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J’étais pilote de chasse au-dessus des tranchées

Récits et photographies d’un Bourguignon de 18 ans
engagé volontaire dans la Grande Guerre
Henri Trémeau

Il est toujours étonnant de découvrir, près d’un siècle après le déroulement des événements, des textes rares qui constituent des témoignages souvent poignants sur cette terrible confrontation que fut le premier conflit mondial.

Ainsi les écrits d’Henri Trémeau, un jeune Bourguignon, engagé volontaire devançant l’appel en octobre 1916 à moins de 18 ans, muni de son seul bac philo mais se prévalant d’une formation d’électricien, fort de son expérience acquise dans l’entreprise familiale, lui vaut « le choix des armes ». Ayant la ferme intention de devenir pilote de chasse, après un premier refus car on ne recrute que dans les autres armes, il s’oriente vers l’artillerie lourde tractée, échappe tout autant miraculeusement que comiquement une première fois à la mort puis se retrouve happé vers « l’artillerie d’assaut », autrement dit les chars naissants. Il est un des rares rescapés de l’attaque du 16 avril 1917 du Chemin des Dames, puis est envoyé à Saint-Chamond, et au gré d’une demande de volontaires pour l’aviation, se jette sur l’occasion, est accepté pour suivre le cheminement standard des écoles d’aviation, sa virtuosité avérée le destinant à la chasse qu’il intègre le 2 février 1918 à Vauberon, à la SPA83 du GC14.

Durant toute cette période qu’il raconte au rythme d’une charge de cavalerie aérienne qui durera près d’un an et demi si l’on y inclut l’occupation rhénane de 1919, il décrit un rare et précieux témoignage sur la folie meurtrière vue des airs, doublé d’une réflexion croissante sur son incompréhension de ce gâchis stupide. Il y fait preuve d’un esprit très en avance sur son époque, parlant de l’unification européenne comme seule solution possible, abordant également l’évolution de la condition de la femme. Le livre se termine sur son accident du 4 juillet 1919, survenu lors d’une perte de vitesse de son Spad dont il réchappe une fois de plus miraculeusement, mais dont l’expérience apporte un embryon de réponse à ses interrogations.

L’ensemble de l’ouvrage est constitué de plusieurs niveaux d’écriture. Tout d’abord, le journal d’Henri Trémeau, puis ses écrits complétés dans les années vingt, ensuite une réécriture complète réalisée en 42-43 alors qu’il était en « isolement forcé » afin d’échapper à l’occupant, période où il raconta ses deux guerres et qui laisse présager d’une éventuelle « suite » et enfin un chapitre écrit par son fils retraçant le cheminement des plénipotentiaires allemands du 8 au 11 novembre, qui vient étayer fort à propos son témoignage vu du ciel. Bien sûr, la « réécriture » a posteriori permit certainement à la fois une certaine distanciation par rapport aux événements mais également certaines erreurs sur des événements quotidiens qui se retrouvent amalgamés en un seul temps et lieu mais que les inconditionnels des tableaux de marche des unités se feront un plaisir d’éclaircir. L’édition ultérieure d’un addendum pourrait d’ailleurs résoudre ce léger problème.

L’iconographie est totalement originale car Henri Trémeau avait eu la très bonne idée d’emmener avec lui son appareil à plaque photographique. Il prit environ trois cents clichés et une centaine sont ici représentés, ceux montrant notamment les tracteurs d’artillerie Latil et les prototypes de char au centre de Saint-Chamond constituent des curiosités. Côté aviation, également des surprises y compris des erreurs de légende qui présentent un (voire le) Farman F30b AR2 comme « Spad » et un dirigeable comme ballon d’observation.

Le texte en quatrième de couverture pourrait produire l’effet inverse désiré auprès des spécialistes, car il pourrait paraître quelque peu aguicheur en mentionnant qu’Henri Trémeau participa au combat où le Baron rouge perdit la vie … Ceci dit, après vérification, Trémeau faisait partie ce 21 avril 1918 d’une patrouille haute évoluant vers 3000 mètres d’altitude protégeant deux avions d’observation britanniques ; il ne fut que le témoin visuel à distance d’un affrontement entre les deux meutes ennemis aux prises puis passa à la verticale d’une colline où une certaine activité régnait autour d’un avion rouge en pylône dont l’identité du pilote, le fameux Baron rouge, ne lui fut communiquée que quelques jours plus tard. Durant la même opération, il mentionne la perte par le GC14 de trois pilotes « victimes de triplans » dont un tué et deux prisonniers. Il s’avère après vérification que ces trois pilotes appartenaient tous à la SPA86 du même GC14 mais qu’ils furent descendus le 2 mai et non le 21 avril, tous trois étant faits prisonniers, l’un étant blessé. Une ou deux autres localisations nécessiteraient certainement une précision corrective. L’emploi tout au long du livre du terme Spad VIII pour désigner le Spad VII 180ch reste une énigme : était-ce un vocable technique local propre aux mécanos du groupe ou en usage au Bourget où il était régulièrement chargé d’aller chercher de nouveaux appareils ?

Mais bon nombre de détails de la vie quotidienne seront par ailleurs d’un grand intérêt, comme l’emploi d’un biplace d’observation dans une escadrille de chasse… Qui sera le passager qui devra se débrouiller avec cette satanée mitrailleuse ? Quelques rares notes sur les dégâts collatéraux avec les Britanniques … Une remarque qui nous apprend que des inhalateurs furent utilisés durant l’été 1918 et très vite retirés car visiblement pas du tout au point ou encore cette énorme déconvenue chez les pilotes du groupe après que Trémeau leur ait raconté comment il avait vu pour la première fois un aviateur allemand se balancer au bout de son parachute après avoir évacué son avion désemparé… sans oublier les multiples combats qui l’opposèrent à ce biplace tango qui constitua bien vite son « meilleur ennemi », ni une homologation tardive de victoire pourtant bien officielle… sans oublier ce qu’il est convenu d’appeler un « straffing » massif lors des ultimes attaques allemandes, ni la frilosité des poussins…

À quelques détails près qui ne choqueront que les « moustachus de la période », ce premier livre d’une toute jeune maison d’édition, constitue un rare témoignage doublé d’une réflexion philosophique moderne qui se termine abruptement par un entrebâillement quasi expiatoire ; d’ailleurs le Spad d’Henri Trémeau « vit » toujours car après restauration, c’est le dernier Spad XIII partiellement d’époque visible au musée volant de la Ferté-Alais !

Thierry Matra


168 pages, 21 x 23 cm, broché

Ouvrages édités par
En bref

Éditions Gilles Platret

ISBN:  978-2-9527576-5-2

25 €