La Première Guerre mondiale a été le théâtre privilégié d’une légende romanesque. Tels les chevaliers des temps anciens lors des tournois, les pilotes de chasse de la Grande Guerre ont ravi l’imaginaire des foules par leurs affrontements solitaires empreints d’une noblesse disparue depuis longtemps dans la boue des tranchées. Mais cette image d’Épinal du pilote de chasse occulte trop souvent un aspect méconnu de l’aviation de la Grande Guerre: le bombardement.
Les premiers exploits des bombardiers n’étaient pourtant pas passés inaperçus de l’opinion publique. Le commandant Happe, pionnier du bombardement, avait provoqué en mars 1915 la destruction de la poudrerie allemande de Rothweil en lâchant à la main trois obus sur des citernes. Les journaux de l’époque avaient largement fait écho de cet exploit, au point que Maurice Happe devint « le corsaire de l’air ».
C’est avec ce sobriquet d’épopée que Gilles Krugler nous invite à la biographie de Maurice Happe. L’auteur, jeune officier enseignant-chercheur en histoire à l’École de l’Air de Salon de Provence, tire son livre de son mémoire de maîtrise sur l’influence du commandant Happe sur la naissance du bombardement stratégique.
C’est résolument de bombardement stratégique qu’il s’agit ici. Au travers de la vie de Maurice Happe, Gilles Krugler dépeint les premiers frémissements du bombardement stratégique, à savoir les frappes loin derrière les lignes ennemies, sur des installations dont la destruction aura un impact direct sur la conduite de la guerre. Si les évocations de bombardiers en biplans de bois et de toile, lâchant à la main des projectiles légers sans visée sur leurs objectifs, peut aujourd’hui nous faire sourire, c’est pourtant sous l’égide de Maurice Happe que les premières réflexions sur ce mode d’action ont été conduites, d’un point de vue tactique comme d’un point de vue stratégique.
La structure de l’ouvrage suit la chronologie de la vie de Maurice Happe, et l’un des intérêts de ce livre réside dans le détail qu’il est fait des tactiques utilisés, tels l’ordre de passage sur l’objectif ou encore les formations en échelon refusé, à altitude variable.
Écrit de façon fort agréable, Le corsaire de l’air présente le double intérêt d’être à la fois très complet et accessible. Un cahier central de photographies complète judicieusement la biographie passionnante d’un homme qui peut légitimement revendiquer la paternité d’un mode d’action qui a marqué le XXe siècle, des raids de B-17 aux très modernes théories de John Warden.
Timothy Larribau
158 x 237 mm, 196 pages, couverture souple