La première chose qui étonne lorsqu’on ouvre ce livre de belle présentation, c’est l’absence de concordance entre le titre et le contenu. Ceux qui y chercheraient une histoire générale de l’hydraviation y seraient pour leurs frais. En effet, le livre aurait dû s’appeler Histoire des hydravions Schreck-FBA ou quelque chose d’approchant, mais sans doute l’éditeur a-t-il voulu élargir ainsi le lectorat potentiel.
La première partie de l’ouvrage porte sur les inventions de la seconde moitié du XIXe siècle ayant permis à l’hydravion de naître (depuis le premier bateau à roue jusqu’à l’invention de l’hélice !), ce qui fait qu’il faut attendre la page 89 pour entrer dans le vif du sujet : Louis Schreck et les hydravions à coque. La deuxième partie de l’ouvrage suit la naissance de cette industrie jusqu’à la déclaration de guerre. Ensuite, la Grande Guerre est étudiée en détails, d’abord sous l’angle technique (53 pages), puis en suivant les hydravions dans leur emploi (47 pages). Une cinquième partie porte sur les types d’appareils nés de l’expérience du conflit jusqu’à la « triste fin » du constructeur, puis une sixième est présentée comme une « conclusion » dont il s’agit plutôt d’un constat de la décadence de l’industrie aéronautique française entre 1918 et 1939. Vient enfin une série d’annexes.
L’ouvrage est rendu attractif par de nombreuses illustrations noir & blanc et couleurs. Pourtant, après la bonne impression initiale, on découvre vite des erreurs et approximations qui agacent d’autant plus que l’originalité du sujet était prometteuse. Ainsi, le chapitre consacré à André Beaumont (ou plutôt Jean Conneau, de son véritable nom) couvre la vie entière de ce pilote, depuis sa naissance jusqu’à sa mort en 1937, et arrive comme un cheveu sur la soupe entre un chapitre consacré aux premières productions et un autre consacré à la Première Guerre mondiale. Il aurait été plus astucieux de séparer ce paragraphe et de l’intégrer aux chapitres précédents et suivants, ce qui aurait évité de rompre la chronologie. C’était d’ailleurs, sans doute, la première idée de l’auteur, car le chapitre commence par la phrase : « Louis Schreck va le trouver … ». Qui ? Son associé bien sûr ! Mais pour le savoir, il faut revenir neuf pages en arrière ! De plus, continuer à dénommer « André Beaumont » le lieutenant de vaisseau Conneau dans la partie consacrée à la guerre, alors que celui-ci a repris du service dans l’Aviation maritime, peut vraiment prêter à confusion. Il n’y a jamais eu d’André Beaumont dans l’Aviation maritime.
De même, on lit à la page 167, que le colonel Hirschauer aurait été « limogé en 1912 ». Or celui-ci a été Inspecteur permanent de l’Aéronautique militaire d’avril 1912 à septembre 1913 ; et s’il a bien démissionné pour laisser sa place au général Bernard, ce ne fut qu’un épisode de la guéguerre entre artilleurs et sapeurs pour contrôler l’aviation. Hirschauer (général et non colonel) a alors pris la tête d’une brigade du Génie avant d’être appelé par Gallieni en 1914 pour être son chef d’État-major à Paris. Limogé est un mot bien trop fort qui ne s’applique pas ici.
Plus loin, lorsqu’à la page 174, on lit que le Centre d’aviation maritime de Camaret aurait été créé en 1916, on accepte, même s’il n’a été constitué qu’en janvier 1917, car la directive ministérielle date bien de novembre 1916. Mais alors, il ne fallait pas reparler, dès la ligne suivante, de la création d’un CAM à Brest en 1917, car le CAM Brest était justement à Camaret. De même pour Le Croisic, qui n’a pas été créé en 1916, mais comme Poste de combat du CAM Lorient en 1917, et n’est devenu Centre d’aviation qu’à sa cession aux Américains en septembre 1917. Et il n’y jamais eu de « CAM Basse-Loire » dans l’Aviation maritime.
Plus grave peut-être, on lit à la page 176, que fin 1916 et début 1917, plusieurs « croiseurs déclassés » ont été aménagés en « porte-hydravions » : le Nord, le Pas-de-Calais, la Foudre, le Rouen. Or, aucun des navires cités n’était un croiseur « déclassé » ; seule la Foudre avait un passé militaire comme porte-torpilleurs, équipé en porte-hydravions en 1913. Les autres étaient des paquebots transmanche réquisitionnés. De même, page 190, on peut lire que le FBA H aurait équipé « tous les CAM de la Marine nationale (…) hormis ceux d’Afrique et du Portugal ». Mais au moins quatre centres de métropole n’ont utilisé aucun FBA durant la période : Camaret, Lorient, La Pallice et Bayonne.
