYL : Vraiment excellentes. Ils étaient bien sûr étonnés et un peu flattés de voir un jeune Français parlant couramment l’allemand s’intéresser de si près à leur histoire. Richard et moi fûmes accueillis partout avec beaucoup de chaleur et de gentillesse. Il fallait impérativement les rencontrer pour obtenir de bons témoignages, car certains n’auraient pas eu la force de m’écrire tout ce qu’ils m’ont raconté devant une bière, en feuilletant leur carnet de vol – en oubliant fort heureusement le magnétophone qui tournait toujours, posé près d’eux sur la table. À l’évocation de ces missions, certains traumatismes sont réapparus. J’en ai vu deux pleurer, d’autres se mettre à hésiter et à trembler. Il faut dire que leurs récits étaient effrayants à plus d’un titre, même pour les non-initiés. Parfois une voix féminine me chuchotait « M. Lorant, mon mari a déjà eu un infarctus, je ne voudrais pas assister au second ce soir, alors s’il vous plaît, allez-y doucement… ». Le fait que je sois pilote privé les a également bien “désinhibés”, car ils pouvaient librement parler de performances, de dynamique du vol, de navigation et de météo en sachant qu’ils seraient compris jusque dans les moindres nuances.

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Aucun blocage n’est apparu lorsque je les ai questionnés sur leur rapport avec la peur avant et pendant les missions, sur les divers excitants qu’ils prenaient avant de décoller, sur leurs chefs et sur le régime nazi en général. Lorsque je l’ai rencontré pour la seconde fois à Nassau en 1982, Gerhard Stamp m’a dit « Jean-Yves, entre Bismarck et Hitler, nous autres Allemands n’avons vraiment pas eu de chance avec nos dirigeants. Il faudra des siècles avant que nous soyons débarrassés de la honte qui pèse sur nous ». J’ai eu le sentiment que pour la plupart d’entre eux, mes questions précises étaient une magnifique occasion de “vider leur sac” une bonne fois pour toutes. Il y eut évidemment des anecdotes que j’ai préféré ne pas inclure dans le livre, mais d’autres furent parfois “censurées” par les narrateurs eux-mêmes. Le chahut nocturne à Bad Wörishofen relaté dans le tome 1 a été amputé d’une anecdote que je vous laisse apprécier : Un pilote, dont je tairais le nom car il est toujours de ce monde, décora la statue du pasteur Sebastian Kneipp d’un collier auquel pendaient des préservatifs remplis de la sacro-sainte eau thermale… tout ceci me fut révélé par quatre des participants au chahut, tous hilares, lors d’une réunion à Nassau. Le seul qui n’arrivait pas à rire était le créateur du collier, désigné par ses camarades unanimes, sous le regard offusqué de son épouse. Elle lui jeta : « – Tu as vraiment fait ça, toi ? Avec des préservatifs ? ». Le malheureux, cramoisi, répondit faute de mieux :« – Si ils le disent, c’est peut-être vrai… ».

Contrairement aux “Latins”, les Allemands ne sont pas affabulateurs, ce qui s’est révélé précieux dans notre démarche. En cas de doute, ils préfèrent se taire ou demandent un délai de réflexion… pour consulter leurs camarades ou étudier les documents existants. Et le respect de la parole donnée n’est pas un vain mot : Norbert Graziadei, un des as du groupe d’assaut, m’avait promis en 1981 de répondre à toutes mes questions… un an plus tard, alors que je ne l’attendais plus, j’ai reçu une lettre manuscrite de 23 pages ! Il y détaillait toutes ses missions avec toutes les informations que je pouvais souhaiter…

Ma démarche eut parfois pour les anciens des conséquences inattendues, car ils purent retrouver des camarades par mon intermédiaire et cela donna parfois lieu à des scènes touchantes. La plus étonnante eut lieu lorsque j’eus retrouvé les quatre pilotes de la dernière mission du III./JG 300 le 30 avril 1945 à partir de Kleinkarolinenfeld : Klaus Lambio, Arnulf Meyer, Jochen Stiege et Günter Obst. Les deux pilotes qui avaient réussi à atteindre Ainring, Stiege et Lambio, pensaient que les autres étaient morts… Aucun d’entre eux n’avait eu de contacts avec des anciens camarades de la JG 300 après la guerre. Ils sont partis faire une fiesta mémorable dans une auberge d’où ils m’ont envoyé une carte postale couverte de chaleureux remerciements.
J’ai rendu de nombreuses visites aux anciens chez eux, mais j’ai aussi été à l’origine de réunions annuelles, l’une sédentarisée à Nassau an der Lahn pour le I./JG 300 et l’autre itinérante pour le II.(Sturm)/JG 300 à partir de 1981. Chaque année, je rajoutais de nouveaux membres en retrouvant des survivants. Je n’ai jamais observé dans ces grandes fêtes annuelles la moindre nostalgie “hitlérienne”, les anciens pilotes étaient tout simplement heureux d’avoir survécu et de se revoir, cinquante ans après. Les interviews menées pendant ces réunions étaient souvent très intéressantes, car les témoins comparaient leurs souvenirs et se les complétaient mutuellement. En 1984, j’ai vu apparaître chez Gerhard Stamp à Nassau l’historien anglais Peter Hinchcliffe, qui voulait écrire une histoire de la chasse de nuit allemande. On me présenta comme étant l’historiographe de l’escadre JG 300. Il dut voir en moi une sorte de rival – il sembla gêné – et me demanda juste quels étaient les Ritterkreuzträger de la JG 300 présents à cette réunion. Je lui désignai alors Gerhard Stamp et Hajo Herrmann. Il se détourna subitement et passa la soirée attablé avec eux, sans accorder la moindre attention aux autres vétérans de la “Wilde Sau”. Ces derniers avaient peu apprécié la façon de se conduire de cet “invité-surprise” que nous ne revîmes jamais plus. L’incident me servit d’avertissement. N’ayant pas envie de voir ce genre de personnage profiter des contacts que j’avais noués au prix d’années d’efforts, je renonçai à remettre en relation les anciens des III. et IV./JG 300.

