L’aventure aéronautique en Normandie (1920-1940)

La base aérienne n°131 de Caen-Carpiquet
Une naissance bien difficile
Thibault Richard

L’évocation de l’aérodrome de Caen Carpiquet nous renvoie immanquablement à la Seconde guerre mondiale : l’occupation allemande et les unités de la la Luftwaffe qui y opéraient contre l’Angleterre, l’évasion des Français Libres Boudard et Hébert aux commandes d’un Bücker Jungmann au nez et à la barbe de l’occupant, les combats du débarquement de Normandie… Quasiment inconnue est la période précédant la débâcle de juin 1940 : essayer de la retracer relève déjà de la gageure, car les archives du Service Historique de la Défense sont presque inexistantes pour l’entre-deux-guerres.

Ce défi apparemment relevé par Thibault Richard, on pense sans doute retrouver dans son livre une classique énumération chronologique la plus exhaustive possible, enrichie d’anecdotes et de biographies. Et c’est pourtant un propos bien plus ambitieux que l’auteur – docteur en histoire contemporaine et aussi spécialiste en polémologie – nous invite à découvrir : « Comment en 1940, la base de Caen-Carpiquet réussit-elle à être tout à la fois l’une des plus modernes de France et un concentré de dysfonctionnements ? »

Problématique intéressante à double titre. Par son intérêt historique bien sûr, là où rien n’existait jusqu’ici, mais aussi parce qu’elle n’a rien perdu de son actualité : une aventure née de l’enthousiasme suscité par une nouvelle technologie et de ses perspectives de développement, avec ses enjeux humains et économiques, ses contradictions. Ainsi, à la fin des années vingt, il ne suffisait pas que Caen ait son aéro-club (parmi la quinzaine existant dans le Calvados), il s’agissait surtout d’initier une véritable dynamique, de créer de toutes pièces un véritable aéroport régional, pour désenclaver une région mal desservie par les transports terrestres et créer des emplois.

Difficile fut effectivement la naissance. Le contexte était certes porteur, avec le développement du transport aérien, la volonté des pouvoirs publics de rationaliser cette industrie, la création d’une Aviation Populaire susceptible de favoriser cette dynamique auprès du plus grand nombre, l’arrivée de la jeune armée de l’Air aussi. Car devant les difficultés de financement du projet normand, les conflits d’intérêts et les insuffisances locales, seule l’implication de l’État pouvait en effet être déterminante, grâce à la création simultanée d’une base aérienne. Laquelle fut finalement instituée et au prix de bien des difficultés en août 1939 : la guerre menaçait, le projet d’aéroport civil attendrait des jours meilleurs.

Caen-Carpiquet, base aérienne modèle, pouvait-elle faire mieux que les autres ? Ses quelques installations – certes modernes et prometteuses – à peine sorties de terre, de nombreuses unités essentiellement d’instruction (notamment pour les Polonais exilés) s’y entassèrent dans l’urgence. Devant l’impréparation générale, l’improvisation, les insuffisances du commandement et de l’administration, une doctrine aérienne balbutiante, des matériels obsolètes et les premiers accidents aériens, « mettre en route, organiser, instruire, motiver, sanctionner… [était] une trop vaste tâche », constate Thibault Richard, qui analyse méthodiquement les dysfonctionnements structurels et humains, des origines du projet civil/militaire jusqu’au 17 juin 1940, point final de l’étude.
Un livre sobre et agréable à lire, riche de notes de bas de pages, d’annexes, de l’indication détaillée des sources utilisées, d’une bibliographie indicative et d’index, qui comprend en outre seize pages centrales de photographies et de plans. Pour avoir (modestement) œuvré une dizaine d’années au défunt Service Historique de l’Armée de l’Air et connaissant bien les maigres archives concernant Caen-Carpiquet, j’affirme que ce livre, par le travail de recherches et de recoupements qu’il a nécessité mais aussi par son architecture et sa rigueur, ne dépareillerait pas les publications de l’institution – tout en n’ayant pas un côté rebutant que l’on trouve parfois aux travaux académiques, bien au contraire. Espérons qu’il y aura une suite de la même veine…

Thibault Richard, qui travaille plus particulièrement « sur les comportements des populations en temps de guerre et l’importance de la logistique dans les armées occidentales au cours de la période contemporaine », a également publié cinq titres chez le même éditeur.

G-D Rohrbacher


260 pages, 16 x 24 cm, couverture cartonnée, plastifiée souple
– Préface de Brigitte Le Brethon, député-maire de Caen

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Éditions Charles Corlet

ISBN 2-84706-230-0

22 €