1967. Pour beaucoup de gens, c’est l’année de la Guerre des six jours ; mais c’est aussi celle de la sécession biafraise, où la France est intervenue indirectement. C’est dans ce contexte que vit Gilles Durance, gérant, puis propriétaire d’une école de pilotage. Faute de rentabilité, il n’a d’autre choix que d’accepter la tâche assignée par le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage) en convoyant un B-26 et sa cargaison jusqu’au Biafra.
Damien Schmitz, alias Callixte, est initialement illustrateur et dessinateur. C’est donc sans surprise que nous le retrouvons ici à l’encre et à la couleur. Il a choisi un style plutôt « ligne claire » qui rappelle par certains côtés Edgar P. Jacobs ; le dessin est relativement élégant et surtout résolument classique, ce qui colle assez bien à une histoire de la fin des années soixante – celui qui trouverait Le bombardier blanc dans un bac chez un brocanteur pourrait le croire issu directement de cette époque. La mise en couleurs vient moderniser un peu l’apparence, avec les dégradés impeccables typiques du travail à l’ordinateur, et ne souffre ni faiblesse ni force notable. L’ensemble plaira sans coup férir aux amateurs de traditions, mais la mise en page dense et riche en texte peut également manquer d’air selon les standards actuels.
Callixte est également au scénario ; cette fois, c’est une nouveauté. Il nous propose une histoire haletante, riche en surprises et en rebondissements, là encore digne des grands classiques de l’époque. Si l’aventure est bien au rendez-vous, nous serons plus critiques sur la construction : le manque de profondeur des personnages est évident — toute décision prise l’est dans l’instant, sans vraie réflexion sur les enjeux et surtout sans introspection aucune. C’est ainsi qu’un pilote qui a quitté l’armée suite à une mission trop radicale à son goût accepte sans plus d’hésitation que cela de sauter dans un cockpit à destination d’un pays en guerre civile !
Un autre aspect du scénario est assez éloigné des productions récentes : le rôle des femmes. Jamais consultées, toujours mises devant le fait accompli, elles ont pour seule tâche de suivre les hommes sans poser de question et d’accepter tranquillement d’être tenues dans l’ombre jusqu’à découvrir l’activité de leurs maris, ce qu’elles font en ronchonnant le temps d’un phylactère mais sans plus sourciller. Certes, la structure familiale traditionnelle des années 60 n’était pas tout à fait celle d’aujourd’hui, mais cantonner le beau sexe à un poste de faire-valoir sans activité propre reste franchement dépassé pour un scénario publié en 2014.
C’est d’autant plus malheureux que Callixte avait matière à faire mieux : il raconte un épisode méconnu de la « Françafrique », avec des pilotes, des barbouzes et des espions, et a consenti un certain effort documentaire — les avions ont ainsi leurs immatriculations réelles et les aménagements effectués sont conformes à la réalité. Les principales approximations sont sans doute la cohabitation des deux B-26 biafrais (il se sont en réalité relayés), ainsi que la présence d’un Transall postal dont le premier exemplaire n’a été livré qu’en 1972, mais ces éléments permettent d’accroître la tension dramatique de l’histoire et seront donc aisément pardonnés dans une bande dessinée d’aventures.
Dans l’ensemble, c’est donc peut-être la force, mais aussi sans doute la faiblesse de ce premier Gilles Durance : pour raconter une histoire des années soixante, l’auteur a construit son histoire selon les codes des BD « jeunesse » des années soixante, avec un scénario, des personnages et un dessin des années soixante. L’histoire ravira un enfant comme le faisaient les Buck Danny de cette époque, mais nous regrettons que Callixte n’ait pas adopté des codes plus modernes et plus subtils pour séduire un public actuel.
Franck Mée
48 pages, 23,5 x 31,5 cm, relié couverture cartonnée
– Les albums de la série Gilles Durance
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Paquet
Avec l’aimable autorisation des © Éditions Paquet
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