Coup de cœur 2021 |
Somptueux ! Amateurs de publications à l’esthétique brillante, cassez vos tirelires pour cette bande dessinée aussi brillante qu’atypique. Enfin… vu son prix de vente (27,95 €) vous n’aurez peut-être pas besoin de sacrifier votre cagnotte. Et brillante, elle l’est vraiment… même si elle broie du noir, cette « couleur » qui prend toute la place sur les planches.
Le scénario. Ne comptez pas sur nous pour vous dévoiler celui de Kosmos*; ce serait gâcher votre plaisir. Juste Quelques éléments : 21 juillet 1969, Mission Apollo 11. Les 27 premières planches, dans un déroulement quasi-cinématographique, nous racontent l’histoire connue, avec les premiers pas de Neil Armstrong sur le sol de notre satellite. Et ensuite, une histoire qui aurait été cachée au public terrien, tant par les Américains que par les Russes : l’astronaute américain découvre… un drapeau rouge de l’URSS bien planté dans le sol lunaire, puis un module d’alunissage soviétique de type LK (l’équivalent du LEM américain), et enfin, au fond d’un cratère… un scaphandre. Celui-ci est occupé par un cosmonaute soviétique. Ou plutôt une cosmonaute. Elle est morte. Et là, hop ! Nous ne vous racontons plus rien. Analepse* : nous sommes quelques jours en arrière, à Baïkonour (URSS) où commence l’histoire qui contient la surprenante clé de l’énigme.
L’élégante couverture résume à elle seule toute la bande dessinée : du noir, beaucoup de noir entoure le visage angoissé de la jeune cosmonaute soviétique. Cela résume l’ambiance qui prédomine dans Kosmos. Et les seules traces de couleur sont des gris bleutés qui ne sont présents que dans des images représentant un commentateur terrestre. Et encore, elles sont fort peu nombreuses ; ce personnage, Mikhail Vouliakov qui intervient de nos jours sur une chaîne de télévision russe, puis deux autres personnes sur une homologue américaine. Comme on pourra s’en rendre compte sur les planches ci-dessous, ce n’est même plus du « noir sur blanc », mais du « blanc sur noir ». L’imprimeur a dû consommer une importante quantité d’encre noire, ce noir résumant bien l’ambiance de l’histoire et rappelant la couleur du ciel lunaire. D’un point de vue graphique, c’est aussi splendide que le scénario est réussi.
Les phylactères*, complètement absents au début de l’histoire, apparaissent (par éclipses) au fur et à mesure que nous avançons. Un précieux conseil au lecteur : tournez une page, mais avant de passer à la suivante, savourez celles qui sont sous vos yeux. En raison de l’absence de texte, vous auriez tendance à « consommer » ces pages de façon accélérée ; un beau gaspillage, même si le livre contient 160 pages. Cette tentation risque même d’augmenter au fur et à mesure de la lecture, le suspense augmentant la soif d’apprendre la suite.
Outre l’aspect récréatif de ce livre, Kosmos contient une sorte de « morale » par rapport à ces « fake news* » qui pullulent désormais sur internet. Les connaisseurs en matière de conquête spatiale (et de canulars s’y rapportant) trouveront parfois un clin d’œil à une histoire connue, comme la supercherie de Fontcuberta, évoquée par Pierre-François Mouriaux dans Vers le cosmos et au-delà.
Quoiqu’il en soit, si votre collection de bandes dessinées est prolifique, celle-ci tiendra le haut du pavé. Après l’exemplaire Kimono 22, voici, fait singulier, une seconde bande dessinée d’un tout autre genre dans nos « coups de cœur » de l’année 2021. Et lorsque l’on connaît la sévérité avec laquelle cette distinction est attribuée, on comprend qu’il faut vite se précipiter sur Kosmos avant que votre libraire ne vous réponde qu’il n’en a plus.
Philippe Ballarini
* Kosmos : Le titre Kosmos ne sort pas comme un lapin du chapeau de Mandrake. Ce terme recouvre depuis 1986 (la Glasnost chère à Mikhaïl Gorbatchev) une énorme quantité de missions spatiales soviétiques (environ 2500 !) dont l’objectif ou l’échec, voire l’existence, furent tenus secrets.
* analepse : flash back, retour en arrière, récit d’une action appartenant au passé.
* les phylactères : les fameuses « bulles » de la bande dessinée
* fake news : canular, bobard, mystification, attrape-nigaud, mensonge, etc.
160 pages, 22,6 x 29,8 cm, album cartonné
« ce n’est même plus du « noir sur blanc », mais du « blanc sur noir ». »
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Delcourt
L’une des scènes les plus dramatiques de Kosmos.
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Delcourt
À la descente de l’autobus (ЛАЗ-695 ?) qui les dépose au pied du monumental lanceur,
le visage crispé du lieutenant Khrounov contraste avec celui, déterminé mais calme, de Natalia Terechmariova. Un mauvais présage ?
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Delcourt
Une bouteille de vodka larguée dans l’espace. Un clin d’œil à l’un des canulars emblématiques de Fontcuberta ?
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Delcourt