En 1943, le vent a tourné dans l’Océan Pacifique. Face au déferlement de la puissance américaine, le Japon accumule les revers et il devient patent, y compris à son propre état-major, qu’il ne pourra pas sortir vainqueur de la guerre. C’est dans ces circonstances que naît et se développe l’idée de la création et la mise en œuvre d’unités « Tokkōtai« * composées de pilotes-suicide. Au-delà du classique film de guerre, Kamikaze, assaut dans le Pacifique se veut un hommage aux kamikazes.
Après une allusion à l’engouement des jeunes Japonais pour l’aviation militaire en 1943 et une évocation de Tomé Torihama, la restauratrice de Chiran, celle que l’on surnomma « la mère des kamikaze » et qui tient lieu de « fil rouge » au scénario, le film s’ouvre sur un prologue : la réunion qui eut lieu le 19 octobre 1944 à Malabacat (Philippines), réunion pendant laquelle l’amiral Onishi planifia la première attaque-suicide par une unité spécialement constituée.
Malabacat (Philippines), le 19 octobre 1944 : l’amiral Onishi (à gauche) annonce sa volonté d’utiliser des « unités spéciales ».
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La suite est construite autour d’une unité « Tokkōtai« *, depuis sa constitution jusqu’à sa funeste fin. On y trouvera des scènes de la vie quotidienne, mais aussi l’évocation de bien des questions qui se posèrent à l’époque (et qui furent longtemps passées sous silence), comme celles de la réalité du volontariat des jeunes pilotes, de leur relation avec leur famille, de l’état de décrépitude des appareils, de la censure du courrier, du rôle joué par la Kempeitai*… Les valeurs comme le patriotisme, l’honneur et l’esprit de sacrifice, portées à leur paroxysme, sont présentées comme majeures.
Le film paraîtra un peu décousu, sans réellement de fil conducteur, mais son ensemble est cohérent. En revanche, même en tenant compte de l’écart culturel entre l’Europe et le Japon, le jeu des acteurs apparaît souvent comme outré et excessivement théâtral. Par exemple, la tirade du capitaine Seki*, au début du film, est « surjouée » à un tel point qu’un Occidental réprimera un sourire à ce qu’il considèrera comme une pantomime.
Le capitaine Seki apprend qu’il commandera la première attaque kamikaze le 25 octobre 1944.
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En dépit de quelques travers, ce film pose à plusieurs reprises la question de la réalité du volontariat des pilotes : entre la pression sociale et la contrainte militaire, les apprentis-pilotes avaient-ils vraiment le choix ? Par ailleurs est évoqué (furtivement et en le minimisant tout de même) le fait que le Japon impérial recrutait volontiers ses kamikazes parmi les Coréens. En revanche, certains propos sont pour le moins crispants. Dans la bouche de Tomé Torihama par exemple : « ..et tous ces jeunes hommes étaient tellement bien élevés » sur une troupe de fantassins casqués. Idem Onishi expliquant doctement que cette guerre visait « à libérer de l’homme blanc nos frères de race en Asie » (version originale, traduction édulcorée en français).
Nombre d’Occidentaux ressentiront un sentiment de malaise devant ce film au parfum de nationalisme assez prononcé. Il faut savoir que le scénariste Shintarô Ishihara est membre du très conservateur Parti libéral-démocrate et de la Société japonaise pour la réforme des manuels d’histoire, dont les prises de position nationaliste et révisionniste* transparaissent dans ce scénario. Si ce film, visiblement destiné à un public nippon, honore les kamikazes, il les présente néanmoins comme des héros patriotiques à honorer et à remercier, et non comme les victimes d’un système politico-militaire meurtrier. À l’exception des membres de la Kempetai*, tous les militaires japonais sont présentés ici comme de bien gentils garçons façon « gendre idéal ».
Katsuji Bando, l’un des personnages centraux du film, en compagnie de Tomé Torihama, la « mère des kamikazes ».
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Le titre japonais du film signifie approximativement » Je vais mourir pour vous ». Aux USA, on en a fait « For those we love »*, ce qui est bien plus proche de l’idée directrice du scénario que le titre francophone franchement passe-partout. En effet, dans ce film, la raison d’être de ces unités-suicide n’est pas une quelconque référence au bushido*, mais la volonté, individuelle et collective, de défendre la population japonaise contre les attaques aéronavales américaines.
Idem en ce qui concerne l’affiche française, pas très réussie, mettant l’accent sur les combats, alors que l’affiche japonaise d’origine (voir ci-contre) présente le groupe de jeunes pilotes entourant Tomé Torihama.
Et les avions, dans tout cela ? Le film, dans sa version originale, date de 2006, une époque où l’imagerie numérique animée n’atteignait pas le niveau actuel. Et pourtant, la qualité que nous proposent les studios Toei* est tout à fait acceptable, de même que la disposition des appareils en formation et le schéma de l’attaque sont plausibles. Les Ki-61 Hien et les F6F Hellcat sont tout aussi convaincants que les Nakajima Ki-43 Hayate. Le Ki-43 que l’on voit au début du film (au train étonnamment court et aux inscriptions fantaisistes) est-il un survivant sorti d’un musée ou une maquette roulante à l’échelle 1/1 ?
Un pilote se pose avec son Ki-43 dont le moteur montre des signes de faiblesse.
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Les scènes de combat sont à un excellent niveau et n’ont rien à envier à des productions plus prestigieuses. On peut y croire, même si là encore le jeu un peu trop théâtral des acteurs ne nous est pas familier.
Une unité Tokkōtai croise le mont Kaimon, à l’extrême sud de l’archipel nippon.
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L’épilogue du film, où intervient à nouveau Madame Torihama, est une occasion pour Shintarô Ishihara de donner son point de vue sur la question des kamikaze ; il y est question de défense du pays, de reconnaissance et d’hommage aux kamikazes, de volonté de se sacrifier par amour de ses compatriotes, etc. Bien évidemment, la symbolique n’est pas absente du film (fleurs de cerisier, lucioles…), mais elle est ici assez facile à décoder.
On pourra regretter qu’à notre époque où prime le plaisir solitaire du « home cinéma », soit révolue l’époque des ciné-clubs où la projection donnait lieu à un débat : par ses multiples facettes, ce film y aurait fait un excellent sujet de discussion.
Philippe Ballarini
DVD 16/9 compatible 4/3, 2 h 10 min
Version française / Version japonaise sous-titrée
Disponible en Blu-Ray
NDLA : En raison de quelques incontournables torrents d’hémoglobine (seppuku* de l’amiral Onishi), nous déconseillons ce film aux enfants de moins de 12 ans.
* Tokkōtai : unité spéciale d’attaque
* Kempeitai : police de l’armée impériale
* Le capitaine Seki fut le premier commandant d’une unité « Tokkōtai »
* « For those we love » : « Pour ceux que nous aimons »
* Bushido : code moral des samouraïs
* Le révisionnisme, courant au Japon, ne reconnaît pas l’agression nippone. Elle nie les atrocités commises par les troupes (sac de Nankin, expérimentations sur cobayes humains, esclaves sexuelles, etc.). D’une certaine manière, il transparaît dans ce film.
* Toei : les studios qui, en 1975, produisirent le célèbre Goldorak
* seppuku : hara-kiri
Sur le tournage : de faux kamikazes dirigés par de vrais militaires.
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