L’armée de l’air : Arrêt sur images

Collectif SHD – SIRPA

L’armée de l’Air est mentalement prisonnière de sa date de naissance officielle, qui est en réalité la date d’émancipation (non sans douleurs) totale de la tutelle organique (mais pas totalement doctrinale) de l’armée de terre, dont elle n’était jusqu’alors alors qu’une branche : « Née au début du XXème Siècle, l’aéronautique militaire acquiert ses lettres de noblesse pendant la Grande Guerre avant d’être érigée au rang de cinquième arme par la loi du 8 décembre 1922. Il faut cependant attendre le décret du 1er avril 1933, complété par la loi du 2 juillet 1934, pour que l’existence de l’armée de l’air soit définitivement reconnue » (p.10). Voilà qui explique pourquoi cet « album de famille » publié par la seule entité armée de l’air débute par une photo d’un Bloch 200 et qu’on n’y trouvera ni Blériot, Nieuport, Spad, Breguet, etc. antérieurs à 1934…

Dès l’ouverture du livre, en regard de la fameuse loi de 1934 livrée in extenso, nous découvrons une sympathique affiche de recrutement (de « communication », aujourd’hui) intitulée « Pour un navigant, 56 spécialistes – Armée de l’Air Renseignements C.E.A.A. Villacoublay » suivie par la préface du général Stéphane Abrial (chef d’état-major de l’armée de l’air, CEMAA jusqu’en 2009) qui s’achève ainsi : « Ces instantanés […] devraient sans doute susciter des vocations auprès des plus jeunes qui désirent rejoindre une institution fière de ses traditions et confiante dans l’avenir ». Engagez-vous, rengagez-vous qu’ils disaient ? Bien qu’ayant servi – non sans fierté – plus d’une quinzaine d’années sous le « bel uniforme des aviateurs », j’ai toutefois un peu tendance à me méfier des publications institutionnelles en général, forcément consensuelles, « vitrines » formatées pour des anniversaires obligatoires destinés à rappeler l’existence desdites institutions et susciter des vocations… Et même si je me délecte goulûment du nectar de la langue française, je me méfie également des grandiloquences telles que « Si chaque photographie se suffit à elle-même et raconte sa propre histoire, heureuse ou dramatique, elle participe également à la narration d’une aventure encore plus grande qui magnifie et dépasse le destin de chacun ». Mais ne boudons pas notre plaisir et essayons de voir de quoi il retourne exactement.

La préface du CEMAA et du général Gilbert Robert, chef du Service historique de la Défense, constituent les seuls textes, les « notices d’emploi » de l’ouvrage, exception faite des quelques lignes introductives aux chapitres qui divisent le volume en quatre grandes périodes, ainsi réparties : 1934-1944 « De l’indépendance à l’épreuve de la guerre », 1945-1962 « Entre guerre froide et conflits de décolonisation », 1963-1989 « Force de frappe et opérations extérieures », et enfin 1990-2009 « Face aux défis présents et futurs ». Ainsi, de 1934 à 2009, chaque année – spécifiquement titrée, ainsi « Nouvelles opérations en Afrique » pour 1977) est présentée sur deux pages en vis-à-vis où l’on retrouve quatre photographies le plus souvent, trois plus rarement, « évoquant l’ambiance qui régnait alors ou illustrant des faits qui ont marqué les contemporains ». Et le général Abrial de nous préciser aussi qu’il ne peut en aucun cas s’agir d’un travail exhaustif ou encyclopédique : « Les auteurs ont dû faire des choix, préférant parfois valoriser des clichés peu connus mais symboliques et esthétiques plutôt que d’autres plus fameux, mais aisément disponibles ». Des pages d’histoire qui « […] illustrent l’évolution de ses missions, de son organisation, de son matériel, les multiples visages de son personnel, ou encore quelques-unes des grandes figures de l’Air » (général Robert)

