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Le courrier prend les airs
L’aviation postale intérieure au milieu du XXe siècle

Les cahiers pour l’histoire de La Poste n°15
Camille Henri

Dans le sillage de l’aérostation, l’apparition de l’aéroplane au début du XXe siècle ne pouvait manquer de donner l’idée de l’utiliser pour le transport du courrier. Mais si les responsables de la Poste en France regardaient avec curiosité les quelques expériences auxquelles une forme d’histoire aéronautique souvent avide de pittoresque a peut-être donné trop d’importance, leurs réflexions les portaient vers des projets plus ambitieux, projets où l’aéroplane ne serait simplement qu’un moyen de transport supplémentaire pour atteindre le vieil objectif de livrer le courrier partout en France en moins de 24 heures, bien conscients qu’il leur faudrait encore attendre que ce nouveau véhicule atteigne une certaine maturité.

Quatre années de guerre apportèrent une bonne part de ce progrès technologique espéré, mais il restait encore du chemin à parcourir. L’expérience de Lignes Latécoère, puis de l’Aéropostale, montrait le net avantage que l’avion pouvait apporter sur les transports maritimes pour le courrier vers les pays lointains, mais à l’intérieur de la France métropolitaine, l’Administration des Postes restait encore tributaire des horaires des compagnies aériennes, ce qu’elle ne pouvait accepter à terme; seul un réseau propre au transport du courrier pourrait répondre à ses attentes.

Paradoxalement, c’est une initiative privée qui ébaucha en 1935 ce réseau rêvé par les postiers, dont l’usage était toutefois réservé à des envois commerciaux d’une valeur suffisamment importante aux yeux des clients potentiels pour justifier les tarifs appliqués. On a souvent reproché à l’administration postale française d’avoir condamné cette première expérience par l’imposition d’une forte surtaxe au courrier transporté par cette nouvelle compagnie Air Bleu, et ce n’est pas le moindre des mérites de l’auteur de rétablir les faits, en nous montrant que le produit était simplement inadapté aux besoins d’une clientèle qui n’avait pas l’usage d’un service imposant de déposer ses plis en début de matinée pour espérer les voir délivrés dans la journée, à contretemps de son rythme de travail.
L’expérience ne fut cependant pas perdue, car la régularité opérationnelle de la jeune compagnie avait prouvé à la Poste que son rêve n’était plus très loin de se réaliser : l’affaire fut remise sur pied en intégrant désormais les Caudron Simoun d’Air Bleu dans le réseau de transport du courrier non surtaxé, ce qui fit passer pratiquement du jour au lendemain leur chargement de quelques lettres à plusieurs centaines de kilos. L’apparition des bimoteurs Caudron Goéland exploités de nuit acheva la mise en place d’une exploitation cohérente à laquelle l’entrée en guerre mit malheureusement fin, malgré une reprise aléatoire et partielle dans la zone dite « libre » jusqu’en 1942.

L’année 1945 verra le transport du courrier intérieur reprendre les airs, cette fois au sein d’Air France devenu une compagnie nationale, mais il faudra attendre 1955 pour retrouver un rythme de croisière, après que l’utilité d’un réseau aérien ait été démontrée lors d’une grève des cheminots, date retenue par l’auteur pour clore son étude, qui se concentre donc sur vingt années cruciales.

Ce petit ouvrage est le bienvenu ; il suffit de parcourir sa courte bibliographie pour se convaincre du faible intérêt soulevé jusqu’à présent par ce sujet, trop souvent associé ― à tort ― à l’épopée de l’Aéropostale, comme le rappelle Camille Henri, la présence de Didier Daurat et Raymond Vannier à la tête d’Air Bleu comme du Centre d’exploitation d’après-guerre n’ayant fait que renforcer un malentendu que l’auteur a jugé assez important pour ouvrir son travail par un chapitre consacré à cette « mystique de la Ligne ». L’idée était intéressante, mais nous avouerons ne pas avoir été complètement convaincus par une démonstration qui en particulier ne fait pas assez la distinction entre une « mystique » qui permit de faire passer dans la douleur l’exploitation de la ligne vers l’Amérique du Sud (plus de 130 pilotes tués) d’une part, et d’autre part l’apparition après 1945 d’une forme de mythologie aéronautique tentant de relier le présent avec un passé idéalisé, comme on peut le voir dans des sources parfois surprenantes, comme un article tiré de « Tintin actualités »…

Le lecteur regrettera également sans doute une place trop réduite consacrée aux problèmes opérationnels posés par la mise en place d’un réseau postale métropolitain, mais peut-on en tenir rigueur à l’auteur ? Il faut en effet garder à l’esprit que ce travail est directement né d’une thèse de master, ce qui ne laissait que peu de temps à Camille Henri pour s’aventurer à la recherche de maigres sources éparses qui auraient pu lui permettre de reconstituer précisément ce qu’il était possible de réaliser de 1935 à 1955; il lui fallait s’en tenir à un ensemble cohérent de sources, tel que les archives de l’administration postale. Sans de solides connaissances de l’histoire aéronautique française, pouvait-il explorer sans se perdre ce mythe de « l’avion postal », qui fut souvent pour beaucoup de bureaux d’études français le seul moyen de donner un semblant d’intérêt à des projets sous-motorisés aux charges utiles dérisoires. Laissons donc à d’autres le soin de compléter ce travail ?

Malgré les quelques réserves qu’on peut faire, il faut remercier l’auteur ― et ses professeurs, d’avoir osé aborder un thème aéronautique dans les cadre d’études universitaires (ce n’est pas si fréquent) et cet ouvrage d’un prix dérisoire ― 6 euros, reste le bienvenu dans une bibliographie malheureusement clairsemée.

Pierre-François Mary


204 pages, 17 x 21 cm, broché

En bref

Comité pour l’Histoire de la Poste

ISBN 978-2-918336-03-7

Chronique : Pierre-François Mary
6 €