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La guerre en face [DVD]

Que sont nos soldats devenus ?
Cinéma des Armées

Une troupe qui marche derrière son fanion, dans la brume de chaleur, et un chant que l’on devine plus qu’on ne l’entend. Puis ce cercueil, recouvert des trois couleurs, porté par des hommes en uniforme au son d’Amazing Grace… Et c’est la voix d’un chef de corps qui énonce son ordre du jour : un mort, 9 blessés, qui, dit-il, ont « chèrement payé le service de leur pays en Afghanistan ». Regard dur, colère contenue des porteurs… Nous sommes le 4 septembre 2009 ; à Nijrab, en Afghanistan, le 3e Régiment d’Infanterie de Marine rend l’hommage de leurs pairs à ceux qui sont tombés. Manque, peut-être, au choc de ces images, l’arrivée discrète de ce cercueil dans un aérodrome français ; quelques militaires, une famille, la douleur pesante, un convoi funèbre anonyme, des obsèques dans l’intimité…

Ce DVD a de quoi surprendre. « La grande muette » qui communique à propos de sujets aussi sensibles que l’image du soldat français, la notion de Patrie, le sacrifice ultime ? Il faut que le malaise soit bien grand, diront les béotiens… Oui, Mon bon Monsieur. Il y a urgence à repasser au crayon gras sur des contours devenus bien flous…. C’est quoi, le service de la France ? Pourquoi, comment, la chair qui éclate, la mort qui prend ?

Bon… Il ne s’agit pas de dire que nous devons accepter ceci ou bien penser cela. Chacun peut se déterminer dans le sens qu’il souhaite. C’est cela, la démocratie. Mais encore faut-il savoir de quoi l’on parle. Que sont nos soldats devenus… Que sont désormais pour nous, Français, ces femmes et ces hommes qui font la guerre ailleurs, avec nos trois couleurs sur l’épaule ? Quelle est leur mission ? Comment pouvons-nous les regarder ? Que leur devons-nous ?

Dans la première partie du DVD, des experts, des officiers de haut rang, mettent en valeur la bascule historique qui s’est produite avec l’éloignement géographique de la guerre, et avec l’introduction de la politique de dissuasion.

En d’autres temps, l’acte de guerre consistait à protéger directement ou à délivrer le territoire national. Les soldats étaient des héros qui avaient sauvé la France… Mais sont venues les « guerres sales » : Indochine, Algérie… Et en plus, nous les avons perdues ! Malaise. Malaise de ceux qui avaient combattu dans les djebels, et ne comprenaient pas pourquoi tout un pan de leur vie était considéré comme illégitime, nié, même, par la collectivité. « Taisez-vous ! », dit l’un des intervenants du DVD.

Dans le même temps, par la volonté gaullienne d’inscription de la France comme « arbitre » de la politique des blocs, la dissuasion nucléaire a été instituée. Arme ultime, et Première. Terrible au point que sa finalité est de ne pas servir. La mission des militaires, désormais, allait être d’éviter la guerre. Fort bien ! Quel humanisme, quelle pensée élevée aurait pu dénier cela ?

Et puis les guerres s’éloignaient de nos frontières. De ci, de là, des conflits locaux apparaissaient, s’enlisaient dans une horreur dont la petite lucarne pouvait désormais rendre compte sans provoquer un scandale national. Dormez tranquilles, braves gens ; ceux qui tuent et qui meurent sont dans d’autres pays.

C’est à cette époque que sont apparues les « opérations extérieures » ; un vocable assez imprécis pour susciter le moins de questions possible… « Les scories de la décolonisation », écrivait un éditorialiste. Des soldats français envoyés dans un pays étranger pour assumer des accords de défense, préserver les intérêts de la France,

la liberté des peuples… Mais de cela, personne n’avait envie d’entendre parler. Du coup, la figure du combattant de France a disparu de nos écrans, de nos esprits. Le narrateur nous le rappelle : « Qui sait, parmi nous, que depuis la fin des années soixante la France a été présente sur plus de 160 théâtres d’opérations ? »

Ainsi, également la disparition du service militaire a-t-elle été envisagée… La conscription était au temps de paix ce qu’était la mobilisation nationale au temps de guerre, mais la bombe atomique pourvoyait fort bien à la sacralisation du territoire national… Et de toute manière il ne pouvait être question d’envoyer des appelés, sous-entraînés et moyennement équipés, se faire tuer à l’étranger. Du coup, ils ne servaient plus à grand-chose…

Pour ce qui est des témoignages de terrain, le film est centré sur le 3e RIMA. Le « Grand Trois » fut le premier régiment professionnalisé, dès 1969, et s’est illustré dans toutes les opérations extérieures des cinq décennies écoulées. Ses personnels en ont payé le tribut. Cash, comme on dit : 4 morts, 12 blessés durant l’opération Tacaud, au Tchad en 1978 ; 2 morts, 17 blessés sous mandat ONU en ancienne Yougoslavie en 1995, au cours d’une seule action, la reprise du pont de Vrbanja à Sarajevo… Et il y en a, de la densité, dans ces voix, dans ces regards… Rien que cette affaire de Vrbanja, avec l’exceptionnel moment d’humanité que constitue le récit du colonel Lecointre, qui commandait sur place, justifie de regarder ce DVD…

Des morts, des mutilés oubliés, cachés, anonymes. C’est un ancien d’Afghanistan qui nous le dit : « on est un peu dans l’ombre, et on ne va pas en parler tous les jours parce que les gens…Les gens n’ont pas envie d’entendre certaines choses. C’est la guerre. C’est la guerre, là-bas. Vous vous rendez compte, les gens, au journal de vingt heures ? »

Ainsi entend-on dire qu’après tout, c’est leur métier, à ces militaires… Ainsi le pouvoir politique est-il accusé, à tort ou à raison, de récupérer la douleur habilement médiatisée des familles, pour s’en détourner ensuite… Tous les morts français d’Afghanistan ont-ils bénéficié d’un hommage national ? La réponse est non. Et ceux d’avant ? Tombés en Côte d’Ivoire ou ailleurs ?…

Que sont nos soldats devenus ? C’est tout le mérite de ce film remarquable que de dire ce qui est, et de poser avec vérité de judicieuses, nécessaires questions. Quant aux réponses… C’est à chacun d’entre nous d’apporter les siennes. C’est cela, la démocratie. Mais encore faut-il savoir de quoi l’on parle…

Philippe Boulay


– Durée du film : 90 min
– DVD vidéo / Dolby Digital / Pal 16:9 / Toutes zones/compatible stéréo
– Réalisateur : Patrick Barbéris

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