Coup de cœur 2011 |
Jean-Christophe Carbonel professe un goût immodéré pour les appareils bizarres, les prototypes mort-nés, les appareils qui auraient pu voler si… N’en sourions pas : sans auteurs pour se pencher sur des sujets aussi marginaux, nous en serions à nous contenter de quelques bribes d’articles disséminés dans des magazines. Avouez que cela présente un tout autre intérêt que la énième monographie du Messerfire Mk 109. Et en matière de bizarrerie, difficile de faire mieux que le Coléoptère de la SNECMA ! Un ADAV* doté d’une aile annulaire et, qui plus est, propulsé par un réacteur, le tout au milieu des années cinquante, cela fait beaucoup ! Cela vola (un peu), puis retomba et on n’en parla plus. Et pourtant… ce Coléoptère futuriste était porteur de bien des espoirs.
Revenons sur le titre : nous ne lisons pas Le SNECMA C-450 Coléoptère, mais bien La SNECMA, von Zborowski et le Coléoptère. Comme nous l’allons voir, la nuance est de taille : nous ne sommes pas à proprement parler dans le cadre strict d’une monographie, mais bien dans celui de l’histoire d’un appareil, mais aussi de bien des sujets connexes.
Après une brève introduction sur le concept d’ailes annulaire, des pionniers comme Givaudan aux projets de Reiniger lors de la Seconde Guerre mondiale, on en vient à un chapitre étoffé sur la personne de Helmut von Zborowski et de ses différents travaux au sein de son bureau d’études, le BTZ, où apparaissent clairement son idée fixe quant à l’aile annulaire… et son aptitude à la décliner à quantité de projets… dont un appareil amphibie.
Dans les années cinquante, l’ennemi désigné de l’Europe occidentale était bien évidemment l’URSS, laquelle disposait d’une armada de bombardiers stratégiques dont on pensait qu’ils prendraient pour cibles prioritaires tous les terrains d’aviation, d’où cet engouement subit, dans les pays de l’OTAN, pour des ADAV*. Comme s’il n’était pas suffisamment novateur, le Coléoptère était un « tail sitter**« . Avec les réacteurs de la série des Atar***, héritiers des BMW 003 du Troisième Reich, les techniciens français disposaient d’une base saine ; encore fallait-il que cet Atar soit profondément remanié de manière à pouvoir fonctionner durablement de façon verticale. Ce fut la naissance du C-400 P-1 sans pilote à bord, puis du célèbre P-2 « Atar volant », où un intrépide pilote d’essai était assis en plein air au-dessus du réacteur Atar. Encore une fois, ce chapitre, qui mène tout droit au Coléoptère, est abondamment renseigné et illustré.
Le texte consacré au démonstrateur C-450 Coléoptère s’avère étonnamment court, puisqu’on passe très vite… à la description de la remorque ! (après néanmoins 9 pages de planches techniques). On passe ensuite à la courte vie du gros insecte jusqu’à la narration détaillée de son accident et l’abandon du programme. Nombre de procédures sont évoquées dans le détail.
On pourrait croire que l’ouvrage s’arrête là, mais que nenni ! Nous n’en sommes qu’à la moitié. Là où habituellement on voit le titre « Annexes » s’affiche un alléchant « Les dérivés du Coléoptère », suivi de « L’après-Coléoptère ». Amateurs de science-fiction des années cinquante, vous allez vous régaler, car là, on a droit à du grand Carbonel ! « JCC » s’est lâché sur et nous livre un torrent de projets, avant-projets, Coléoptère stratosphérique, nucléaire, sans pilote, pour passagers, etc. Blake et Mortimer peuvent aller se rhabiller.
Voilà donc un ouvrage aussi atypique que l’appareil qu’il évoque. Volontiers présenté comme document pour maquettiste en raison des très nombreuses illustrations, plans et photos (dont certaines en couleur et beaucoup inédites), il dépasse cette simple approche, même s’il s’agissait initialement de celle de l’auteur. L’histoire y a largement sa part, les considérations techniques un peu moins. Il s’agit néanmoins d’une indéniable réussite. Publier tout un volume sur « l’aventure Coléoptère », il fallait oser ! C’est le domaine de prédilection de Jean-Christophe Carbonel et c’est perceptible.
Philippe Ballarini
224 pages, 21 x 29,7 cm, relié
French/English bilingual captions
Préfaces de Madame la Comtesse Zborowski et de Pierre Lhoste
– Coup de cœur 2011 des aérobibliothécaires.
* ADAV : aéronef à décollage et atterrissage verticaux. La nomenclature anglo-saxonne les nomme VTOL : Vertical Take-off and Landing aircraft.
* * Tail sitter : littéralement, « assis sur la queue ». Se dit des ADAV reposant sur leur empennage.
*** ATAR : Atelier Technique Aéronautique de Rickenbach, créé en 1945 en Allemagne dans la zone d’occupation française.