Raymond Woessner, géographe, professeur honoraire de Sorbonne Université, ancien directeur du master Transport, Logistique, Territoire et Environnement a écrit ce livre à l’orée de la crise sanitaire de 2020. Ce petit livre de 200 pages est particulièrement dense et complet car couvrant tout le spectre de son sujet, bien au-delà des trois premiers mots du titre !
Son développement qui inclut l’amorce de l’incroyable coup de frein rencontré par le secteur aéronautique et aérien en 2020 a de quoi faire grincer les dents des plus ardents promoteurs du monde de l’aviation alors que certains d’entre eux (tels que Catherine Maunoury) appellent à un renouveau (*). Pourtant, deux mini crises avaient déjà donné un avant-goût d’un arrêt global des transports aériens : l’interdiction des vols commerciaux suite au 11 septembre 2001 et l’arrêt des vols européens en avril 2010 lors de l’éruption de l’Eyjafjöll. Courtes et accidentelles, elles n’ont pas éveillé les esprits aux conséquences d’une potentielle crise durable durant des mois … en dépit -depuis des décennies- de nombreux films évoquant des crises virales majeures (mais eux-mêmes focalisés sur des aspects survivalistes de petits groupes et non sur des aspects globaux et économiques).
Ce livre léger (270 gr) pèse pourtant lourd : en retraçant irrésistible envolée du transport aérien depuis les années Reagan et leurs implications de développement continu dans un monde fini, il (re)place le lecteur face à une évidence forcément dérangeante : cette croissante irréfrainée devait avoir une fin. Le point fort de l’ouvrage sont les explications des évolutions depuis quarante ans qui ont permis (par ex.) de passer d’une gestion matérielle et économique d’un aéroport à celle de macro-économie créant des pôles semblables à autant de systèmes solaires. Et en corolaire, de souligner l’envolée des commandes et livraisons d’avions lors du changement de millénaire (**).
Ces mises en perspectives – qui bien souvent échappent au quotidien des spotters, fanas et salariés du domaine aéronautique et plus encore au citoyen lambda – sont constamment illustrées par des références à des études et analyses, à des articles de presse, à des citations de responsables d’entreprises du secteur tout comme des administrations gouvernementales ou d’organismes internationaux (tels l’IATA)… mais aussi en tenant compte d’aspects plus anecdotiques (tels que les animaux en cabine).
Ce qui -avec quelques rares approximations ou erreurs- peut rendre brouillonne la lecture et pourrait inciter le lecteur à la facilité en se contentant de survoler la suite.
La concurrence et/ou la complémentarité avec le train (par ex.) souligne combien les meilleures performances de ce dernier ne se trouvent souvent que sur un axe point à point alors que l’avion est plus universellement répandu … mais en s’appuyant sur la politique du hub, fort bien expliquée (jusqu’à ses problématiques d’expansion, d’autorité, d’équilibre entre les différents acteurs (compagnies, états … et les seconds couteaux que sont les régions)). Chaque mécanisme est démonté, démontré et mis en perspective que ce soit sous l’angle historique, technique, économique, humain.
Abordant les questions de conception et de production des avions; de saturation des aéroports, du développement de ceux-ci quelque soit leur taille; mais aussi les compagnies aériennes (celles « historiques » et leurs alliances; les low cost; les régionales), de leur économie (achat des avions, prix des carburants, taxes, coûts du personnel, etc…); les questions plus globales de sécurité et de sûreté tout comme la pollution, le rôle des acteurs économiques et politiques et les actions des populations (usagers, résidents, militants) et bien d’autres domaines encore, le lecteur aura tout intérêt à s’accorder le temps de considérer et reconsidérer les aspects soulevés par cette étude bien moins provocatrice que ne le laisse supposer le titre de la collection à laquelle l’éditeur l’a rattachée. Une expansion ne peut être infinie et la douleur des réalités vient du fait que quasiment personne ne voulait l’envisager (en 2019, certains acteurs ne songeaient qu’au doublement du trafic global à l’horizon 2040). Et surtout pas dans sa brutalité actuelle ! En terminant ces écrits par les questions de prospective sur les futures motorisations tout comme l’évolution de la fin de vie des appareils (cimetière d’avion et désormais déconstruction … voire préservation), Raymond Woessner ne néglige aucun aspect avant de proposer sur trois pages une conclusion en cinq scénarios laissant ainsi le lecteur maître de sa propre réflexion.
Pas moins de cinquante graphiques et une quinzaine d’encadrés aideront chacun à comprendre les notions évoquées et à se faire une opinion, à prendre le recul pour saisir les échelles régissant un domaine où l’humain n’est plus forcément le maître-étalon. Une lecture sans doute exigeante mais qui enrichira par l’exposé des défis relevés tout comme les échecs rencontrés … et souvent gommés par d’éclatantes réussites parallèles. Le regard exhaustif est accompagné d’un avis que l’auteur a su présenter au milieu de plusieurs autres, soulignant combien l’avenir est entre nos mains. Or seul un esprit éclairé est libre et en mesure de choisir.
(*) au moment où ce livre sortait des presses, la présidente de l’Aéroclub de France publiait cet appel :
https://www.catherine-maunoury.fr/redevenons-des-pionniers-de-lavenir/
(**) ainsi, on (re)lira avec intérêt le livre anniversaire publié avec l’appui d’Airbus en 2018 (et notamment les pages liées à l’A320) :
Tous les Airbus naissent à Nantes, De Louis Breguet à Airbus http://www.aerostories.org/~aerobiblio/article6016.html
François Ribailly
204 pages, 15 x 21 cm, broché