Fichtre ! Que voilà un étonnant tandem ! Installer sur le même vélocipède biplace un académicien de l’Air et de l’Espace et un journaliste passionné par les OVNI, il fallait oser. Bah ! Ne faisons pas la moue : après tout, nul n’est tenu de se figer dans une posture ultra-spécialisée quasi monomaniaque et chacun est libre de faire, pour des raisons qui lui sont propres, une incursion dans un domaine qui lui est étranger… voire étrange.
La couverture mentionne, en gros caractères « Le triangle des Bermudes », puis, en plus petit, le sous-titre « et autres histoires vécues ». Comme nous le verrons, ce second volet, évoqué discrètement, pourra davantage intéresser certains que celui évoqué par le titre lui-même.
En Europe, le sujet des disparitions dans le « triangle des Bermudes » connut un vif succès dans les années soixante-dix, en particulier après la parution du livre de Charles Berlitz*. Ce « triangle » mystérieux connut son heure de gloire et quantité d’articles, livres, films, séries télévisées s’y sont référés. On se souvient que c’est le fameux Flight 19, une formation de cinq TBM Avenger disparus en décembre 1945 qui fait l’ouverture du célèbre film de Steven Spielberg Rencontres du troisième type. Depuis la « belle époque » des années soixante-dix et la vogue des sujets à connotation énigmatique (Atlantide, extra-terrestres, cités perdues d’Amazonie, Terre creuse, « pistes » de Nazca…) qui connurent d’honnêtes succès, l’édition ne se préoccupe plus guère de ces thèmes plus ou moins fantastiques, voire ésotériques. Une quarantaine d’années après cet effet de mode, l’idée d’évoquer à nouveau ce fameux « triangle des Bermudes » n’a donc rien d’extravagant.
La partie du livre dédiée au « triangle des Bermudes » occupe les 150 premières pages, soit un peu moins de la moitié de l’ouvrage. Des lecteurs qui, dans la période citée ci-dessus, se sont laissé aller aux lectures de quelques-uns des nombreux ouvrages cités en bibliographie de ce long chapitre, retrouveraient ici la quasi-intégralité des éléments connus concernant en particulier (et entre autres) la disparition de l’escadrille d’Avenger. Notons qu’à la différence de Berlitz et de nombre de ses homologues, Bernard Marck et Jean-Claude Bourret ne se hasardent dans aucune spéculation. On est donc à cent lieues du « réalisme fantastique » de Pauwels et Bergier ; cela en rendrait même ce volumineux chapitre un peu terne.
En revanche, l’ambiance change nettement à la page 157 et la lecture devient plus plaisante : plus rythmée et plus vivante. On reconnaît enfin la plume de Bernard Marck dans sa narration de l’invraisemblable traversée des Andes en 1921 par la fantasque Adrienne Bolland, avec bien évidemment l’incontournable évocation des étranges recommandations qui lui furent faites par une inconnue peu avant sa tentative. Du mystère, certes, mais pas une sornette, car cette épisode effarant fut rapporté par l’aviatrice elle-même.
La suite est de la même eau et évoque des événements fantastiques* dont certains sont connus des amateurs d’histoire de l’aviation, comme ce qui tourne autour de la catastrophe du dirigeable britannique R-101, d’autres moins communs, comme les dialogues de Lord Dowding* avec ses pilotes tués au combat. Le chapitre suivant rappellera des souvenirs à ceux qui, dans les années soixante-dix, rivaient leur postérieur sur un fauteuil et leurs yeux sur leur téléviseur pour suivre l’Histoire de l’Aviation de Daniel Costelle : il vont retrouver, avec force détails inédits, Nicholas Alkemade, ce mitrailleur de queue qui, en 1944, sauta sans parachute d’un Lancaster en flammes depuis une altitude de près de 6000 m… et en survécut tellement bien qu’il put témoigner devant la caméra de Costelle. On ne s’en tiendra pas là, car après Alkemade, ce livre évoque d’autres de ces « miraculé(e)s ».
Quelques autres courts sujets où il est question de cas inexpliqués (et inexplicables) viennent clore ce livre, par exemple avec le passage bruyant à basse altitude du Williams W-17 « Stinger » rouge (un bolide de compétition) de Deke Salton, « patron des astronautes »… alors que celui-ci est décédé et que l’appareil n’a pas bougé de son hangar.
Voilà donc un livre qui, en raison de son sujet, n’aura peut-être pas sa place dans une bibliothèque « aéro », mais qui, tout compte fait, en trouvera une dans un sac de plage ou de voyage. On y retrouvera l’ambiance plus « spiritualiste » qui fut celle des années soixante-dix… sans toutefois partir dans le fantastique échevelé du Matin des magiciens cher à Richard Nolane.
Philippe Ballarini
*Le livre de Charles Berlitz : The Bermuda triangle (Avon Publishing, London, 1974)
*fantastique, au sens propre du terme : « Se dit d’une œuvre littéraire, artistique ou cinématographique qui transgresse le réel en se référant au rêve, au surnaturel, à la magie, à l’épouvante ou à la science-fiction. (Larousse) ».
*Lord Hugh Dowding, chef du Fighter Command durant la bataille d’Angleterre, reconnu comme étant le principal artisan du (relatif) succès de cette bataille.
392 pages, 14 x 22,5 cm, couverture souple
0,412 kg