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La véritable histoire du Petit Prince

Alain Vircondelet

Quinze jours à peine après la sortie de Saint-Exupéry, l’ultime secret, voici La véritable histoire du petit Prince ! Ce qui pousse à croire qu’il y en ait eu de fausses. Décidément, notre écrivain pilote, en disparaissant en juillet 1944, ne pouvait imaginer que sa biographie nourrirait autant la littérature du XXIe siècle que ses auteurs !

Nous devons ce nouvel ouvrage à Alain Vircondelet, déjà auteur d’un Saint-Exupéry paru en 1994 aux Éditions du Chêne, et d’autres œuvres particulièrement pieuses parmi lesquelles nous trouvons deux biographies de Jean-Paul II, des introductions au Journal de ma vie de Thérèse d’Avila, à Sainte Lydwine de Schiedam, à la cathédrale de Huysmans, un livre sur Le monde merveilleux des images pieuses, un autre intitulé Je vous salue Marie, etc. Ce rappel, qui peut paraître ennuyeux pour les lecteurs, n’est pas anodin car il laisse pressentir le contenu de La Véritable histoire du petit Prince.

En 1942, Antoine de Saint-Exupéry est sur le sol américain, à New York, depuis le dernier jour de l’année 40. Il a choisi la voie de l’exil car l’image de sa chère France bafouée, tombée aux mains de l’ennemi, l’insupportait. Pour combler son ennui et sa solitude, il prépare le futur Citadelle. Il n’est pourtant pas seul puisque ses amis, son éditeur, ses multiples maîtresses et son épouse Consuelo sont près de lui, attentifs, compatissants et complaisants. Il passe ses journées et ses nuits à se lamenter sur une guerre qu’il vit de l’extérieur, sur le groupe d’exilés français qui, pense-t-il, montent sans arrêt des cabales contre lui. Il pressent l’Apocalypse, s’enferme dans ses rêves mystiques, se plonge dans les étoiles et pleure sur ses tendres années. À plus de quarante ans, il n’a réussi à faire le deuil de son enfance ; le cordon ombilical est là, intact. Tel le Petit Poucet, Saint-Exupéry a semé des femmes sur sa route et sur sa vie. Éconduit par Louise de Vilmorin, il est passé de bras en bras, de maîtresse en maîtresse, tout en jurant fidélité à Consuelo, sa chère, volcanique mais inséparable épouse. Ah, s’il pouvait se blottir sur le sein de sa chère Maman ! Alors, pour sortir de son néant, il recrée l’étable de Bethléem. Il déifie sa mère, elle est Marie et lui, bien évidemment, son cher petit, le Sauveur. Il se terre dans son « Solesmes », transfiguré tout à coup par la révélation et tout devient sublime jusqu’à ce qu’il retombe dans la triste réalité.

Pour endiguer sa mélancolie, son éditeur lui propose, un jour de 1942, d’écrire un conte pour enfants. À défaut de poursuivre la rédaction de Citadelle qui exige trop de concentration pour un être fragilisé, Saint-Exupéry s’emballe sur cette idée. Ses amis, ses maîtresses, son épouse vont redoubler d’attention pour que leur cher Antoine exorcise son mal-être à travers ce projet. Il a déjà crayonné sur une table de bistrot les traits enfantins du personnage mais comment trouver une belle histoire ? Son enfance était si douce, si belle, si tendre, au coin du poêle dans la grande maison d’Agay, près de sa mère. Il a trouvé : cette histoire d’enfant sera sa propre histoire. Et puis, il fera des dessins « pour que les grandes personnes puissent comprendre. Elles ont toujours besoin d’explications. »

Cette commande ne parviendra pas toutefois à changer les états d’âme de notre écrivain. Au gré des déménagements, il se rend compte que l’Amérique n’est que désharmonie, désillusion, désespérance et désolation. Sa raison se délite dans la dépression et il erre comme une pauvre âme, désemparé et désabusé. Il est rare de tomber sur une page de La véritable histoire du petit Prince qui ne contienne pas un mot précédé du préfixe « dé ». On découvre un homme taraudé par le doute, hanté par la mort, l’appelant même de tous ses vœux, mystique, d’un égoïsme « flamboyant », intolérant et intolérable. Il tyrannise son entourage jusqu’à réveiller son épouse en pleine nuit pour réclamer des œufs ou déranger ses amis pour leur faire la lecture d’un chapitre ou l’accompagner dans une promenade interminable.

Si la volonté de l’auteur était d’émouvoir les lecteurs, il s’est fourré le doigt dans l’œil. Depuis sa conception dans l’incertitude, on assiste à un accouchement aux forceps d’un ouvrage qui se veut philosophique. Une fois le livre terminé, on a davantage envie de se lamenter sur le sort de Consuelo, épouse admirable d’abnégation et de courage, que sur son sempiternel insatisfait de mari maniaco-dépressif. Étrangement, la thèse du suicide lors de sa disparition le 31 juillet 1944 en deviendrait tout à coup la plus plausible. Saint-Exupéry n’était sans doute pas fait pour vivre à son époque. Il y a eu une erreur de casting.

Corinne Micelli


220 pages, 14 x 23 cm, couverture souple

En bref

Flammarion

ISBN : 978-2-08-120901-5

18 €