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Je suis donc entré dans l’intimité de nombreux pilotes, ai connu leur femme, leurs enfants. Des liens de profonde amitié me lient avec bon nombre d’entre eux. Vous pouvez imaginer à quel point je suis affecté par leurs diverses maladies et les inévitables décès.

Établir des rapports de confiance et d’amitié avec ces aviateurs allemands d’une autre génération supposait une bonne approche psychologique, car il suffit parfois d’un mot mal pesé pour “bloquer” une personne dont on ne pourra plus rien obtenir. La plus grande circonspection s’imposait également lorsqu’il s’agissait de leur emprunter les rares carnets de vol et photos existantes pour les reproduire. J’ai eu la chance d’être suffisamment rassurant pour ne jamais essuyer de refus.

La découverte de photos de la fin de guerre constitua toujours un petit miracle, car les photos privées de la période septembre 1944 – mai 1945 sont très rares. Les raisons de cette raréfaction sont multiples et faciles à deviner. Voyez donc les photos opérationnelles de cette période dans les autres historiques d’escadres allemandes et vous comprendrez que nous avons eu de la chance. À de rares exceptions près, seuls les blessés et les déserteurs possédaient encore des photos ! Pour cette période, nous sommes dans un cas de figure absolument inverse de celle de 1939 – 1941, période pour laquelle on trouve les photos par milliers… Sur eBay, une photo de Bf 109 E vaut 15 Euros pendant qu’une photo de Bf 109 G-10 ou de Fw 190 D-9, même endommagé avec un G.I. devant, va s’envoler au delà de 300 Euros. J’ai vu voici deux ans une médiocre photo d’un Fw 190 D-9 sans marquages ni Werk Nr. trouver acquéreur à 517 € !

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Au risque de décevoir ceux qui estiment qu’il y a “trop d’hommes et moins d’avions” dans le tome 2, je tiens à préciser que nous y aurions inclus encore plus de photos de pilotes et de mécaniciens, si nous en avions trouvé plus ! Comme le titre l’annonce, il s’agit bien d’une histoire d’escadre de chasse, dans laquelle les hommes sont les acteurs principaux.

FM : As-tu eu des retours ou des réactions à la suite de la publication de ce livre ?

JYL : Les anciens sont unanimement ravis et surpris par le contenu et la taille de cette chronique. Ils le disent et surtout nous l’écrivent. C’est pour nous la plus belle des récompenses. L’analyse critique des sources est particulièrement saluée. Sur les forums spécialisés sur Internet, notre JG 300 a fait beaucoup plus de bruit que prévu. Les seuls petits détracteurs que nous avons eus étaient hors sujet, incompétents ou plus simplement folkloriques (Burkhard Otto alias Bobo sur Internet). Une exception pour CJE (1), qui aurait souhaité une ou plusieurs cartes de l’Allemagne pour localiser les terrains utilisés par la JG 300. Nous y avons renoncé faute de temps et de place. N’oublions pas que toutes ces pages réservées aux cartes auraient été perdues pour le texte et les photos. Mais sur le fond il n’a pas tort, car la carte de navigation nocturne publiée dans le tome 1 n’est pas assez détaillée. Pour ce qui concerne les noms de villes et de fleuves cités en allemand, c’est un choix d’auteurs sur lequel nous ne reviendrons pas. Je signale amicalement à CJE que nous avons mis en annexe du tome 2 des traductions de noms de villes allemandes.

