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Le moteur rotatif

Préface de Philippe Wodka-Gallien

Regards croisés : deux regards différents pour un même ouvrage.
– Le commentaire de Jean-Noël Violette
– Le commentaire d’Alain Breton

En 1918, René Vidalie, ingénieur des Arts & Métiers, fit publier un livre intitulé « Le moteur rotatif ».
C’est donc avec plaisir que nous en avons reçu une ré-édition, par Decoopman, car nous avions apprécié, il y a deux ans, le premier ouvrage de cette collection de fac-similés : Les moteurs d’aviation.

On retrouve cette sensation de bond dans l’histoire, de voyage temporel. La qualité du papier, un peu épais sans que la finesse d’impression n’en pâtisse, et d’une teinte légèrement bistre, y est certainement pour beaucoup.

Cette ré-édition commence par un avant-propos de 22 pages écrit par Philippe Wodka-Gallien, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique. Cela permet de re-situer le contexte de l’utilisation des moteurs rotatifs, l’époque et leur usage pour la gamme allant des appareils légers, puis de record, aux avions de chasse. Cette introduction rappelle également les limites de l’épure : puissance inadaptée aux grands multimoteurs, compromis entre avantages et inconvénients : légèreté et bon refroidissement, mais mauvais rendement et importants effets gyroscopiques.

Pour ce qui est de l’appréciation de l’ouvrage de 1918, je vous laisse entre des mains et sous une plume bien plus expertes. Celles d’Alain Breton, capable de rendre récréatif et roboratif un texte sur les moteurs rotatifs…

Jean-Noël Violette


Un ouvrage sur les moteurs ? Encore un ? Et sur les seuls rotatifs de surcroît ?

Telle était déjà la réaction du préfacier de l’ouvrage en 1918…. mais une fois « entré » dans ces pages, le lecteur est happé par un texte clair, précis, et rigoureusement ordonnancé. Il découvre coup sur coup le principe des moteurs fixes, les différences introduites par les rotatifs, la cinématique particulière de ces derniers et l’explication de leur légèreté. Ces passages sont appuyés sur de belles démonstrations mathématiques, montrant combien les contraintes des rotatifs sont spécifiques. Puis vient l’examen de tous les composants, embiellage, distribution, allumage, lubrification, carburation, pour lesquels tous les secrets sont dévoilés : les bielles à talon du Le Rhône, les très curieuses cames à taquet du Clerget, la distribution quasi desmodromique du Le Rhône, le cycle assez ésotérique du Gnome monosoupape, sont tour à tour décrits et expliqués avec de nombreuses figures.

On découvre encore l’insolite allumage à secteurs variables permettant la réduction de puissance de ces moteurs incapables de fonctionner en admission étranglée. Donc on allumait les bougies une fois sur 2, voire une sur 3 quand ce n’était pas une sur quatre pour le Gnome ! Une étrangeté qui se retrouve encore dans le carburateur Tampier Blocktube, bien oublié de nos jours mais précurseur des modèles à aiguille et boisseau qui firent les beaux jours de mécaniques bien terrestres, anglaises ou motos.

L’ensemble de ces éléments est replacé dans son contexte, à la fois historique et technique, l’auteur ayant pris la précaution de nous prévenir d’emblée des limitations de son sujet: il n’a pas l’intention de traiter les architectures « plus ou moins bizarres » telles que celles reposant sur le théorème de La Hire (comprendre : moteurs Burlat) et autres.

Lucide, Vidalie commence d’ailleurs son propos par ce simple constat : « Le moteur rotatif n’est probablement pas le moteur de l’avenir… ». Et l’on trouve plus loin l’explication de ce handicap : les rotatifs, montés sur des cellules légères, rendent leur pilotage délicat et les soumettent à fortes contraintes. Ils sont en effet victimes de la précession gyroscopique, aggravée bien évidemment par l’augmentation des masses et régimes qu’impose la course à la puissance. Mais l’auteur ne fait qu’entrevoir la solution : « on peut équilibrer dans une certaine mesure l’effet gyroscopique en faisant tourner l’hélice en sens inverse du moteur ». Ce qui ouvre la porte aux bi-rotatifs, peu développés en France bien qu’à l’époque leur principe soit déjà mis en application par Siemens & Halske en Allemagne, et dont l’ultime avatar sera le très prometteur Mawen de 1938.

Cette lucidité se poursuit dans l’exposé impartial des insuffisances des rotatifs et de leurs pannes : contraintes mécaniques et difficultés de lubrification se conjuguent pour abréger la vie de la segmentation, dont l’importance reste primordiale pour éviter les effets du « blow by » Le mot était inconnu à l’époque, mais pas le phénomène, qui pouvait réduire considérablement le rendement volumétrique du moteur, à tel point que l’ingénieur de Le Rhône, Louis Verdet, avait déposé divers brevets visant au refroidissement de l’intérieur du carter.

Remarquablement documenté, précis et concis (mais 150 pages tout de même…), au final l’ouvrage est un magnifique livre de recettes. Une fois refermé, le lecteur ne peut manquer de se dire : et si je construisais moi aussi un rotatif ?

Alain Breton

En bref
151 pages, broché, 15,6 x 23,5 cm, couverture souple, nombreuses illustrations en noir & blanc(-écru) ISBN 978-2-36965-185-7 17 €