Nul n’ignore que l’armée de l’Air créée le 1er avril 1933 (15 ans jour pour jour après la Royal Air Force) ne naît pas de néant, mais d’une « aéronautique militaire » encore puissante, après avoir été la plus importante force aérienne au moment de l’Armistice du 11 novembre 1918.
De nombreux historiens se sont penchés sur son difficile chemin vers l’indépendance – et qui ne sera encore que toute relative, mais comme nous l’avions fait remarquer à propos de l’Histoire de l’armée de l’Air – au demeurant excellente – publiée par Patrick Facon à la Documentation Française en 2009, à lire ces travaux qui analysent en détail les manœuvres politiques et autres querelles d’états-majors qui ont émaillées ce parcours, on finirait pas oublier que cette aéronautique militaire fut aussi constituée de milliers d’hommes qu’il fallut recruter, former, équiper, encadrer et entraîner chaque jour de ces quinze années.
Parmi toutes les raisons qui concourent à cet état de fait historiographique, le faible nombre de documents réellement opérationnels qui ont été conservés est peut-être un facteur essentiel, imposant au chercheur une sorte d’archéologie des sources, qu’elles soient issues des grands corpus traditionnels (SHD ou archives nationales), mais aussi de la Presse, des archives familiales ou autres, travail nécessairement de longue haleine; c’est probablement une familiarité acquise de longue date avec le sujet qui a permis à Bernard Palmieri et Patrice Gaubert de publier ce volumineux travail, qui n’a pas l’ambition d’être une histoire complète de l’aéronautique militaire française entre 1919 et 1934, mais plutôt de dresser le portrait détaillé de ses unités tel qu’il a évolué au cours de cette période, à travers un certain nombre d’aspects caractéristiques.
Chaque unité fait l’objet d’un chapitre monographique rassemblant une grande quantité d’informations sur son organisation, ses stationnements, ses matériels, etc.
Que ce soit à propos de l’organisation interne des régiments ou de leur transformation progressive en escadres à partir de la fin de l’année 1932, le lecteur y trouvera de nombreuses informations assez différentes de ce qu’on l’on a pu lire dans des publications plus anciennes, comme par exemple les deux Docavia consacrées à l’aviation militaire française pendant l’entre-deux-guerres que nous devons à Jean Cuny et Raymond Danel, des ouvrages bientôt demi centenaires qui restent cependant des références reconnues; très probablement ces « corrections » viennent-elles d’une lecture plus fine des sources disponibles – en particulier par une meilleure différentiation entre décision de l’état-major et exécution en bas de chaîne hiérarchique, mais on regrettera que les auteurs ne nous en disent pas plus. De même aurait-on souhaité, dans un ouvrage qui se veut une « synthèse des connaissances accumulées », plus de détails sur l’organisation hiérarchique de ces unités, en particulier sur les différents liens de subordination les reliant aux régions militaires puis aériennes – et pour certains régiments – à des corps d’armée dans les années qui suivent la guerre, plus de détails également quant aux dates d’emploi des différents types d’avions pour lesquels il faut se contenter d’une année d’arrivée.
