Coup de cœur 2019 |
Située à la pointe du Pays de Caux, la ville du Havre pourrait sembler, comme cette région, être restée en marge de l’aéronautique au cours du XXe siècle: pas de grande base aérienne, aucun constructeur prestigieux*. Pourtant, Sébastien Bocé nous démontre brillamment que cette apparence est trompeuse, dans un récit dont la colonne vertébrale est constituée par l’histoire de l’Aéro-Club du Havre, lequel célèbre son centenaire en 2019, commémoration elle-même trompeuse car cet organisme fut précédé dix plus tôt par un premier Aéro-Club Havrais.
Les années qui précèdent la Grande Guerre sont avant tout marquées par l’organisation d’un meeting extrêmement ambitieux à la fin de l’été 1910, partagé avec la station balnéaire de Trouville, située de l’autre coté de la baie de Seine, dont l’épreuve reine consistera à réaliser le plus grand nombre d’allers-retours au-dessus de l’embouchure du fleuve le jour du transfert de la manifestation d’une ville à l’autre, traversée qui semblait encore périlleuse quelques mois auparavant ; mais contrairement à sa voisine et rivale Rouen qui découvre l’aviation au cours d’un autre meeting fameux quelques semaines auparavant, la ville du Havre est déjà presque blasée depuis près d’un an que l’un des siens s’envole régulièrement aux commandes de son Blériot XI ; l’un des nombreux mérites de l’ouvrage est de nous rappeler le souvenir de Léon Molon, pilote de course automobile, garagiste et animateur de l’aviation privée havraise jusqu’à sa disparition en 1950. Le passage de nombreux pilotes militaires dans les années qui précédent la Grande Guerre ne fait que renforcer la presque banalité de l’aviation pour les Havrais ! Cet aspect souvent négligé des historiens locaux est un des nombreux exemples de la qualité de l’ouvrage ; comme ses pairs, Sébastien Bocé a su trouver de nombreux documents locaux, mais une fois de plus, la valeur de l’ouvrage tient aux connaissances de l’auteur qui lui permettent de replacer ses trouvailles dans un cadre plus large.
Loin du front terrestre, les Havrais ne voient d’abord de la guerre qui commence en août 1914 que le défilé incessant des troupes britanniques ; mais la situation change lorsque la menace sous-marine allemande se précise, conduisant rapidement à l’aménagement d’un double centre d’aviation et d’aérostation maritime, dont le traitement ici vient compléter la récente publication par l’ARDHAN d’une Aéronautique maritime dans la Grande Guerre » que l’on doit au travail conjoint de Robert Feuilloy et Lucien Morareau.
Période courte mais dont l’histoire est essentielle, l’entre-deux-guerres voit le développement précoce d’une aviation privée grâce à une bourgeoisie d’affaire liée à l’activité portuaire, où l’on retrouve Léon Molon en figure tutélaire « régionale » ; cette période permet à l’auteur de nous faire découvrir une iconographie exceptionnelle (que l’on aurait aimé parfois de plus grande taille ; c’est probablement l’un des rares regrets qui vient à la lecture de ce livre) ; parmi ces photos, il faut noter la publication inédite de vues de l’éphémère aérodrome de la Cerlangue, aménagé dans les marais de Tancarville par le sidérurgiste Schneider, et où se posèrent les premiers passagers d’un non moins éphémère service aérien offert aux voyageurs de première classe des grands paquebots.
Le chapitre consacré à la Seconde Guerre mondiale, qui vit le développement important du nouvel aérodrome d’Octeville — pas aussi nouveau qu’on le croit, car il fut le site des envols de Molon après 1912 — permet de rappeler le souvenir d’un grand nombre de pilotes de la France Libre dont Jean Maridor et Claude Raoul-Duval ne sont que les plus célèbres.
Les années d’après-guerre sont largement évoquées en plus de quatre-vingt pages, où les liaisons expérimentales par hélicoptère entre Caen et Le Havre à la fin des années cinquante sont une aventure peu connue. La manière dont l’auteur réussit à nous faire passer de l’histoire à l’actualité montre si cela est nécessaire que « Le Havre Aéronautique » n’a jamais connu de répit depuis le début du vingtième siècle: aujourd’hui encore, la plupart des nacelles moteur d’Airbus sortent des ateliers d’Aircelle, édifiés sur le site de l’usine Schneider.
Ce livre constitue très certainement l’une des plus belles réussites de ces dix dernières années en matière d’histoire aéronautique locale ; sa qualité est sans conteste également due au magnifique travail de mise en page des Éditions de l’Écho des Vagues, remarquable éditeur local.
Pierre-François Mary
*Encore que Breguet y installera une usine qui aura la privilège d’être à l’origine des grèves dans l’industrie aéronautique en 1936 !
NDLR : On notera la présence d’un index des noms cités et un autre des aéronefs évoqués, classés par « famille ». Le tout sur pas moins de 11 pages !
240 pages, 24 x 22 cm, relié
1,224 kg
Avec l’aimable autorisation des Éditions © L’Écho des vagues
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