Dans les années 70, les hebdomadaires illustrés étaient chose courante. Les auteurs faisaient alors œuvre de feuilletoniste, publiant trois ou quatre planches par semaine. L’exercice était du coup très standardisé : chaque épisode devait tenir son lecteur en haleine, ce qui imposait des « climax » très fréquents et une écriture très dense — car il n’est pas évident de faire tenir un épisode en seulement quatre planches. La mise en pages devenait alors un casse-tête : il devait y avoir suffisamment de texte pour raconter l’histoire de l’épisode tout en laissant la place au dessinateur de s’exprimer, le tout dans des délais de création très courts.
C’est dans ce contexte qu’est apparu John Redburn, dit Johnny Red, dans les pages de Battle en 1977. Tom Tully, scénariste, et Joe Colquhoun, dessinateur, n’étaient pas des débutants du feuilleton dessiné : le rythme des épisodes ne paraît pas trop artificiel, même lorsque c’est un album complet de 118 planches qui est assemblé. Côté graphisme, la mise en pages souvent éclatée et les pavés de texte parfois envahissants sont un peu maladroits, mais le trait de Colquhoun garde un vrai dynamisme, avec un noir et blanc très contrasté bien soutenu par un papier satiné assez épais et quelques planches très aériennes. Il faut dire que les auteurs n’ont pas hésité à prendre leurs aises avec le cadre feuilletoniste, en coupant un groupe de planches sans vrai point fort pour étaler un épisode sur plusieurs semaines : par exemple, la rencontre entre Johnny et Jurgen occupe deux publications, de même que leur deuxième combat.
Le feuilleton pose cependant un problème : chaque semaine devant avoir son lot d’action, impossible de prendre quelques planches pour creuser un peu la psychologie des personnages… Se replonger dans ces imprimés que nous dévorions enfants, c’est saisir cruellement combien les codes narratifs ont évolué avec la généralisation des albums de 46 planches, puis des cycles de plusieurs albums. Pour plonger plus rapidement dans le rythme, Tom Tully a complètement ignoré la formation et les origines de Johnny : il apparaît dans un bateau, une planche et demie permet d’expliquer pourquoi il a été viré de la RAF (la raison change d’ailleurs après quelques épisodes, sans raison particulière) en le faisant passer pour un gamin brutal et arrogant, et hop ! Le voilà en Russie dès le deuxième épisode, après avoir au passage remporté deux victoires pour son premier combat lors de son tout premier vol en Hurricane ! Les retournements sont également souvent brutaux, prévisibles et répétitifs et, globalement, l’album porte la marque de ses origines : une série d’action pour adolescents qui pouvaient oublier qu’ils avaient vu la même ficelle deux semaines plus tôt et qu’ils ne connaissaient rien de leurs personnages.
Sur le plan historique, Johnny Red mérite d’être lu, à l’instar des tous premiers Buck Danny ou d’autres séries historiques pour hebdomadaires illustrés ; mais malgré un plein d’action et un graphisme assez réussi, les faiblesses du scénario sont trop profondes pour vraiment convaincre aujourd’hui.
Franck Mée
128 pages n&b, 22 x 29 cm, cartonné
Traduction : François Peneaud
– Les albums de la collection Johnny Red
Avec l’aimable autorisation de
© Delirium
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