À l’occasion des commémorations du déclenchement de la Première Guerre mondiale, les responsables du Musée de l’Air et l’Espace du Bourget ont souhaité organiser une exposition qui renouvellerait l’image du rôle de l’aéronautique pendant ce conflit, image longtemps véhiculée par une littérature qu’on peine aujourd’hui à qualifier d’historique, et qui n’allait guère plus loin que l’évocation des exploits des « As » de l’aviation de chasse, 182 pilotes français parmi les 15 000 formés dans notre pays, même si la vie quotidienne sur les aérodromes y était souvent évoquée, d’une manière cependant trop souvent enjolivée.
Sans être à proprement parler un catalogue de l’exposition, ce livre en reprend les différents thèmes abordés, ainsi qu’une large part des photographies exposées, mais en offrant au lecteur un texte bien plus développé que celui des maigres panneaux explicatifs d’une scénographie assez décevante, cédant malheureusement aux tics des expositions de photographies qu’on peut rencontrer actuellement, dont la mise en scène considère davantage les clichés comme des œuvres d’art plutôt que des documents.
Pour nous en tenir à ce bel ouvrage, il reflète d’une certaine manière plus généralement les travaux récents des historiens de la Grande Guerre, parmi lesquels les chercheurs associés au centre de recherche de l’Historial de Péronne sont en passe de former une « école » — si ce n’est déjà fait, et dont l’étude de l’expérience des combattants est depuis de nombreuses années un cheval de bataille, sujet particulièrement important pour l’histoire aéronautique de ce conflit, mais qui doit composer avec un nombre très restreint de témoignages, comme le rappelle le « Péronnais » Nicolas Beaupré dans le premier chapitre qui constitue une réflexion plus large sur la valeur de ces récits.
Si l’esprit général de l’ouvrage est tourné vers l’histoire sociale, le chapitre suivant brosse un panorama chronologique qui permettra certainement au lecteur, qu’il soit amateur averti ou simple curieux, de recadrer ses souvenirs, résumé utile dû à l’historien Claude Carlier. Chaque type de mission rempli par les aviateurs donne lieu ensuite à une étude intéressante; à côté du chapitre consacré au bombardement par Antoine Champeaux, dont on connaît déjà les travaux consacrés à l’œuvre des frères Michelin dans ce domaine, on lira avec un intérêt particulier ceux qui abordent le sujet moins connu de la reconnaissance et surtout celui du réglage d’artillerie, ce dernier dû à la plume de Gilles Aubagnac, l’un des commissaires de l’exposition.
La partie consacrée aux « expériences combattantes » suit, autre thème particulièrement intéressant pour une arme dont les combattants pouvaient passer pour des « planqués » au spectacle du relatif confort de leur cantonnement loin du front et des frasques de certains d’entres eux lors de virées à Paris. Le chapitre évoquant les simples conditions de vol auxquelles s’associait en plus celle des combats, remet les choses à leur juste place, texte passionnant de l’autre commissaire de l’exposition, Clémence Raynaud. Notons que cette partie consacrée à l’expérience des combattants représente un intéressant point de rencontre entre les travaux du monde académique et les sujets de prédilection de bien des passionnés.
L’ouvrage continue ensuite en se penchant sur le développement de l’Aéronautique militaire française, avec une étude du recrutement et de la formation des pilotes – sujet trop souvent négligé, et deux chapitres consacrés à l’identité et la place que se cherchait alors cette nouvelle arme au sein des armées des notre pays.
Enfin, une évocation des problèmes industriels vient clore l’ensemble, en insistant sur les liens formés au cours des mois de combats entre les pilotes et les industriels.
La taille de l’ouvrage ne permet pas bien sûr de développer amplement chaque thème abordé, mais son prix modeste le rend particulièrement destiné au grand public, que celui-ci soit venu ou non visiter l’exposition du Bourget. Il devrait toutefois trouver un accueil favorable auprès des amateurs les plus exigeants, qui trouveront ici certainement de nombreuses informations inédites en dehors de leurs sujets de prédilection.
Si nous avons regretté plus haut certains choix de la scénographie de l’exposition, reconnaissons qu’elle nous permet, avec cet ouvrage, de (re)découvrir les superbes photographies conservées par le Musée, documents historiques passionnants au-delà de leur seule valeur esthétique. On ne peut que regretter une fois de plus qu’un grand nombre de ces images du passé restent trop souvent dans les tiroirs du musée, victimes d’une politique de droits incompatibles avec les moyens financiers de bien des chercheurs amateurs.
Nous terminerons sur une note positive en rejoignant les deux commissaires de l’exposition dans leur souhait que ce très beau livre soit un encouragement à développer l’histoire de l’aéronautique au cours de ce conflit, en renouvelant les approches thématiques du sujet, appel lancé on l’espère autant vers le monde universitaire que vers les nombreux passionnés qui explorent régulièrement les archives du Musée. La participation de « Péronnais » à ce travail nous conforte dans l’idée que l’avenir du Musée de l’Air et l’Espace passe immanquablement par une double mission de recherche et d’action auprès du grand public, ce qui a fait le succès incontestable du musée picard.
Pierre-François Mary
176 pages, 21 x 21 cm, couverture cartonnée
0,784 kg
Sous la direction de Gilles Aubagnac et Clémence Raynaud
Préface de Catherine Maunoury, directrice du MAE
Ouvrage coédité par les éditions EMCC, le ministère de la Défense, secrétariat général pour l’administration, Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives et le musée de l’Air et de l’Espace avec le soutien de l’Association des Amis du musée de l’Air.