En 1947, l’Argentine devient le huitième pays à faire voler un avion à réaction. Avec cette particularité : contrairement à l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni, les États-Unis, l’URSS, le Japon et la France, elle ne possède pas une grande industrie aéronautique aiguillonnée par un investissement massif dans la Seconde Guerre mondiale. L’Argentine doit son succès à son hébergement généreux d’ingénieurs étrangers ayant fui les combats… ou l’armistice. Le Pulqui est ainsi l’œuvre du Français Émile Dewoitine, en délicatesse avec les autorités françaises, et le Pulqui II naîtra trois ans plus tard du crayon de Kurt Tank, l’un des nombreux ingénieurs allemands exilés en Amérique.
Ce n’est pas l’histoire du Poids des nuages, qui est une pure fiction. Mais celle-ci s’inspire profondément de cette réalité : elle conte les aventures d’un patron d’usine français qui, avec l’aide d’un ingénieur allemand et de mécaniciens locaux, crée un chasseur pour les forces argentines. Le scénario est un récit assez classique, avec des obstacles à surmonter, une histoire d’amour, des soupçons et des trahisons ; mais Jack Manini sait intégrer élégamment la grande Histoire à son synopsis, avec la montée en puissance des Perón, l’influence d’Eva sur la vie politique du pays, et des anecdotes plus méconnues comme la perte d’une pale d’hélice sur le Latécoère 631 « Lionel-de-Marmier », déplacée ici à 1947. La progression est régulière, le récit s’étoffant et s’accélérant peu à peu après une mise en place posée : l’auteur maîtrise sa tâche et s’en acquitte avec brio.
Le graphisme est, comme pour La loi du Kanun (précédente œuvre des mêmes auteurs), l’association du trait de Michel Chevereau et de couleurs de… Jack Manini ! Le premier offre un encrage dynamique, qui rappelle presque des crayonnés, jouant beaucoup sur l’épaisseur du trait pour souligner aussi bien la gueule anguleuse du personnage principal que les courbes plus délicates des personnages féminins. C’est élégant et ça colle parfaitement au scénario : pour cette ambiance qui rappelle vaguement des films comme Le rapace ou Les grandes gueules, le dessinateur semble parfois avoir appelé Ventura, Gable et Taylor au casting. La mise en couleurs, classique et plutôt sobre, n’attire pas de commentaire particulier, sinon peut-être au niveau des nuages dont la mise en volume est franchement réussie, mais l’ensemble du dessin est fort agréable.
Malgré quelques approximations techniques (des réacteurs de 4,3 tonnes de poussée, en 1947, il n’y en avait pas des masses, et la canalisation des prises d’air visible p.27 est un cauchemar d’ingénieur qui limite forcément le volume de carburant disponible) et un fond finalement guère original, le récit est donc solide et réussi, et le graphisme solide contribue à créer une ambiance prenante. On attend avec impatience le second volume, qui devrait clore l’histoire et être publié en juin 2016.
Franck Mée
46 pages, 21,5 x 29 cm, couverture cartonnée
Les albums de la collection Le poids des nuages
Avec l’aimable autorisation des
© Éditions Bamboo
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