L’historien et chargé d’enseignement a tenté dans cet ouvrage une synthèse du mythe de l’as, pilote de combat crédité de cinq victoires aériennes homologuées. Sujet ardu, objet de polémiques, qui plus est sur une longue période commençant bien évidemment par la Première Guerre mondiale et s’achevant avec les deux guerres du Golfe, et comprenant tous les conflits où des combats aériens ont eu lieu.
L’avant-propos d’une dizaine de pages explique les motivations et les buts de Pierre Razoux, suivi de 14 chapitres thématiques, à l’intérieur desquels le déroulé est chronologique et géographique. Ce découpage se révèle judicieux à l’achèvement de la lecture de plus de 450 pages, et un épilogue plutôt réussi. S’il sait se montrer critique sur certaines questions ou palmarès, à l’opposé, l’auteur n’a pas le même regard sur d’autres aviateurs et tableaux de chasse qui ont fait couler beaucoup d’encre. La connaissance des conflits du Moyen-Orient (guerres Israélo-arabes, Iran-Irak) est de loin un point fort de ce spécialiste de cette partie du globe. Inversement, les lacunes sont nombreuses sur des domaines pourtant très documentés, comme les pilotes alliés pendant la Seconde Guerre mondiale ; quand il ne s’agit pas d’incompréhensions voire de contresens au sujet de la Royal Air Force et de l’U.S. Army Air Force. L’instrumentalisation par le haut-commandement et les politiques, vers la publicité à outrance ou au contraire vers une discrétion totale est bien relatée, comme la littérature spécialisée qui va voir le jour à partir de la Première Guerre mondiale, puis se développer surtout à partir des années 1920, et installer certaines icônes sur des piédestaux, l’analyse scientifique et froide de certaines batailles ou palmarès ne pouvant se faire pour des raisons de propagande et/ou d’accès aux sources.
De nombreuses méprises émaillent le livre dès lors que l’aspect technique est abordé, notamment le matériel : non, le compresseur ne sert pas à alimenter le moteur en vol dos ! Le Rolls-Royce Merlin n’a pas commencé avec six cylindres avant d’en compter douze ! L’as néo-zélandais Colin Gray n’est pas le collectionneur de warbirds Stephen Grey ! Dans le film 1941, le pilote de P-40 est John Belushi et non Dan Ackroyd, qui figure bien dans ce film, mais dans un autre rôle. Le Boeing 727 n’est pas un quadriréacteur…
Les annexes au nombre de quatre comprennent une liste des premières, le palmarès par conflit, le palmarès par pays et quelques « légendes volantes » (il s’agit ici des avions, pas des pilotes). Les sources et bibliographie montrent justement les manques documentaires qui ont faussé la vision et la compréhension du phénomène.
L’auteur évoque 8000 as, indique qu’il a rédigé 800 notices biographiques qui lui ont servi pour son étude qui se veut historique et sociologique. Son analyse est donc dès le départ tronquée, car on ignore si l’échantillon étudié était représentatif des 8000 ou pas, et on ne trouve aucune statistique ou graphique qui auraient pu dresser un début d’analyse sociologique, comme il est annoncé dans l’avant-propos. Les seuls graphiques peu évocateurs figurent en annexe et concernent les avions.
Un encart photographique central comporte 19 images reproduites sur un papier de qualité photographique, ce qui permet une bonne reproduction que n’aurait pas permise le papier sur lequel le texte est imprimé. Le livre globalement bien écrit hormis des erreurs répétées sur la syntaxe aéronautique (par exemple le quantième pour les unités de la RAF qui n’en prennent pas, chiffres arabes là où les chiffres romains sont usuellement employés, quelques coquilles…) ne se lit pas d’une traite, et il aurait été judicieux pour reposer l’œil d’intégrer au fil du texte des courbes, des graphiques ou des statistiques qui auraient rendu la lecture plus digeste. Les notes de fin d’ouvrage rendent également la lecture plus difficile, nécessitant pour ma part deux marque-pages pour passer du texte aux notes avec facilité.
Si la volonté était louable, l’essai n’est pas transformé, car trop d’erreurs émaillent ce volumineux opus, qui par moment s’égare un peu et ne parvient pas à fournir l’analyse historique et sociologique promise.
Jocelyn Leclercq
464 pages, 15,5 cm × 24 cm, couverture souple
0,646 kg
Prix Guynemer 2019