Ce livre est un roman. Mais quelle personnalité autre que celle de l’éphémère « homme du monde » fumant son éternelle Khédive*, sacré maintes fois King of the Air**, aux commandes de son Antoinette***, pouvait mieux se prêter à un tel transport ?
Car c’est sous le charme énigmatique d’Hubert Latham qu’est tombée Christine Lapostolle, accrochée par les volutes suspendues à la cigarette d’Hubert, ses reflets figés sur la plaque de verre peu de temps avant qu’il n’aille décrocher les 155 mètres du record de hauteur au meeting de Reims Bétheny en ce début de soirée du 29 août 1909.
L’auteur, Christine Lapostolle, professeur en histoire de l’art à l’école des Beaux-Arts de Quimper, nous entraîne dans un style simple léger et direct, non seulement à la (re)découverte du personnage dont les faits connus sont parfaitement respectés — à quelques minces détails prés — ce qui témoigne d’un travail de recherche conséquent et précis quant au « héros », mais aussi envers ses pairs autant que le contexte de l’époque, ceci dans une habile dérive temporelle où elle se met en scène dans les pas de Latham à la recherche de ses « héritiers »…
Chez Latham, c’est l’ange déchu qui intrigue, car de celui qui jouissait pourtant d’une immense popularité à travers ses multiples records, on retient surtout ses deux échecs dans la traversée de la Manche dans le « duel »qui l’opposa à Louis Blériot, la quinzaine d’Antoinette cassées dans divers accidents terrestres et marins dont il se tira toujours sans une égratignure, et la prédiction confirmée par Marie Marvingt (qui fut son élève) qu’il mourrait jeune mais pas en avion, ce qui d’après ses propres paroles semble l’avoir libéré de toute angoisse quant à ses évolutions aériennes… et surtout s’est avéré exact puisqu’il trouvera la mort lors d’une chasse au buffle en Afrique à la frontière tchadienne en 1912.
Christine Lapostolle en fait son champion toutes catégories de l’élan libertaire vers un destin sans lendemain voulant se jouer des contraintes physiques pour se diriger vers une terre promise inatteignable. Ses pas la mènent à Sangatte, terre d’envol puis tunnel de passage, mais aussi pas de porte bien présent de ces chérubins déchus sans toilette venus des contrées les plus lointaines et se retrouvant calés là, dans ce véritable cul de sac en trompe-l’œil de leur destin, en proie aux affres répétées du ressac incessant d’une volonté contrariée par un univers dont ils sont devenus effet.
Vaille que vaille, c’est au château de Maillebois, dans l’Eure, demeure familiale des Latham, que Christine finit par se rendre. Probablement est-ce le dernier endroit qui soit empreint des dernières traces des exploits d’Hubert. On y esquisse une Antoinette au repos qui suspendit son vol le temps d’un arrêt dans le parc à côté de la Coccinelle Grégoire****, véritable œuvre d’art tout autant que garçonnière ambulante.
Réussira-t-elle enfin à percer le mystère de cette ultime planche de salut vers un nouveau monde ?
Thierry Matra
154 pages, 13,8 x 21 cm , broché
* Khédive : cigarettes égyptiennes de luxe qu’Hubert Latham fumait généralement à l’aide d’un fume-cigarettes en ivoire.
** King of the Air : Roi de l’air
*** Hubert Latham fut pilote d’essai des avions Antoinette, société créée en 1904 par Léon Levavasseur et Jules Gastambide, ainsi baptisée en l’honneur de la fille de Gastambide.
**** La « Coccinelle Grégoire » n’a bien entendu rien à voir avec la machine de chez Volkswagen qui parut bien plus tard, ni avec l’ingénieur Jean-Albert Grégoire, grand apôtre (et précurseur) de la traction avant et de l’usage massif de l’aluminium dans l’automobile (entre autres).
– Ce livre s’est vu décerner le Prix Guynemer 2013.
La voiturette Grégoire d’Hubert Latham, étrange monoplace qui comprenait lit de camp et lavabo, devant son Antoinette, pendant les manœuvres de Picardie en septembre 1910