La doctrine des forces aériennes françaises 1912-1976

Jérôme de Lespinois , Anne de Luca, Océane Zubeldia

Doctrine aérienne : toute idée théorique qui répond à la question « à quoi sert l’arme aérienne »; telle est la définition proposée par le lieutenant-colonel Jérôme de Lespinois dans une longue et intéressante introduction qui ouvre ce recueil soixante et un extraits de textes réglementaires édictés par les responsables des forces aériennes françaises depuis la création de celles-ci en 1912.

L’origine de ce travail se trouve dans une étude commandée en 2006 par l’armée de l’Air, pour tenter d’expliquer pourquoi celle-ci n’a pas su affirmer une doctrine propre, comme ont pu le faire ses homologues britanniques et américaines, adeptes toutes deux de la doctrine de l’Air Power. Sans remettre en question les arguments contemporains de l’analyse faite par les deux auteurs de cette étude, l’équipe du département « Air » du Service Historique de la Défense (SHD/Air) entend ici montrer qu’on ne saurait trouver l’explication historique à ce défaut intellectuel dans un supposé silence doctrinal remontant à l’Entre-deux-guerres, et qui serait la conséquence des violentes polémiques qui entourèrent l’émancipation d’une aéronautique militaire davantage préoccupée de technique et d’action, plutôt que de réflexion théorique. Guidé par le lieutenant-colonel de Lespinois, on découvre bien au contraire qu’une véritable réflexion sur l’emploi des forces aériennes transparaît dans ces « morceaux choisis », et ceci tout au long du XXe siècle.

Peut-être le plus grand mérite de ce singulier ouvrage est-il de sortir de l’oubli bon nombre de textes utiles à la compréhension de l’histoire de l’aviation militaire française, que l’on aborde le sujet en simple amateur ou comme chercheur. Incontestablement la lecture attentive de ces textes au style parfois un peu sec ouvre des perspectives de réflexion, mais sauf à posséder un vaste bagage en matière de théorie militaire, on ne peut s’empêcher de penser que le lieutenant-colonel de Lespinois nous abandonne un peu vite en chemin – chercheurs ou amateurs d’ailleurs – et on regrette qu’il n’ait pu développer ses idées dans un texte nettement plus long, dont ces soixante et un textes n’auraient finalement constitué qu’un appendice.
Comme il le rappelle, il est nécessaire de faire la part du théorique et du pratique – comme la part de l’organisation et de l’emploi, dans des textes qui sont essentiellement des instructions d’application, et ceci afin de tenter ce qu’il appelle une « archéologie des idées », pour reprendre une expression de Michel Foucault, mais le lecteur ne risque-t-il pas de se sentir démuni quant à savoir où tracer cette ligne de partage entre théorie et pratique ? Mais l’auteur peut-il lui-même tracer cette frontière, lorsqu’il se penche par exemple sur la naissance de l’aviation d’assaut à la fin des années trente ? Est-ce là un problème réellement théorique, tant il dépend des performances — par définition pratiques — des avions employés ?

Par ailleurs, cette distinction doctrinale entre théorie et pratique semble encore plus hypothétique sur le plan historiographique. Peut-on raisonnablement comprendre la pensée ou le point de vue des responsables militaires seulement à travers des textes qui ne portent que sur l’organisation à venir des forces aériennes ? La pensée des responsables de l’État-major ne pourrait-elle être explorée à travers la manière dont furent effectivement organisées ces forces, à travers la façon dont elles furent entraînées ?

Il est souvent reproché aux chercheurs des institutions para-universitaires liées à la Défense de trop se préoccuper de stratégie ou de doctrine et de ne pas assez se pencher sur « l’ordinaire du soldat », mais le présent ouvrage prouve que le sujet est loin d’être épuisé; il pourrait même connaître des développements originaux, pour autant qu’on élargisse quelque peu le champ des investigations.
Si l’objet de l’Histoire est avant tout de se poser des questions, la lecture de cet ouvrage collectif ne peut être que bénéfique à tous les lecteurs intéressés par l’histoire aéronautique militaire française, en attendant sur le sujet de futurs travaux plus développés.

Pierre-François Mary


408 pages, 16 x 24 cm, broché

En bref

La Documentation française

ISBN 978-2-11-007760-8

25 €