Pour m’être déplacée pendant plusieurs années dans le cadre de mes reportages au sein des escadrons de chasse de l’armée de l’air, je me méfiais un peu en ouvrant l’autobiographie d’Alain Schmitz, pilote de chasse belge. Ferait-il partie de la race des « seigneurs du ciel », des « blonds aux yeux bleus », bref des dieux vivants avec un ego stabilisé dans le rouge vif, retraçant leur fabuleuse carrière à la troisième personne du singulier ? En réalité, dès la première page, j’ai pu constater que j’avais affaire à un homme tout simplement humain.
Alain Schmitz narre, d’une écriture fluide, dynamique et limpide, sa carrière de pilote de chasse de la 315e escadrille stationnée sur la base de Florennes, puis de la prestigieuse patrouille acrobatique des Diables rouges jusqu’à son départ vers une compagnie privée. Du Stampe SV4b au F104 G Starfighter, du Fouga Magister CM170 au Douglas DC4 à bord duquel il participa au pont aérien du Biafra, l’auteur dévoile son quotidien qui se décline en cours théoriques, en entraînements divers et en vols. Il est entré dans l’armée de l’air par vocation afin de satisfaire sa passion de voler et de percer les nuages sur le dos à une époque où la sécurité des vols n’a pas encore imposé sa tyrannie.
Dans les années soixante, la guerre Froide entre l’Est et l’Ouest oblige les forces aériennes de l’Otan à s’entraîner intensément au cas où le conflit larvé s’ouvrirait. Les pilotes de chasse de Florennes et leurs homologues de la base de Cambrai se livrent des combats fictifs, répétant la bataille d’Angleterre à l’infini. C’est à celui qui remportera le plus de victoires, lesquelles sont dûment enregistrées sur bandes par la caméra embarquée puis expédiées à la « victime » comme preuves indiscutables et dignes d’être homologuées.
Diverses anecdotes tendres, cocasses ou dramatiques, telles qu’on peut en entendre dans les escadrons où l’on risque la mort au moindre incident technique — l’électronique de bord n’étant pas encore très fiable — émaillent un récit empreint à la fois d’humour et de modestie. Outre sa vie professionnelle, l’auteur nous régale des rapports qu’il entretient avec les copains, les femmes, son épouse et sa hiérarchie qu’il n’apprécie pas particulièrement. C’est d’ailleurs à cause d’elle qu’il déposera ses galons de capitaine fraîchement promu pour embrasser une seconde carrière, libéré du despotisme des « anciens » et de l’état-major.
Cette autobiographie tonique se lit d’une seule traite. Les amateurs trouveront avec plaisir un vocabulaire riche qui laisse la part belle au langage aéronautique. Parcourir ces 190 pages, c’est retrouver l’ambiance toute particulière du monde clos des pilotes de chasse où l’on partage, à Mach 2 et en place arrière, leurs moments heureux ou douloureux.
Quand j’ai refermé Le Temps d’une Vie – Les Ailes, je n’ai pu m’empêcher de rapprocher ce morceau de vie à celui du colonel André Marchi, pseudo « Jef », pilote de chasse « entré par la petite porte » à Cambrai au cours de la même époque, reconverti ensuite sur Airbus chez Air France après un passage à la Patrouille de France aux côtés d’un certain capitaine Job qui deviendra chef d’état-major de l’armée de l’air. Jef m’avait accordé une interview en 2004 dans laquelle j’ai reconnu le pilote belge. Même parcours, mêmes sensations, même vocabulaire, même enthousiasme dans le récit. Je soupçonne même les deux lascars de s’être « canardés », dans le ciel du Nord-Est, lors d’un « rejeu » de la bataille d’Angleterre. J’ai senti l’odeur du kérosène et j’aurais volontiers effectué un Touch and go pour entendre la suite…
Corinne Micelli
196 pages, 14,5 x 21 cm, broché