Coup de cœur 2016 |
Au cours des vingt-cinq dernières années, les historiens ont très largement renouvelé l’image que nous pouvions nous faire du rôle de l’aéronautique pendant la Première Guerre mondiale, rendant complètement caduque la légende d’un petit groupe de pilotes de chasse combattant de manière chevaleresque les uns contre les autres, entretenant ainsi quelques bribes d’une civilisation en voie de disparition, tandis que le reste des européens s’entretuaient sous leurs ailes dans la boue des tranchées, image qui peut paraître caricaturale, mais hélas encore trop souvent ancrée dans les esprits.
Si les historiens « amateurs » — ou plutôt autodidactes — ont su très tôt tracer leur chemin dans les fonds des archives officielles, l’apparition d’Internet à la fin des années quatre-vingt-dix fut pour eux une véritable bénédiction, en leur permettant d’accéder beaucoup plus facilement à ces sources grâce à certains sites tels que Mémoires des Hommes mis en ligne par le Service Historique de la Défense ; mais d’une manière peut-être encore plus significative, ce nouveau moyen de communication a créé un vaste réseau informel d’échanges qui les a mis en relation les uns avec les autres, comme il leur a permis de rentrer en contact avec les descendants de combattants qui détenaient des archives personnelles d’une valeur souvent inestimable.
Des bénéfices de ces nouveaux moyens de recherche, comme d’une nouvelle approche de l’histoire de la Grande Guerre en général et du rôle de l’aéronautique pendant les quatre années de combats en particulier, le remarquable ouvrage de Vincent Bartier en est un parfait exemple, consacré au groupe des divisions d’entraînement de l’aéronautique militaire française — le « G.D.E. ».
On sait que dans l’espoir d’une guerre courte, on a imprudemment fermé les écoles de pilotage à l’automne 1914, écoles qu’il faut rouvrir en urgence et même multiplier tout au long de l’année suivante. Mais entre celles-ci et les unités combattantes, il est nécessaire de créer une sorte d’interface où les jeunes pilotes — comme ceux qui changent d’unités, d’ailleurs — vont pouvoir découvrir les machines employées en première ligne, ce qui est initialement organisé à la réserve générale de Dugny au sein de plusieurs « divisions d’entraînement », chacune spécialisée pour un constructeur. Le site du Bourget se développe très rapidement et il est décidé de transférer à la fin 1915 toutes ces divisions sur un autre aérodrome situé entre le Plessis-Belleville et Ermenonville, au sud-ouest du terrain actuel, où elles forment donc un « groupes des divisions d’entraînement ». Ce passage obligé pour des milliers d’aviateurs va lui-même grandir, entouré de plusieurs aérodromes annexes, étendant par la suite ses compétences à diverses autres spécialités techniques comme par exemple la photographie.
En 1918, la menace des troupes allemandes déboulant vers Paris conduit à ordonner son repli vers Chartres, et après deux aller et retours, le GDE s’installe finalement à Marigny-le-Châtel, au sud de Romilly-sur-Seine, là où il sera dissout en 1919.
Une première partie de l’ouvrage décrit avec soin les différentes phases du développement du groupement ainsi que son fonctionnement, chapitre dans lequel l’histoire des lieux n’est pas oubliée, que ce soient celle des aérodromes principaux ou celle des terrains annexes.
La description de cette organisation ne serait rien sans une évocation de la vie quotidienne des stagiaires et de leurs moniteurs sur les différents terrains, mais aussi après le travail, illustrée par l’exemple de trois « parcours particuliers », montrant – s’il est encore besoin – la richesse des archives familiales, des archives dont est largement issue la belle iconographie de l’ouvrage.
L’ensemble est complété par une série de notices évoquant la mémoire de chaque militaire disparu lors de son passage au GDE, liste qui est finalement relativement courte lorsqu’on la compare à l’extraordinaire activité du centre de 1915 à 1919…
Si il n’y a jamais de travail définitif, celui de Vincent Bartier constitue sans aucun doute une très bonne référence pour comprendre le fonctionnement de l’ensemble de l’aéronautique militaire française pendant ces années de guerre, au-delà de la simple histoire d’une unité parmi d’autres ; si elle n’a pas dix années d’existence à la fin de la guerre, l’aéronautique militaire de notre pays est déjà un ensemble d’une formidable complexité et cet ouvrage offre un point de vue pertinent pour comprendre combien déjà les unités combattantes ne peuvent rien faire sans la vaste organisation mise en place à l’arrière, même si on aurait aimé y voir ce GDE mieux replacé au sein de l’ensemble des moyens de formation.
Notons qu’il représente également un apport très important à cette histoire de l’environnement aéronautique dont nous nous faisons régulièrement les avocats dans les colonnes de l’Aérobibliothèque, histoire qui va bien au-delà de la simple évocation du passé des « lieux aéronautiques », et que l’on peut définir comme ce qu’un pilote qui décolle retrouvera inchangé lorsqu’il reviendra se poser, ce qui n’exclut pas une évolution dans le temps.
On ne peut que souhaiter que d’autres travaux de la même qualité apparaissent dans l’avenir — pourquoi pas sous la plume de l’auteur — à propos de sujets voisins, comme celui des services techniques ou des écoles, même si sur dernier point, Albin Denis nous déjà offre une excellente ébauche dans les pages de son site Internet.
Nous voyons passer beaucoup trop d’ouvrages réalisés « à bout de souffle » par des auteurs qui comptent sur l’indulgence du lecteur vis-à-vis de ce qui n’est qu’une accumulation de ce qu’ils ont pu trouver, et qui paraissent même parfois n’aspirer qu’à passer à autre chose — quand ils ne l’avouent pas carrément en « off » ! Rien de cela ici. Vincent Bartier connaît manifestement son sujet et même bien plus. Au-delà des informations qu’on pourra trouver, sa plus grande qualité est de s’attacher à nous faire réellement comprendre ce que fut l’activité du GDE de différents point de vue, par un texte bien construit ; ce qui semble une évidence n’est malheureusement pas si courant…
Pour finir, signalons que cet ouvrage est édité par l’Association Histoire et archéologie de Nanteuil le Haudouin qui apporte un soutien associatif efficace, mais discret, aux travaux personnels de l’auteur.
Le livre de Vincent Bartier est un des coups de cœur de ce début d’année 2016.
Pierre-François Mary
170 pages, 21 x 29,7 cm, couverture semi-rigide
0,800 kg
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