Le Messerschmitt Me 323 Gigant (« géant » en allemand) ne brillait pas par des lignes gracieuses : il est vrai qu’il ne fut pas conçu pour séduire ses passagers à grands renforts d’élégance. Sur cet appareil qui intrigue davantage qu’il ne captive, aucun ouvrage conséquent n’avait été publié en français. Cette monographie au standard de la collection Profils Avions est donc la bienvenue.
Jean-Louis Roba fait remonter la genèse du Me 323 à la nécessité pour la Luftwaffe de disposer de planeurs de transport capables d’embarquer un blindé de type Panzer II, ou encore du matériel lourd. Dans un chapitre un peu court, mais fort intéressant, l’auteur brosse à grands traits l’histoire du Me 321, titanesque planeur qui préluda à la naissance du Me 323 hexamoteur*, appareil qui fut à son époque le plus gros du monde. Chapitre bref, sans doute, mais fort riche par l’évocation d’autres avions, tels les planeurs DFS 230 et Go 242 ou l’étonnant Heinkel He 111Z Zwilling (« jumeau ») pentamoteur**.
C’est donc assez rapidement que l’on assiste à la métamorphose du planeur Me 321 en appareil multimoteur, chapitre d’un réel intérêt. L’auteur nous explique par exemple les raisons de la motorisation à l’aide de Gnome et Rhône 14N bien français, alors qu’avaient été envisagés des BMW 801, Jumo 211J ou… Alfa Romeo 135C, de même qu’il évoque les problèmes liés à cette motorisation.
Ce genre de détail, qui n’a d’anodin que l’apparence, auquel on ajoutera le choix d’hélices Ratier, les différents types d’armement, la question du train d’atterrissage, l’étonnante disposition de l’équipage à bord (avec des mécaniciens dans les ailes), tout cela a rendu captivant un chapitre généralement aride.
Que les amateurs « d’opérationnel » se rassurent : dès la page 48, on entre dans leur domaine avec la seconde partie qui représente la part du lion : « Le Messerschmitt Me 323 au combat (1942-1945) ».
Ce gigantesque appareil de transport fut surtout utilisé sur deux théâtres d’opérations : l’Afrique du Nord et le front de l’Est tant redouté des fantassins de la Heer.
En Tunisie, mais aussi dans les Balkans et en Crète, les Giganten furent plus particulièrement utilisés dans des opérations de ravitaillement en matériel, munitions, carburant, lubrifiants…, ce qui rendit les missions particulièrement dangereuses, le pataud Me 323 n’ayant pas les capacités de manœuvres rapides en cas d’attaque des chasseurs alliés. On notera que le Gigant, en dépit de son allure massive, était plus rapide que les Junkers Ju 52 avec lesquels il composa de nombreux convois sous la protection de Messerschmitt Bf 110. On imagine quelles cibles faciles furent ces lents et massifs appareils ; les pertes furent très lourdes sous les coups des Kittyhawk et Spitfire de la RAF, en particulier lors du fameux « massacre du Cap Bon ». Après l’abandon de l’Afrique par les Allemands, les Me 323 furent déployés sur le front de l’Est, où ils eurent à affronter de rudes conditions (militaires et climatiques) et où ils disparurent un à un.
La vie de ces géants des airs ne fut pas « un long fleuve tranquille ». Jean-Louis Roba nous narre leur histoire avec précision, avec force témoignages de navigants, appuyant son texte à l’aide d’une iconographie recherchée et comportant quelques photos étonnantes.
Comme il est de mise dans les ouvrages de collection Profils Avions, les annexes sont fournies : liste des Me 323 connus (par Werknummer), effectifs et pertes des KGzbV 323/TG 5***, différentes versions du Me 321/Me 323, liste des membres de la KGzbV 323/TG 5 (étonnament détaillée : 10 pages !), 4 pages de photographies en couleur, 17 profils (en grande taille) de Thierry Dekker.
Comme de coutume chez Lela, un ouvrage bien difficile à prendre en défaut.
Philippe Ballarini
* hexamoteur : à six moteurs
** pentamoteur : à cinq moteurs
*** KGzbV : Kampfgeschwader zur besonderen Verwendung (Escadre spéciale)
168 pages, format 21 x 29,7 cm, couverture cartonnée
0,918 kg
– Collection Profils Avions N°19
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