Coup de cœur 2019 |
Cet ouvrage est rassurant en plusieurs points. D’une part, il nous prouve qu’il existe encore des éditeurs suffisamment résolus pour publier des ouvrages dont le sujet sort franchement des chemins battus. D’autre part, ce livre ne voyant le jour qu’après qu’un certain nombre de souscriptions aient été enregistrées, on se réjouira du fait que cela fut obtenu dans un délai plutôt court, signe que les amateurs ne sont pas aussi indifférents au sujet qu’on aurait pu le croire.
Le « grand public » — et même une proportion non négligeable d’amateurs avertis — a le plus souvent une vision faussée de la Seconde Guerre mondiale, surtout à ses débuts. Ce conflit, qui passe pour une guerre très mécanisée, a fait largement appel à des moyens qui passent volontiers pour archaïques. On oublie par exemple qu’en juin 1941, aux premières heures de l’opération Barbarossa, l’armée allemande entrait dans le territoire de l’URSS avec pas moins de 625 000 chevaux. Si l’armée française avait quasiment abandonné la cavalerie, elle disposait néanmoins de 400 000 chevaux en 1940. Dans le même registre, l’armée de l’Air ne se résumait pas à des avions : l’aérostation était bel et bien présente (et active). Ainsi, il serait paradoxal de se considérer comme très intéressé par l’armée de l’Air de la Seconde Guerre mondiale et de faire l’impasse sur l’aérostation. D’autant plus que le sujet ayant jusqu’à ce jour été fort peu défriché, les découvertes seront nombreuses à la lecture du livre L’aérostation de l’armée de l’air 1934-1946.
Bernard Palmieri, qui a officié pendant quatorze années au SHAA* puis au SHD*, explique en introduction les raisons de la naissance de ce livre : « Étonné et attristé par l’oubli total dans lequel les aérostiers de l’armée de l’Air étaient tombés, victimes immédiates de la défaite de 1940, il m’a paru utile et légitime de tirer de l’ombre ces hommes et ces matériels. » Certes, ce livre sacrifie à sa manière au sacro-saint « devoir de mémoire », mais ce n’est pas, loin s’en faut, son unique intérêt : un esprit à la curiosité éveillée s’y plongera avec délectation. Le sous-titre précise : les unités, les opérations, les matériels. Il y a donc de la matière qui est propre à satisfaire des intérêts variés.
Cet ouvrage est scindé en deux grandes parties. La première est dédiée à l’aérostation d’observation. On y trouvera une présentation des unités d’aérostiers de l’entre-deux-guerres, puis la guerre du Rif (1925-1926), avant les opérations de la « drôle de guerre » suivies de celles de mai-juin 1940. Sont évoqués dans ce chapitre les ballons sphériques, des « saucisses » diverses (aérostats captifs), mais également des engins bien moins connus — et ici largement détaillés — que sont les « motoballons ». Rien ne semble avoir échappé au souci du détail de Bernard Palmieri : organigrammes des unités, techniques et procédures de mise en œuvre, opérations aériennes… Quant à l’iconographie, elle atteint des sommets : très nombreuses photographies d’époque (inédites), insignes (remarquablement reproduits), fac-similés de documents, excellents profils de Patrice Gaubert…
Si elle est plus courte, la seconde partie, dédiée à l’aérostation de protection, ne manque pas d’intérêt. De quoi s’agit-il ? Des dispositifs de ballons captifs (sans nacelle ni personnel à bord) dont le but est de tisser un réseau de câbles aériens destinés à empêcher l’accès à une zone par des avions ennemis. Ce qui à l’époque était présenté comme une « ligne Maginot de l’Air » est là encore largement détaillé, dans ses matériels, ses principes d’utilisation et ses mises en œuvre. L’ouvrage rappelle, documents à l’appui, que l’ensemble des belligérants ont fait appel à l’aérostation, et ce jusqu’à la fin du conflit. Ballons d’observation, captifs ou motorisés, ballons de protection… tous furent présents sur bien des lieux ou des théâtres d’opérations, depuis les rades militaires des USA jusqu’aux grandes villes d’URSS.
L’ouvrage n’aurait pas été complet sans les pages que l’auteur a consacrées aux tenues, à la symbolique et aux traditions, sans les dix pages de tableaux d’unités (avec identité du commandant, stationnements, dates importantes…) Même les tampons humides des commandants d’unité sont reproduits dans une page dédiée à la marcophilie ! Mais puisqu’il faut bien émettre une petite remarque : les notes de lecture sont reléguées en fin d’ouvrage, ce qui n’est guère pratique.
L’ouvrage brille par son exhaustivité, sa variété et sa construction, mais également par une iconographie remarquable. Encore une fois, la qualité Lela Presse est au rendez-vous, tant en ce qui concerne le contenu que par la mise en page, l’impression et le façonnage. Décidément, cet éditeur semble avoir pris un abonnement aux coups de cœur de l’Aérobibliothèque ! Voilà bien un livre après la consultation duquel on est nécessairement plus instruit quant à l’armée de l’Air et à la Seconde Guerre mondiale.
Philippe Ballarini
120 pages A4 (21 x 29,7 cm), relié
0,700 kg
env. 100 images, 8 profils de Patrice Gaubert
– Collection Histoire de l’Aviation N°40
– Les autres ouvrages de la collection Histoire de l’aviation
* SHAA : Service Historique de l’Armée de l’Air
* SHD : Service Historique de la Défense. Né en 2005 de la fusion des SHAT, SHAA et SHM.