La Grande Muette l’est-elle encore vraiment ? Ce n’est pas une question anodine, car nous voyons maintenant paraître de façon régulière des témoignages de soldats et d’aviateurs à propos de leurs carrières et souvent même les opérations en cours. Bien sûr, le capitaine Romain, premier pilote de Rafale à publier un récit relatif aux opérations aériennes en Afghanistan, et Brice Erbland, dans son récent ouvrage sur le Tigre, ne disent pas tout ― et c’est heureux ― mais sommes-nous face à une nouvelle vague de littérature militaire comme celle que la Grande-Bretagne a connu (en particulier avec ses SAS) et à laquelle elle a finalement mis le holà ?
En attendant, réjouissons-nous, car voici un nouveau pavé dans la mare ! Et le mot « pavé » n’est pas galvaudé, car ce récit fait 460 pages : un programme copieux où l’auteur, pilote issu de l’École de l’Air ― donc un « direct » ― raconte dans le détail sa carrière opérationnelle et entre dans le détail de nombreuses missions effectuées au cours des différents conflits qui ont émaillé son parcours.
Breveté chasse à Tours en 1998, l’auteur, Marc « Marco » Scheffler ― il a un autre « callsign » que je vous laisse deviner ou découvrir dans le livre ― a été immédiatement affecté sur Mirage 2000D à Nancy, au 3/3 Ardennes. Pilote opérationnel en 2000, il participe à ses premières Opex, en Afghanistan et en Afrique, dans les Balkans. Après un séjour comme instructeur à Cognac, il retourne à Nancy, cette fois au 2/3 Champagne, escadron avec lequel il effectue plusieurs nouveaux détachements en Afghanistan et participe aux opérations en Lybie. Après 2200 heures de vol sur le « Diesel », et environ 150 missions de guerre, il raccroche après une dernière mission opérationnelle au départ de Kandahar et se trouve désormais à l’école de pilotage de Cognac. Ce parcours est assez peu classique, en particulier pour un « direct », mais l’auteur ne cache pas qu’il a toujours privilégié son métier de pilote de combat à sa carrière, et c’est vrai que celle-ci en pâtit un peu – sans oublier sa vie familiale.
Mais ce ne sont pas ces considérations qui sont le principal objet de La guerre vue du ciel. Non, ce sont vraiment les missions qu’il a effectuées qui constituent la matière première de ce récit à la première personne. Celles qu’il a choisi de relater le sont en détail… Et en dehors de données sensibles, l’auteur dévoile tout, de la complexité de l’organisation de ces grandes coalitions internationales, des lacunes de son outil de travail, jusqu’aux épisodes cocasses des négociations en plein vol avec les JTAC ou les ravitailleurs et les coups de gueule contre ses ailiers. « Marco » n’a pas toujours été un « pilote facile » mais ne s’en cache pas ; un bel exemple de sincérité.
Nous voilà bien au cœur de l’action, à ses côtés, à bord de son Mirage 2000D, assistant en direct au travail difficile de l’appui-sol, de l’équilibre délicat du travail en équipage avec son NOSA* dont le rôle est ici magnifiquement mis en lumière. Certains recevant même des hommages mérités de la part de l’auteur.
Bien sûr, ces récits, d’une très haute teneur et d’un rythme assez trépidant, sont emplis de jargons, d’anglicismes, de barbarismes militaires contemporains, mais l’éditeur a eu la bonne idée de placer le lexique en début d’ouvrage ce qui simplifie d’entrée l’accès à certains termes car si vous n’êtes pas (encore) familiers avec des termes comme « Rover, 9Line, JTAC, PIC ou UMPC » vous allez l’être rapidement !
C’est peut-être pour donner un ton plus enlevé à ses récits de combat que l’auteur s’est adjoint les services de Frédéric Lert, auteur à la verve incomparable, pour améliorer son récit et pour le conseiller dans l’écriture de cet ambitieux témoignage. Quelle bonne idée ! Et une initiative à suivre. Le travail conjoint est ici est sensiblement payant, le récit ne se perdant pas, comme souvent lorsqu’il s’agit de rédiger ses mémoires, dans des détails qui n’ont de l’importance que pour leur auteur et qui peuvent parfois, nuire à la qualité, au rythme ou à la pertinence du récit. Ainsi ce livre a sans doute été largement expurgé, mais il reste ces 460 pages de pure adrénaline.
Superbement rédigé, ne s’embarrassant pas avec les détails futiles, presque entièrement consacré aux opérations de combat, ce livre est un témoignage surprenant de franchise et terriblement prenant. Avec ce portrait saisissant, mais sans concession, du métier de pilote de chasse aujourd’hui, et parce qu’il a été rédigé avec un soin tout particulier, ce livre risque de faire date. Il est aussi prenant et difficile à lâcher dès qu’on l’a commencé. N’est-ce pas là l’apanage des très bons livres ?
Frédéric Marsaly
480 pages + cahier photo 16 pages
Format 150 x 230 mm, broché
NOSA : Navigateur Officier Systèmes d’Armes
À l’occasion du Carrefour de l’Air, l’équipe d’ASV-TV a interviewé Marc Scheffler, auteur de l’incontournable La Guerre dans le Ciel, histoire de faire le tour en cinq minutes de quelques sujets comme l’origine du projet, l’organisation du travail entre les deux coauteurs, les réactions de sa hiérarchie et celles de ses confrères.