Puis, de la page 219 à 229, figure un paragraphe sur la doctrine d’emploi de l’hydravion dans d’autres pays en guerre, à la fin duquel l’auteur revient sur la France (alors qu’il y a déjà consacré un chapitre entier), reprenant la litanie des créations de CAM et leur longue et toujours fausse énumération (même si cette fois Brest et Camaret ne sont pas séparés), mélangeant Centre d’aviation, Postes de combat et, plus grave, Escadrilles côtières. Il n’y a jamais eu d’hydravions basés à La Baule, ni à Plomeur, ni à Quiberon. Ces unités dépendant de l’Armée étaient équipées d’avions Voisin puis Letord.
Nous passerons vite sur les coquilles comme Arzew qui devient Artzew (p.229), La Penzé qui arrive dans les Côtes du Nord (p.190), ou encore le pilote Kerambrun qui devient Karambrun à deux reprises (p.288), car ce n’est pas très important. Par contre, il est plus agaçant de lire que Laurent-Eynac (Victor André Laurent Eynac dit « Laurent-Eynac ») devenu « Laurent-Aynac » (p.373) aurait été un « polytechnicien brillant », alors qu’il était licencié en Droit et avocat, comme l’écrit d’ailleurs très justement l’auteur à la page 301 ! Quant à dire qu’il a été sous-secrétaire d’état « aux affaires de l’air (…) mais sans réels pouvoirs », c’est oublier un peu vite qu’il a été le premier ministre de l’air français, à partir du 14 septembre 1928 dans le cabinet Poincaré, et qu’il a conservé la fonction jusqu’en décembre 1930. Que sa politique soit discutable, c’est autre chose !
L’ouvrage s’achève sur une série d’annexes, dont certaines se justifient pleinement, comme les immatriculations civiles portées par des appareils FBA ou encore leurs records. Par contre, la liste complète des invités du repas organisé le 2 décembre 1924 par l’Aéroclub de France, sur … 14 pages, ressemble bien à du remplissage et aurait pu être évité. De même, certaines illustrations sont redondantes comme les trois vues d’une même scène, à quelques secondes d’intervalle (p.358), dont une superbe peinture de Philippe Mitschké qui, reproduite en noir et blanc, n’a plus rien de « superbe » !
Mais on est aussi étonné de relever autant de tableaux dont on aurait pu se passer, tant ils sont loin du sujet traité. Ainsi, celui des « appellations de force des vents utilisée par la Marine nationale pendant la Première Guerre mondiale » (jolie brise, grand frais etc…), avec indication de la vitesse du vent en m/s et de la pression en kg/cm2 (p.243), n’était pas d’une absolue nécessité. Pas plus, d’ailleurs, que celui de « l’énergie des explosifs de laboratoire, selon le chimiste anglais Howell en 1918 » (p.247). Ou encore, la liste complète des « mitrailleuses utilisées par l’Armée française en 1914-1918 » (p.245). Sauf bien entendu s’il manquait absolument à votre culture que la mitrailleuse Madsen Modèle 1902 de 4,2 kg avait une cadence tir de 425 coups par minute, un calibre de 7,62 mm sur 54, c’est-à-dire bien moins que la MG 14 Parabellum (7,92 mm x 57). Mais son poids était de 4,3 kg. Sachant que ces armes n’ont pas équipé les hydravions à coque français (pour la plupart seulement armés de bombes et parfois d’une Hotchkiss ou d’une Lewis), l’intérêt reste mince.
Certes, cela n’engage pas vraiment le fond du livre sur son thème principal. Mais toutes ces choses finissent jeter un doute sur l’ouvrage, même si l’ensemble parait se tenir, d’autant que l’auteur ne cite pas de sources précises (les seules notes de bas de pages apportent des précisions). Et cela est dommage, car le livre comporte beaucoup d’informations d’ordre technique, mais également sur les utilisateurs civils comme militaires d’hydravions FBA jusqu’aux années 1930, dont on aimerait être sûr !
Mieux ficelé et expurgé de ses trop nombreuses scories, je n’aurais pas hésité à conseiller cet ouvrage pour un Coup de cœur de l’Aérobibliothèque, tant le sujet est rare et tant il est courageux pour un auteur et un éditeur de se lancer dans une telle aventure. Dommage !
Thierry Le Roy
436 pages, 16 x 24 cm, broché