Si je prends la plume aujourd’hui, c’est pour vous parler d’un ouvrage de haut vol qui vient de paraître, L’aérodynamique de l’avion subsonique expliquée aux oiseaux. L’auteur, Jean-Paul Vaunois, se définit lui-même comme « architecte d’avions ». C’est joli et amplement justifié car ce polytechnicien, par ailleurs pilote, est entré en aérodynamique il y a plus de quarante ans. Que ce soit pour son travail ou simplement par plaisir, il a mis son talent, ses connaissances et la rigueur de son raisonnement au service d’un peu tout ce qui vole, des avions les plus légers aux engins de rentrée atmosphérique. C’est donc un oiseau rare qui se propose de nous donner la becquée. Mais en fait de becquée, les connaissances dont cet ouvrage va essayer de nous nourrir se mesureraient plutôt en pelletées, et nous verrons qu’il ne faut pas avoir un appétit d’oiseau pour s’y attabler !
Les oiseaux parlent aux oiseaux ? Rassurez-vous, la partie rédactionnelle du livre est écrite en français très conventionnel, et il ne vous faudra pas faire un effort de compréhension d’un quelconque dialecte aviaire, apprendre à jacasser comme une pie par exemple, mais vous pourrez toujours roucouler en pensant au plaisir – un peu masochiste – de la lecture à venir.
Au contraire, on ne les voit pas vraiment apparaître, les oiseaux ; à part peut-être lors d’un ou deux clins d’œil en fin d’ouvrage. Et heureusement, car ils auraient certainement eu du mal à suivre, ce travail ne s’adressant pas vraiment à des cervelles de moineaux. Bien au contraire, pour en apprécier l’envergure il sera conseillé de posséder un minimum de bagage scientifique, ainsi que l’habitude de suivre une démarche du type « exposé d’une thèse/démonstration/synthèse » pour garder la concentration nécessaire.
Nous sommes plus en présence d’un livre de cours pour élèves-ingénieurs que d’un manuel de vulgarisation. Chassez le naturel, il revient au grand pas ! Les théories et phénomènes sont bien expliqués, mais pas en termes « grand public ». Cependant, lorsqu’on a franchi le seuil psychologique de cette pédagogie à la hussarde, quand on a réussi à s’accrocher et à accepter que l’auteur nous prenne sous son aile, ce livre se révèle très enrichissant.
On révise beaucoup de sujets, et on en apprend plein de choses. J’ai apprécié par exemple le tableau présentant les 21 (!) sources de traînée pour un DR-340, l’explication qu’un train tricycle bien caréné peut présenter moins de traînée qu’un train classique, l’exposé de l’optimisation des entrées d’air d’un capot-moteur, etc. J’ai adoré la démonstration de la traînée de refroidissement, un pur moment d’application didactique dans la décomposition du phénomène, histoire de me faire mentir quant à mes commentaires pédagogiques précédents !
Et Jean-Paul Vaunois aime aller à l’encontre des idées reçues. On jubile à le voir balayer les préjugés sur le couple gyroscopique sur un avion, sur l’obligation de voler bille au milieu, sur le mauvais refroidissement des cylindres arrière d’un moteur ou sur le prétendu gain de poids apporté par un train classique.
L’auteur, comme pour nous remercier d’avoir suivi jusque là, termine son ouvrage par une application à la conception d’avions monomoteurs, puis bimoteurs, de tout ce qu’il nous a rappelé ou appris, avec des commentaires sur certains appareils bien connus et les choix auxquels ils ont répondu.
Le texte est parsemé de petites citations, parfois réelles, parfois imaginaires, et souvent amusantes dans le contexte. Il est également illustré de quelques photos en couleur, et surtout de nombreux schémas et tableaux.
Vous pouvez donc vous embarquer au fil de ces pages sans craindre d’y laisser des plumes. Il faut juste vous accrocher, ne pas vouloir aller trop vite dans cette lecture, et vous verrez que petit à petit, l’oiseau fait son nid. C’est l’initiation rituelle des premiers chapitres qui vous permettra d’apprécier particulièrement ceux de la fin et les enseignements qu’ils apportent.
Un petit regret ? Que le nom de Bernoulli soit écorché la plupart du temps (mais pas toujours) en « Bernouilli ». (C’est un dada sur les Aéroforums que de rappeler que le grand Bernoulli n’était pas une nouille).
Si le livre est bien en fin de compte à déconseiller aux oiseaux, et en particulier à ceux que parfois les trucs chouettes effraient, aux têtes de linottes et à certaines buses redoutant des explications trop volatiles, il peut être sans problème recommandé au genre humain, et spécialement aux esprits curieux qui souhaitent rafraîchir ou enrichir leurs connaissances.
Jean-Noël Violette
156 pages, 21 x 29,7 cm, couverture souple
Préface de Jean-François Clervoy