Album de famille : en effet, à des époques différentes, ils parsèment le livre, tous ces spécialistes de l’affiche de recrutement, tous ces anonymes qui œuvrent silencieusement pour que les avions puissent décoller et les pilotes (surnommés « cochers ») rentrer sains et saufs de mission : (dans le langage actuel, sans certitude d’orthographe) les « pistards », « pailleux », « soutiers », « choumacs », « cocoyes », « pétafs », « trans », « crotteux », « sopo », etc. Toute personne ayant vécu, même brièvement, ou côtoyé l’armée de l’Air peut ainsi s’exclamer « J’y étais, là » avec moult anecdotes que, parfois, les Anciens concluent avec amertume par un : « Quand tu quittes l’armée, elle t’oublie, tu n’es plus rien ». Ainsi, qu’est devenu ce mécanicien, calot vissé de travers sur la tête, qui détourne fugitivement le regard vers l’objectif en 1949 alors qu’il s’affaire sur le Vampire en cours de réarmement ? Ou encore cette infirmière pilote secouriste de l’air (IPSA) qui s’entraîne au parachutisme en 1951, équipée d’une combinaison de saut américaine de la Seconde Guerre mondiale ? L’histoire a-t-elle enregistré les émotions fortes qu’ont pu ressentir les civils embarquant dans un Noratlas à Brétigny en mai 1968, alors que l’armée de l’Air assure le transport de passagers et de fret urgent à la place des compagnies civiles en grève ? Et encore ce fier appelé du contingent lors d’une cérémonie de présentation au drapeau du contingent le 18 avril 1969, pistolet-mitrailleur Mat 49 au « portez arme » à la hanche, face au général Martial Valin en personne ? Au fil des pages, nous croisons également des personnalités – ainsi le « corsaire des airs » Yves Ezanno en 1941 – et comment ne pas avoir une pensée particulière pour certains disparus : Michel Croci (abattu aux commandes de son Jaguar au Tchad le 25 janvier 1984) et Caroline Aigle, brevetée en 1999 pilote de chasse (la légende photo ne le précise pas mais nous savons les terribles circonstances de sa disparition subite en 2007) ?

Si chaque photo se suffit à elle-même et raconte sa propre histoire, nous apprécions toutefois pour chacune d’entre elle la sincérité des légendes (les « 640 avions allemands de tous types abattus » à la fin de la bataille de France en juin 1940), leur précision et sobriété dignes des meilleures revues spécialisées. Naturellement, pour chipoter un peu, il y avait peut-être à certains endroits suffisamment de place dans la mise en page pour essayer d’y glisser après coup quelques mots supplémentaires (ainsi, le général de Gaulle faisait-il partie de l’expédition britannique contre Dakar en 1941, ou encore les Mirage V vus à Cazaux en 1972 avaient certes une « avionique simplifiée du Mirage III E » mais parce qu’ils étaient destinés initialement à Israël, où les conditions météo sont autres qu’à Colmar !). Mais le travail des « phototécaires » ne doit naturellement pas nous empêcher de nous poser des questions – c’est un peu le but du jeu aussi car à choix forcément subjectif des auteurs répond bien sûr une l’interprétation personnelle des lecteurs, y compris la mienne d’ailleurs qui n’a pas valeur absolue – tel un « spotter » ou un « fana » (mais qu’a donc le général Joseph Vuillemin sur la tête le 16 août 1938 ? Un équipement de vol ou autre chose ?) ou de faire des comparaisons, des parallèles instructifs savoureux : entre le PC enterré de la défense aérienne, place de la République à Paris en 1955 (ou des appelés manœuvrent des râteaux, comme lors de la Bataille d’Angleterre en 1940 !) et la « cuve » du Centre Opérations des Forces Aériennes Stratégiques de Taverny vingt ans plus tard, entre la bonhomie des Français et les « géants » américains (André Maroselli posant à côté de Dwight Eisenhower en 1951, le général Pierre Fay – CEMAA en 1954 qui serre la main au général américain Parker). Deux clichés de tuyères modernes nous ont également frappés. La première : le très moderne Rafale exposant toujours en 2009 au sol, devant lui en arc de cercle, toute la panoplie de ce qu’il est capable de tirer, dans le meilleur style des photos de 39-45. La seconde : un Mirage 2000 pris en vue plongeante vers le bas, en cours de maintenance en 1999 à Istrana avec matériel au sol (groupe, Trafic, etc.) : n’étaient les mécaniciens bien réels et affairés, on jurerait un fidèle diorama au 1/48e où le modéliste aurait oublié le couvercle de son petit pot de peinture Humbrol 19 Gloss Bright Red à côté de l’extincteur de piste !