Finalement, ce sont les « traditions » des unités de l’aéronautique militaire qui semblent composer la véritable trame de l’ouvrage, et même plus particulièrement leur symbolique, aspect que l’on retrouve traité en détail sous la forme de planches d’insignes, de nombreux profils d’avions dessinés par Patrice Gaubert, mais aussi à travers une iconographie largement constituée de « portraits » d’avions portant ces insignes. On lira avec intérêt un long article consacré à ce sujet et placé en annexe, mais il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que ces traditions sont composées d’un certain nombre de faits qui constituent pour chaque unité militaire une forme de mémoire héroïque et glorieuse: victoires aériennes, personnels morts au combat, commandant d’unités, décorations et citations, etc. au sein de la jeune arme qu’est l’aviation, ces traditions ne sont encore pour les unités qu’une mémoire récente, presque immédiate, en perpétuelle évolution (on en retrouvera une bonne description « Les escadrilles de l’aéronautique militaire 1912-1920« , ouvrage publié par le Service historique de l’armée de l’Air en 2004, auquel Bernard Palmieri avait activement participé, et dont le présent travail se revendique être la suite logique). Les années qui suivent la fin de la guerre constituent pour ces traditions une période charnière, car lorsqu’une nouvelle organisation de l’aéronautique militaire est mise en place à partir du 1er janvier 1920, avec des régiments qui ne sont plus constituées que d’escadrilles numérotées, elles semblent se figer dans le souvenir de la Grande Guerre en même temps qu’elles s’institutionnalisent, alors qu’elle continuent à vivre à travers la nomination de nouveaux commandants d’unités, l’attribution de nouvelles distinctions, hélas également par la disparition au combat de nouveaux personnels sur les théâtres d’opérations extérieurs (Levant et Maroc, essentiellement), mais peut-être au premier chef à travers la symbolique de ces unités qui en forme certainement l’aspect le plus vivant, celui auquel les aviateurs sont le plus attachés, comme le prouve leur réticence à abandonner un insigne né après la fin de la Grande Guerre mais déjà chargé d’une valeur mémorielle importante, quand leur unité se voit « imposée » par l’état-major les traditions plus glorieuses d’une escadrille depuis longtemps dissoute.
Comme souvent, ce sont chapitres traitant des unités les moins importantes qui apportent le plus d’informations inédites, pour le moins rassemblées pour la première fois au sein d’un même ouvrage : unités coloniales, détachements en Europe orientale dans les mois confus qui suivent la fin de la guerre, unités d’instruction, d’essais, etc. La somme d’informations publiée nous fait d’autant plus regretter, comme nous l’avons déjà noté pour d’autres sujets plus haut, une véritable présentation synthétique de la formation des différents personnels, du ravitaillement en matériel des unités depuis les services techniques jusqu’au dépôts, etc, qui aurait parfaitement trouvé une place dans la longue introduction qui rappelle, sous la forme d’une éphéméride, les grandes étapes de l’organisation de cette aéronautique militaire française, depuis un état succinct de l’état dans lequel elle se trouve au moment de l’Armistice jusqu’au décret instituant l’armée de l’Air le 1er avril 1933 – laquelle ne sera complètement organisée que l’année suivante par une loi du 2 juillet 1934. Notons que malgré un titre marquant la fin de leur étude à 1934, que les auteurs ont fait le choix de ne pas évoquer l’organisation des escadres qui apparaissent à partir de 1932, considérant probablement que l’histoire de celles-ci relèvent de l’armée de l’Air – il nous faudra donc attendre un futur ouvrage…
Enfin, et plutôt à l’adresse de l’éditeur, on regrettera une mise en page peu pratique, avec un sommaire des plus réduit qui nous condamne à chercher entre les pages 29 et 161 l’une parmi la quinzaine de grandes unités stationnées en métropole, un système de notes qui mélange des sources de référence avec des informations indispensables à la bonne compréhension du texte, et des tableaux parfois encombrés de textes redondants qui les rendent peu lisibles.
En conclusion, on comprendra la relative déception de l’auteur de ces lignes à la lecture d’un ouvrage qui constitue pourtant une exceptionnelle somme d’informations, où les spécialistes de la période – auxquels le livre s’adresse avant tout – trouveront largement matière à mettre à jour leur propres connaissances. Pour utiliser une analogie photographique, on pourrait dire que les auteurs nous donnent une bonne image d’ensemble de l’aéronautique militaire française au cours de cette période, image qui est parfaitement mis au point sur les traditions des unités la constituant, mais qui aurait mérité une meilleure « profondeur de champ ».
Pierre-François Mary
– 306 pages, format, 21 x 30 cm, relié, couverture rigide.
– 1,4 kg