Dans les années 1950 et 1960, le programme spatial soviétique réalise ses plus grands coups d’éclat. Mais ceux-ci ont lieu dans un quasi-anonymat : obsédées par le secret, les autorités ont classifié les identités des responsables de ces succès – en particulier Korolev. Seuls les cosmonautes font exception, et surtout le premier d’entre eux : Youri Alekseïevitch Gagarine. Un fils d’ouvriers, mécanicien, devenu symbole du rêve soviétique… et désormais cloué au sol, personne ne voulant prendre le risque de le voir mourir en mission.
Malgré le sous-titre, ce n’est pas une biographie de Gagarine qu’Alex Nikolavitch nous raconte. Il parle bien plus largement de la conquête spatiale, n’hésitant pas à faire des petits sauts de l’autre côté du Pacifique pour voir les progrès des États-Unis et de Von Braun. Il joue également l’équilibriste avec les personnages, Korolev en particulier étant à la fois celui qui envoie froidement Laïka à la mort ou qui lance des capsules habitées en estimant à une sur deux leurs chances de succès, et celui qui s’inquiète pour ses cosmonautes et pousse à multiplier les essais inhabités pour fiabiliser les engins. Le résultat est plaisant, rythmé, assez fidèle à l’Histoire et assez complexe pour convaincre.
Aux pinceaux, Felix Ruiz opte pour un rendu semi-réaliste traditionnel, relativement épuré et très lisible. Les différents personnages sont bien reconnaissables et la mise en couleur joue habilement des palettes pour faire comprendre les changements de contexte. Sans être irréprochable (notamment sur les mouvements parfois un peu statiques), c’est un travail propre et convaincant qui rappelle çà et là des dessinateurs classiques comme Edgar P. Jacobs.
Quand on mélange les alphabets, il revient difficile de s’y retrouver : pourquoi Spoutnik fait-il « BIR-BIR » ?
Reste un élément qui nous laisse dubitatifs : les mélanges d’alphabets. Les décors soviétiques utilisent tout naturellement l’écriture cyrillique, les dialogues sont évidemment en caractères romains, mais les pages de titre et les interjections mélangent les deux en utilisant du cyrillique par pure similarité graphique dans des textes en français – Д pour A, И pour N, etc. Pour ceux qui lisent les deux alphabets, cela donne des mots difficiles à décoder, comme le symbolique « BIR-BIR » de Spoutnik 1…
C’est d’autant plus dommage qu’en dehors de ce délire de graphiste, le scénario bien mené et le dessin efficace forment un récit entraînant, qui raconte le premier acte de la conquête spatiale sous un angle original.
Franck Mée
104 pages, 21 x 29 cm, relié couverture cartonnée, 600 g
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Avec l’aimable autorisation des © Éditions 21g