« C’est curieux, chez les marins, ce besoin de faire des phrases…«
Chez les aviateurs aussi, parfois, et une paraphrase de Michel Audiard pourrait résumer quelques livres de l’Aérobibliothèque. Il en est une catégorie particulière, celle des récits de pilotes que l’on adore écouter au comptoir d’un bar de l’escadrille, devenus un jour autobiographies pour régaler aussi des lecteurs.
Certes, si le vocabulaire est souvent imagé, ce ne sont pas forcément des modèles de rigueur dans l’emploi des termes, dans l’orthodoxie grammaticale ou dans l’usage cohérent des temps de narration, et quelques noms, cités de mémoire, peuvent être entachés d’erreurs par le temps et les années. Certes, cela peut tenir davantage du langage parlé, mâtiné parfois de style télégraphique, que de la grande littérature. Mais au final, ce qu’attend le lecteur, c’est surtout qu’on lui raconte des histoires.
Et, des histoires, Dominique Bouquet en a à raconter.
Il est l’archétype du pilote parti de presque rien, pour arriver aux plus hautes fonctions techniques. Engagé comme mécanicien dans l’Armée de l’air, c’est au fil de ses affectations qu’il apprend à piloter en aéro-club, en avion et en planeur. C’est d’ailleurs comme instructeur planeur et pilote remorqueur qu’il commence sa vie professionnelle de retour dans la vie civile, aux côtés de Jean-Pierre Milan.
Très vite, il choisit de s’expatrier, pour sa formation professionnelle au Canada, puis un peu partout dans le Monde, en fonction des offres disponibles.
Nous le suivons ainsi de simples opérateurs en plus ou moins grosses compagnies, tout au long d’une carrière qui le voit franchir des marches de plus en plus élevées (*) : PP, PP-IFR, PP1, PL et finalement instructeur pilote de ligne. Lui-même s’est compté 32 employeurs, et le lecteur comprendra que ce fut parfois simultanément, parfois entrecoupé de pauses plus ou moins volontaires. Une particularité de l’auteur, en comparaison de nombre de ses pairs qui ont terminé un jour leur carrière dans notre compagnie nationale, c’est de ne pas s’y être résigné et d’avoir choisi, dans la mesure du possible, ses emplois en fonction de leur attrait technique (type d’appareil, zone de travail ou lignes desservies) voire, il l’aborde sans fausse pudeur, de la hauteur de la rémunération. Mais aussi en fonction de ses interlocuteurs et de la confiance qu’il avait en eux.
Et, comme l’animal a une mémoire d’éléphant, gare à qui a mérité un coup de pied de la mule du Pape ! Car si Dominique Bouquet sait remercier et gratifier ceux et celles en qui il a vu des qualités techniques et humaines, il sait aussi se lâcher, sans retenue et en ne cachant pas les noms, contre qui lui a joué des tours, qui n’a pas été à la hauteur, qui a révélé lâcheté, perfidie, vanité, avarice ou incompétence. Et quelque soit son rôle dans l’histoire, chefaillon militaire, pilote peureux ou incapable, commandant de bord arrogant, patron malveillant, PNC (*) irrespectueux, passagers sans-gène ou condescendants (ah, les hommes politiques et les footballeurs ! ), etc.
Outre les médailles décernées aux meilleurs et les petits règlements de comptes avec les autres, l’attrait du livre réside aussi dans quelques récits de vol, du très technique (j’ai bien aimé son test final pour l’obtention du carton vert de pilote de ligne) au très rocambolesque, et dans l’analyse de certains incidents et accidents. Lui-même y a échappé de peu à plusieurs reprises, d’où le titre de « Jokair », private joke aéronautique quand il a dû sortir… un joker.
Jean-Noël Violette
Notes :
* PP : Pilote Professionnel
* PP-IFR Pilote professionnel qualifié aux instruments (Instrumental Flight Rules)
* PP1 : Pilote Professionnel de 1ère classe, spécificité française de la fin du XXe siècle, diplôme permettant d’exercer les fonctions de pilote sur avion de moyen tonnage et de co-pilote sur tous types d’appareils
* PL : Pilote de Ligne
* PNC : Personnel navigant commercial, hôtesses et stewards
15 x 24 cm, broché, 370 pages