Par bonheur, les récits et autobiographies de pilotes de chasse français contemporains sont devenus bien moins rares qu’ils ne l’ont été et c’est tant mieux. Et c’est toujours avec plaisir que nous en recevons un nouveau, et l’ouvrage de Yvon Goutx n’a pas dérogé à la règle. Dans Le ciel est mon désir, il relate sa carrière de pilote de chasse de 1968, date de son entrée dans l’Armée de l’Air, à 1991 date de la fin de son commandement de la 7e Escadre de Chasse qui marque son départ en État-major et la fin de ce qu’il nomme lui-même sa carrière de pilote opérationnel.
Entré par la petite porte dans l’armée de l’Air, il passe avec succès le concours d’officier puis rejoint Strasbourg pour être formé sur Mirage IIIR. Il est affecté ensuite sur Jaguar à Bordeaux avant de revenir quelques années plus tard à Strasbourg pour assurer la transition de son escadron sur le nouveau Mirage F1CR. Il retourne ensuite sur Jaguar à la 7, où il est formé aux missions de dissuasion nucléaire et finit par en prendre le commandement. À bord de ces avions, il effectue de nombreux détachements au Tchad où il participe, sur F1CR, à la seconde attaque de l’aérodrome de Ouadi Doum. Autre fait d’arme notable, il est chef du détachement « Jaguar » affecté à El Asha en Arabie Saoudite pour la montée en puissance du dispositif Daguet.
Voici une carrière de « Mud Mover » particulièrement longue et riche. Il ne faut donc pas moins de 400 pages, bien denses et bien remplies pour nous la conter par le menu. Il est évident que Goutx n’est un adepte ni de l’emphase ni des effets littéraires. Son récit est brut, établi de façon évidente à partir de son carnet de vol (fabuleusement garni effectivement), mais si le pilote est disert, l’homme se livre peu ; on comprend pourtant que ses choix de carrière lui ont coûté son mariage, phénomène courant dans les professions à forte implication personnelle, mais en dehors de cela, difficile d’en savoir plus sur le personnage.
Le chef d’escadrille, commandant de détachement, d’Escadron puis d’Escadre est un peu plus bavard ; c’est lui qui se bat pour organiser l’activité de l’unité dont il a la charge, c’est lui qui effectue un nombre incommensurable de vols de liaisons, qui lutte avec ses collègues pour récupérer les missions les plus attrayantes, qui part en Opex aussi souvent que possible et qui détaille ses missions. C’est lui qui énumère aussi la longue liste de ses équipiers, de ses amis, de ses ailiers, de ses confrères qu’il croise à une occasion ou une autre — et plutôt deux fois qu’une — si bien que parfois le lecteur peut avoir parfois l’impression amusée d’être en train de feuilleter le Who’s Who de l’armée de l’Air des années 70 et 80 !
Si on peut regretter que l’auteur n’ait bien souvent pas réussi à nous emmener vraiment à bord avec lui, l’officier supérieur n’en reste pas moins un témoin clef de son époque. Il ne faut donc pas prendre ce livre pour une lecture trépidante, à l’instar d’un « Grand Cirque« . Il s’agit davantage d’un témoignage, souvent d’une très grande richesse documentaire, sur les dessous d’un métier exceptionnel, mais qui s’avère aussi parfois ingrat, et sur les arcanes d’une arme en perpétuelle évolution. Il est utile de prendre en compte cette « clef » pour bien apprécier ce livre. Il est conseillé également d’avoir quelques notions du vocabulaire, des us et coutumes de la profession pour pouvoir goûter à sa juste valeur certaines petites histoires glissées ici et là, qui n’ont l’air de rien mais qui sont très révélatrices pour les initiés.
Le ciel est mon désir est donc un livre qui ne s’appréhende pas facilement, mais passé certains écueils, il se révèle une lecture enrichissante et véritablement recommandable.
Frédéric Marsaly
416 pages, 14,5 x 21 cm, broché
– Préface du général Jean-Pierre Job