La guerre est un phénomène extrêmement complexe qui, depuis que l’homme maîtrise l’écriture, fait l’objet de récits, de rapports, de réflexions et d’études. Ce phénomène si complexe a été profondément et radicalement modifié par l’apparition et le développement de l’aviation. Non seulement, à ses débuts, l’aviation a modifié la guerre sur le champ de bataille mais elle est devenue, au fil du XXe siècle, une arme indépendante qui a développé ses propres principes et ses propres modes d’action.
À l’aube du XXIe siècle, les derniers conflits récents montrent que la guerre est devenue essentiellement aérienne et que la stratégie militaire va, à l’avenir, s’appuyer de plus en plus sur une coopération interarmées à dominante aérienne et s’articulant autour des moyens aérospatiaux. Il n’existait, en langue française, que peu d’ouvrages permettant de comprendre cette évolution de la stratégie et il n’existait pas d’ouvrage de référence sur la guerre aérienne, son fonctionnement et ses déclinaisons. La période prolifique de la littérature « aérienne » remonte, pour la France, aux années 20 et depuis, le sujet était tombé dans une léthargie secouée de temps en temps par des personnalités particulières comme Paul Stehlin ou Michel Forget.
L’Art de la Guerre Aérienne comble magistralement ce vide dans la littérature stratégique française. Le colonel Régis Chamagne est un penseur doublé d’un homme de terrain qui a effectué une carrière de pilote de chasse, en particulier sur Mirage F1 et Mirage 2000, dans différents domaines de la guerre aérienne et il a également occupé des fonctions d’analyse stratégique et de ciblage au sein de l’Etat-Major des Armées.
L’Art de la Guerre Aérienne propose une étude très complète de la guerre aérienne. Le terme « guerre aérienne » est d’ailleurs un peu réducteur, puisque ce traite non seulement des caractéristiques de la guerre dans les airs mais également depuis les airs. Après une très belle étude de la stratégie aérienne dans l’histoire, le colonel Chamagne entreprend de poser les fondements les plus basiques qui composent l’action aérienne, ne reculant pas devant certaines évidences qu’il est pourtant essentiel de rappeler. Par exemple, l’air recouvrant 100% de la surface du globe, il n’existe pas de zones hors de portée, de façon absolue, de l’aviation et celle-ci peut intervenir sur tout types de terrains puisqu’elle n’est pas limitée par un relief trop escarpé ou des cours d’eaux à franchir.
L’auteur aborde avec la même minutie différentes approches de la guerre aérienne avant de se livrer dans une deuxième partie à une description détaillé du fonctionnement « sur le terrain » de la guerre dans les airs et les impératifs de stratégie et de commandement qui doivent être honorés pour mener une guerre aérienne efficace. On s’aperçoit ainsi de façon flagrante à quel point la guerre dans le milieu aérospatial est une guerre spécifique qui ne peut pas être conduite comme une guerre terrestre et qu’elle ne doit pas non plus, bien au contraire, être envisagée comme faisant partie d’une stratégie terrestre ou navale. Le rôle primordial et « leader » des aviateurs apparaît comme une évidence, même si bien sûr, il ne peuvent à eux seuls remplir tous les aspects de la complexité extrême d’un conflit.
L’Art de la Guerre Aérienne tente d’expliquer la guerre aérienne dans ses fondements, ce en quoi il s’apparente au fameux De la Guerre de Clausewitz et son titre même évoque l’œuvre stratégique de référence L’Art de la Guerre de Sun ZI. Et même s’il peut être présomptueux de comparer ce livre à ces illustres références, il n’en reste pas moins que le colonel Chamagne réussit le tour de force d’expliquer en détail les fondements de la guerre aérienne sous différents angles complémentaires et de les mettre à la portée des non-spécialistes puisque ce livre peut très aisément ce lire sans bagage militaire ou stratégique, pour peu que l’on s’intéresse au sujet et que l’on veuille apprendre. La qualité et l’accessibilité de l’Art de la Guerre Aérienne en feront sans doute un ouvrage incontournable pour quiconque voudra parler sérieusement de stratégie militaire.
Comme on l’a dit précédemment, malgré quelques efforts louables, la pensée aérienne française est en sommeil, un sommeil dangereux et coupable, depuis les années 20 et l’Art de la Guerre Aérienne tombe à point nommé pour tenter de relancer la réflexion stratégique aérienne dans un pays qui, en 1918, était incontestablement la première nation aérienne du monde !
L’Aérobibliothèque s’associe d’ailleurs à cet effort en créant une thématique Stratégie et Doctrine Aérienne dont l’Art de la Guerre Aérienne du colonel Régis Chamagne sera, sans doute pour longtemps, un « ouvrage-phare ».
Timothy Larribau.
– Préface du général (air) Michel Forget.
228 pages, couverture souple.
– Coup de cœur Aérobibliothèque 2005.
– Prix Estrade-Delcros (Académie des sciences morales et politiques) 2005