L’Eure est un vaste département qui va de Gisors au sud de Beauvais jusqu’à l’estuaire de la Seine, et qui fit l’objet de nombreux aménagements aéronautiques pendant l’Occupation, comme ceux des aérodromes de Saint-André-de-l’Eure ou de Conches-en-Ouche ; alors que la plupart tentaient de camoufler leurs voies de circulation dans le paysage alentour, ce dernier représente même une forme de plate-forme générique tracée au cordeau. Le terrain auquel s’intéresse le présent ouvrage est moins connu, ne serait-ce par les plus rares vestiges qu’il a laissés, installé sur le plateau qui domine Pont-Audemer, au sud du village de Triqueville, à la pointe nord-ouest du département, près de la limite du département du Calvados, à tel point que l’on peut se demander si le titre n’aurait pas plutôt dû être La guerre aérienne en Baie de Seine.
Le livre s’ouvre sur une très bonne histoire des installations aménagées sur un site qui avait été déjà repéré par l’armée de l’Air ― les chemins d’exploitation étaient en cours d’arasement lorsque les troupes allemandes arrivèrent dans la région en juin 1940 ; dommage qu’un plan du terrain n’ait pas été inclus.
Suit une sorte de journal de marche de la Jagdgeschwader 2, très probablement largement inspiré de la série de référence due à Erik Mombeeck et Jean-Louis Roba — peut-on le reprocher aux auteurs, puis un recensement de toutes les attaques alliées dans lesquelles fut impliqué l’aérodrome.
Il se termine par divers chapitres consacrés à l’action de la Résistance autour du terrain, aux pertes allemandes dans la région et à la période du débarquement allié sur les côtes normandes, pendant laquelle la plate-forme retrouve une certaine activité ponctuelle.
Cette dernière partie est précédée par un très long chapitre qui représente plus du tiers de l’ouvrage, détaillant chaque accident d’un appareil allié autour de Pont-Audemer. Cet aspect a un intérêt mémoriel évident et il permet de rendre compte de l’intensité des combats, mais n’est-ce pas quelque peu disproportionné par rapport au reste du livre ? Par ailleurs, ce découpage entre activité et pertes pour chaque camp finit par nous faire perdre de vue la situation globale dans la région, qui aurait probablement été plus lisible grâce un texte synthétique accompagné de plusieurs annexes traitant de ces différents points.
Bien sûr l’histoire du terrain de Triqueville est le thème central de l’ouvrage, mais n’aurait-il pas fallu également s’intéresser, certes de manière plus succincte, aux terrains de Beaumont-le-Roger et Conches-en-Ouche, et même à celui d’Octeville, de l’autre coté de l’estuaire de la Seine, aérodromes proches qui virent également passer cette JG2 ?
Signalons une riche iconographie, fruit certainement de nombreuses années de recherche, faite de belles photos bien contrastées (on regrettera juste une vue aérienne du terrain en 1947 particulièrement mal cadrée ― alors que le cliché voisin de la même mission IGN l’est beaucoup mieux — qui place les installations entre les deux pages !).
Malgré des atouts non négligeables, l’ouvrage nous laisse un forme de regret : outre les réserves exprimées plus haut, certaines imprécisions nous semblent indignes de l’important travail de recherche manifestement mené par les auteurs ; comment par exemple peut-on, après des dizaines d’années de familiarité avec le sujet, encore affirmer sans ciller que des bombes en bois furent larguées par les Alliés sur le terrain leurre de Fourmetot* .
Pierre-François Mary
* On se reportera à la double recension de l’ouvrage « Wood for wood », en insistant sur le fait que l’accumulation de tels témoignages pour tous les faux terrains aménagés par les Allemands ne fait paradoxalement que rendre de moins en moins probable cette légende, dans la mesure où les milliers de pages écrites par des anciens membres d’équipage ou mécaniciens britanniques n’ont jamais livré le moindre témoignage de telles missions !
160 pages, 21 x 29,7 cm, couverture souple
0,620 kg