Coup de cœur 2012 |
Il est des livres que l’on aborde avec un peu d’appréhension, non pas en raison de leur poids (on a vu plus lourd), mais de l’énorme masse de travail qu’ils ont nécessité. Il n’existe pas, paraît-il, de « livre définitif » ; c’est probable, mais il est permis de penser que celui-ci fera œuvre de légitime référence pendant quelques décennies.
Précisons d’emblée au lecteur pressé qui n’aurait pas lu le sous-titre que ce livre s’arrête en 1945, avant le début de la « guerre d’Indochine » qui marqua le début de la décolonisation. Ce choix, qui peut paraître surprenant, s’explique par l’intérêt marqué des auteurs pour la période antérieure à 1945, mais également par le fait qu’il est relativement aisé de trouver des publications de qualité sur la guerre d’Indochine, ce qui n’était pas le cas pour l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale.
À la simple lecture de la table des matières, on comprend qu’il ait fallu plus de dix années pour préparer cette somme. De 1917 à 1945, l’histoire de l’aviation en Indochine est loin d’être anecdotique. Dès 1791, soit moins de huit ans après le premier vol humain, des Français faisaient voler une montgolfière au-dessus de l’Annam ; ce n’était que le début d’une histoire à la richesse insoupçonnée.
Géographiquement parlant, rappelons aux jeunes amateurs d’histoire qu’il faut éviter la confusion entre Vietnam et Indochine. Ainsi que nous le rappelle la carte au début du livre, l’Indochine*, c’étaient l’empire d’Annam, les royaumes du Cambodge et du Laos, ainsi que le Tonkin et la Cochinchine. Si l’Indochine française, qui regroupait des régions aux statuts différents*, n’offrait qu’un intérêt économique limité au début de colonisation, elle devint d’une importance non négligeable avec le culture de l’hévéa et l’explosion des besoins en caoutchouc*. Si on ajoute à cela le fait que, contrairement à d’autres possessions françaises, l’Indochine ne fut jamais complètement « pacifiée », des agitations sporadiques éclatant ici et là, ces conditions expliquent la présence d’une aviation militaire dès la fin de la Grande Guerre, ainsi que des aviations sanitaire, commerciale (lignes intérieures et transcontinentales) et de loisirs. Tout le panorama des différentes variétés d’activités aéronautiques est ici représenté, y compris l’Aéronautique navale, les raids aériens, l’aviation de tourisme, etc.
Évoquer en quelques lignes le contenu d’un livre aussi dru relève de la gageure. Les 637 pages bien denses respectent la mise en page de la collection Histoire de l’aviation ; autant dire qu’il ne faudra pas chercher ici des subterfuges pour essayer de diluer le sujet. Ce n’est pas « rentré au chausse-pieds » et la mise en page est suffisamment aérée, mais il faudra chercher ailleurs un éventuel gaspillage de place.
Après quelques dizaines de pages plantant le décor, on arrive à l’histoire de l’aviation militaire française en Indochine, déclinée en quatre chapitres. L’époque 1919-1945 se voit découpée par des dates charnières : 1925, 1930 et 1935, la période 1935-1945 se taillant une part importante (environ 200 pages) avec (entre autres) la guerre contre la Thaïlande et le coup de force japonais. L’Aéronautique navale est étudiée dans un chapitre particulier, où l’on découvrira une kyrielle d’hydravions tant à coque qu’à flotteurs, de même qu’est présentée l’aviation commerciale, depuis les lignes quasi-artisanales jusqu’à Air France (avec un étonnant Nakajima L1N1 porteur des marques à la fois françaises et nippones).
L’Indochine et l’Extrême-Orient furent une destination toute indiquée pour les grands raids, lesquels sont étudiés, de même que l’aviation de loisir. Un livre estampillé « Histoire de l’aviation » ne serait pas digne de cette collection sans les conséquentes annexes (36 pages) : géographie de l’Indochine, liste des terrains, tableau de filiation des escadrilles, liste des aéronefs, et enfin camouflages et marques.
Il est difficile d’imaginer la masse de travail et de recherches qu’a pu nécessiter l’élaboration de ce magistral ouvrage. Les auteurs ont su s’entourer, de même qu’ils se sont rendus dans les centres d’archives (et même sur place) pour consulter des sources primaires. Ce livre est illustré de 1 300 photos, pour la plupart inédites, ainsi que de 120 profils signés Pierre-André Tilley. De même sont présents de nombreux tableaux, ainsi que les indispensables cartes et plans.
On le comprendra aisément, nous sommes en présence d’un livre d’exception et le coup de cœur de l’Aérobibliothèque est une évidence. Incontestablement, le livre aéro de l’année 2012.
Philippe Ballarini
640 pages, 1300 photos et 120 profils couleur (Pierre-André Tilley).
– Avec la participation de Lucien Morareau
– Collection Histoire de l’aviation N°21
– Les autres ouvrages de la collection Histoire de l’aviation
– Coup de cœur 2012 de l’Aérobibliothèque
* Les auteurs n’ont pas oublié le Kouang-Toung, enclave en territoire chinois.
* Certains territoires étaient des protectorats, d’autres des colonies.
* Besoins en caoutchouc : essentiellement pour les pneumatiques, le marché de l’automobile étant en plein développement.
Avec l’aimable autorisation des
© Éditions Lela Presse
Avec l’aimable autorisation des
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La recherche n’exclut pas le loisir.
Michel Ledet (à gauche) et Christophe Cony à la baie d’Along
© Éditions Lela Presse