Et la qualité du livre dans tout cela, est-elle au rendez-vous ? S’agissant des photographies, l’ensemble est d’une très belle tenue, excepté peut-être un Transall enneigé de 1968 dont on ne distingue pas grand chose. On pourrait peut-être s’étonner de ce que le premier cliché couleur présenté (un H-34 en pleine action durant les opérations d’Algérie) le soit à l’année 1960 seulement : renseignements pris auprès de l’un des auteurs, ce serait véritablement l’esthétique et l’intérêt des photos qui auraient été privilégiés, sans chercher à tout prix l’intégration d’un maximum de vues en couleur. Pour éviter l’austérité d’un volume où l’ensemble de ces photos auraient été présentées symétriquement sur les deux pages en vis-à-vis (rappel : trois ou quatre clichés par année), la mise en page mixe des tailles de photos différentes avec les légendes, une seule photo se retrouvant parfois en pleine page mais hélas aussi quelques-unes à cheval sur les deux pages en vis-à-vis : le vol de deux Flamant 315 en 1959, en plein sur la reliure du livre, est nettement moins beau… Mais le résultat final est véritablement homogène, très agréable et la couverture particulièrement soignée participe aussi à faire de ce livre une petite publication « de luxe » à un prix abordable, institutionnelle certes, mais à destination du « grand public » sans aucune restriction. Lequel « grand public » ne sera cependant peut-être pas très « réceptif » à la postface du CEMAA, formatée tel un ordre du jour lu au front des troupes : « Quelle sera la suite de cet ouvrage ? Quelles images illustreront les 50 prochaines pages ? Il appartiendra aux aviateurs d’aujourd’hui et de demain de les écrire. Je sais que les futures générations sauront se montrer à la hauteur des tâches qui les attendent et y répondront avec le même enthousiasme que leurs aînés ». Ce petit clin d’œil mis à part, mon général, vous avez raison sur l’essentiel : l’équipe qui a construit ce livre l’a fait avec passion et professionnalisme…

Syndrome de l’œuf et de la poule, où l’une est contenue dans l’autre et réciproquement : pourquoi l’armée de l’Air ne se déciderait-elle pas un jour à s’affranchir de la seule loi de 1934 pour envisager sa date de naissance en 1922 ou aux débuts de l’aéronautique militaire ? Naturellement, elle serait alors un peu moins « jeune » ; or cette image d’une arme récente, essentiellement technologique, parfois considérée comme désinvolte par les camarades de la « terre », est un socle important de sa notoriété ! Rendez-vous dans cinq ans, pour les 80 ans ?

Georges-Didier Rohrbacher


Préface du général Stéphane Abrial, chef d’état-major de l’armée de l’air

Introduction du général Gilles Robert, chef du Service historique de la Défense
176 pages 20 x 27 cm, relié couverture rigide


PS : Puisqu’il a été notamment question de « Communication », apprécions hors la recension du livre cette petite précision bucolique relevée et qui télescope singulièrement toutes ces images guerrières : « L’armée de l’air a adopté une attitude responsable dans le domaine du développement durable : toutes les bases aériennes mènent quotidiennement des actions de protection de la nature, de maîtrise des pollutions et des consommations d’énergie ainsi que de réduction des gênes sonores. Certaines initiatives de plus grande ampleur préfigurent ce que sera l’armée de l’air de demain : réaménagement de la base de Dijon pour favoriser l’usage du vélo, réhabilitation de la base d’Orléans dans un esprit de développement durable ou encore projet de construction d’une ferme photovoltaïque de 60 hectares sur la base d’Istres ».

armée de l'air 75 ans
armée de l’air 75 ans

En bref

Service historique de la Défense
Service d’information et de relations publiques de l’armée de l’air

ISBN : 978 -2-1109 – 6340 – 6

29 €