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Quant à la signification des inscriptions en allemand sur les avions, si l’on élimine les nombreux prénoms féminins, il en reste bien peu dont la signification ne figure pas dans un simple dictionnaire Allemand-Français. La célèbre devise “Kölle Alaaf” peinte sur le “19 rouge” de notre ami Ernst Schröder, empruntée au carnaval de Köln, signifie en dialecte local “Köln soll leben” (Cologne doit vivre !). Les germanophones auront aussi remarqué l’orthographe très libre du Schlawiener peint sur le “3 vert” de Willi Trabert. Ecrit avec ce “e” supplémentaire, le “paresseux” devient un “Viennois paresseux”. Le pilote et ses mécaniciens en riaient encore cinquante ans plus tard. Difficile de raconter tout cela dans les légendes, déjà très denses.

En France tout comme à l’étranger, notre livre a trouvé rapidement son public. Sans doute parce que le sujet n’avait jamais été traité “en profondeur”. Les éditions Larivière nous ont d’ailleurs annoncé récemment qu’il s’agissait de la meilleure vente de l’année pour la collection Docavia. Il convient toutefois de ne pas exagérer la “résonnance” de notre chronique. Une récente “étude” sur la chasse de nuit allemande (en deux parties), où l’on trouve un beau concentré de vieilles erreurs de Gebhard Aders recopiées par Jean Cuny et par Patrick Laureau, nous a prouvé que notre ouvrage sur la JG 300 n’avait pas été lu par tout le monde.

Je profite de l’occasion pour rappeler que ce genre de livre n’enrichit jamais ses auteurs. On y laisse beaucoup de temps et d’argent. Les éditeurs ne prennent pas de gants pour traiter leurs auteurs : chez Larivière, Richard Goyat et moi touchons individuellement 1,70 Euro par livre vendu (jusqu’à 2000 exemplaires, au-delà une minuscule majoration s’applique), une somme dérisoire au regard du travail fourni et des divers investissements. Si quelqu’un doute de la réalité de ces tarifs, je tiens une copie des contrats à sa disposition. Mais le but était d’obtenir un beau livre et ce fut chose faite, grâce à Sandra Banquy et Joël Taton – qui ne sont pas évidemment responsables du barème des droits d’auteurs. Nous allons juste pouvoir rembourser quelques voyages et changer nos ordinateurs. Cerise sur ce maigre gâteau : Eagle Editions (3) ne nous ont pas versé le moindre dollar à ce jour.

FM : Quels sont tes projets futurs ?

JYL : Larivière aimerait une réactualisation du vieux Docavia 15 (2). J’y réfléchis, car j’ai largement la matière. Ce sera sans doute mon dernier spasme avant de quitter ce monde. Je serais comblé si Richard pouvait trouver le temps de se transformer en infographiste, avec son habituel talent. Tout cela se ferait cette fois sans Jean-Bernard Frappé, qui a trouvé d’autres centres d’intérêt.

Interview réalisée par Fred Marsaly pour l’Aérobibliothèque en février 2006.


(1) : Christian-Jacques Ehrengardt, rédacteur en chef d’Aéro-Journal s’en était ouvert amicalement sur les Aéroforums et dans les colonnes de son magazine Aéro-Journal.

(2) : Docavia 15 : Le Focke-Wulf 190 par JY Lorant et JB Frappé.

(3) : Eagle Editions est l’éditeur de la version américaine de l’histoire de la JG300 : JG 300 « Wilde Sau » A Chronicle of a Fighter Geschwader in the Battle for Germany.


Légendes des photos :

1) Richard Goyat et Jean-Yves Lorant lors d’une des premières réunions du II (Sturm)/JG 300 à Rottach-Egern sur les bords du Tegensee en 1983, avec Heinz Ackermann, mécanicien cellule sur Fw 190.

2) Les auteurs des Docavia sur la JG 300 en compagnie de Gerhard Stamp (ex Gruppenkommandeur du I./JG 300) chez lui, à Nassau-an-der-Lahn en 1984.

3) Réunion de la 11. Staffel à Heinsberg chez Heinz Hermanns (mécanicien du Leutnant Willi Trabert) en 1984. Debouts, tenant l’insigne de la « Wilde Sau » Heinz Hermanns et Rainer Dieden – pilote belge engagé au III./JG 300. Assis de gauche à droite: Rudi Rohrmann, Arnulf Meyer, Carl Ossenkopp et Jean-Yves Lorant. Aucun signe ostensible de sobriété sur la table…

4) A Döbern, en 1993, Edelgard Heune revoit avec une indicible émotion son amour de guerre, Ernst Schröder. De gauche à droite, Jean-Yves, Edelgard Heune et Ernst Schröder. Et elle découvre que « son » pilote volait avec « Edelgard » sur son Focke-Wulf 190…

5) Ernst Schröder pose en 1993 devant la prairie de Riesdorf où il a posé sur Focke-Wulf pour échapper à la captivité et retrouver Edelgard, le 26 avril 1945. Le village était resté identique à ce qu’il avait décrit dans son récit, sans jamais y être retourné depuis la guerre. (photos Winfried Römer)