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La Guerre aérienne

Hans Ritter

S’il est pratiquement inconnu en France, Hans Ritter (1893-1991) est considéré outre-Rhin comme l’un des précurseurs de la stratégie aérienne dans les années qui suivirent la Grande Guerre, même si il est encore aujourd’hui difficile d’évaluer sa réelle influence sur la création de la Luftwaffe. Avocat de la remilitarisation de l’Allemagne – il n’imaginait pas à terme une puissance économique de la taille de son pays pouvoir exister sans forces armées, il n’en dénoncera pas moins l’irresponsabilité du militarisme prussien qui avait entraîné les autres états allemands dans la catastrophe. Longtemps conseiller du constructeur Hugo Junkers, il s’éloigne progressivement des cercles officiels après la mise à l’écart de son patron par les nazis, pour finir par s’exiler en Suisse dans les années qui précèdent la deuxième guerre mondiale, tout en continuant à correspondre en particulier avec certains officiels britanniques. Tout cela est largement développé dans la très intéressante préface biographique de l’ouvrage, due à l’historien allemand Stefan Martens.

Si sa propre expérience de pilote puis d’officier d’état-major transparaît dans ses réflexions, parfois même assez techniques, on reste cependant confondu par une sorte de naïveté des idées de Hans Ritter, commune à d’autres penseurs de sa génération, quant à l’usage pratique des aéroplanes au cours d’opérations militaires, perpétuant d’une certaine manière cette vision héritée du XIXe siècle de manœuvres aériennes identiques à la navigation maritime, à laquelle il serait permis de monter ou descendre, illustrée dans notre pays par les ouvrages largement surévalués de Clément Ader, qui imaginera faire évoluer ses avions comme des escadrons de cavaliers à la parade…

Complétant le texte original de Ritter ― traduit pour la première fois en français, deux postfaces dues aux plumes des lieutenants-colonels Christophe Fontaine et Jérôme de Lespinois viennent replacer de manière pertinente ses travaux et les conclusions de son ouvrage dans leur contexte, travaux dont l’influence sur la naissance de la Luftwaffe, nous le disions plus haut, reste à confirmer; les presque dix années qui séparent la publication des travaux de Ritter de la renaissance des forces aériennes allemandes virent de tels progrès techniques qu’une extrapolation de ses conclusions durent paraître hasardeuses. Si on peut éventuellement trouver une filiation entre sa proposition de chasseur lourd biplace et le Messerschmitt Bf 110 ― programme que se révéla une erreur totale, on remarquera que son soutien à l’idée d’une force de bombardement stratégique, à l’instar de Douhet en Italie, ne fut pas vraiment suivi par les responsables de la Luftwaffe, surtout après l’abandon du programme de bombardier « Ural » en faveur d’une force aérienne aux missions essentiellement tactiques.

Quel intérêt présente alors un tel ouvrage, à moins de s’intéresser au détail de la pensée stratégique entre les deux guerres mondiales ?
C’est que la plus grande partie du texte de Ritter est un récit et une analyse de la part aérienne du conflit qui vient de se terminer et auquel, rappelons-le, il a participé aux premières loges, tant en unité qu’au sein de l’état-major allemand. Les ouvrages consacrés à l’aviation allemande au cours de ce conflit sont déjà assez rares, mais alors que depuis bientôt un siècle nous avons été inondés de récits épiques des exploits de prétendus chevaliers de l’air, les travaux de synthèse consacrés à ce conflit sont encore plus rares, et laissent encore dans l’ombre des pans entiers du sujet. Si le général von Hoppner, le dernier commandant des forces aériennes impériales s’attache surtout à décrire le coté allemand des combats dans son ouvrage « L’Allemagne et la guerre de l’air » devenu un classique, on trouvera ici une intéressante analyse des décisions alliées et même de l’état de l’Aéronautique militaire française avant le déclenchement de la Grande guerre.

À l’approche du centenaire de cette dernière date, on ne peut que chaudement conseiller la lecture de cette traduction inédite intelligemment commentée.

Pierre-François Mary


280 pages, 16 x 24 cm, broché

En bref

La Documentation française
CESA

ISBN 978-2-11-009322-6

21 €