Que voilà donc un ouvrage peu commun en ces lieux… Professeur agrégé du Val de Grâce, Marie-Dominique Colas est psychiatre militaire et nous propose une immersion dans le monde des grands blessés de la face. Eh oui… Je vous entends déjà renauder : « De quoi se mêlent-ils, à l’Aérobibliothèque ? N’y a-t-il pas assez d’ouvrages d’aéronautique, qu’ils veuillent nous faire lire des horreurs sur la médecine de guerre ? » Pour être honnête, je n’étais pas loin de me la poser, cette question, quand le boss m’a parlé pour la première fois de ce bouquin… Et puis j’ai commencé à lire.
Bon… L’aéronautique est quasiment inexistante de ces pages… Si ce n’est en filigrane, car — comment l’oublier, il y a aussi des personnels navigants d’avion ou d’hélicoptère défigurés suite à un crash. Mais le champ du propos est plus vaste : il y a des combattants que le fer déchire, quelles que soient les circonstances dans lesquelles l’horreur les pénètre. Un siècle plus tôt se déroulait la boucherie qui allait donner naissance à cette expression « Gueules cassées », dont les infortunés qui se sont ainsi désignés ont fait un étendard. Et aujourd’hui, s’il y en a beaucoup moins, il est encore des soldats de la France qui reviennent du combat avec l’enfer imprimé dans le visage.
Marie-Dominique Colas fait partie de ces professionnels qui les accueillent, vont les soigner, les soutenir, passer du temps avec eux, pour enfin les ramener vraiment parmi nous. Avec son regard humaniste de médecin de l’âme, tout au long des pages elle déroule l’histoire et la chronique clinique de ces mutilations si particulières, durant les cent années écoulées. Sans voyeurisme, sans ni non-dit, mais pas sans chaleur, elle nous explique comment travaillent les soignants ; comment, aussi, leur relation avec le patient les impacte. Et combien l’humain est souverain quand ce langage qu’est un visage est presque aboli…
Écrit par un médecin, ce livre fait souvent appel à des références scientifiques, mais n’évite pas l’écueil — redoutable pour nos esprits — du jargon médical… C’est dommage. On peut penser que le fond de l’ouvrage eût mérité une meilleure accessibilité. Néanmoins l’ouvrage peut constituer, pour nous autres, un rappel utile à la réalité toute nue : derrière toutes ces belles machines et les personnels qui leur donnent vie, il y a aussi l’horrible vérité de la guerre…
Philippe Boulay
250 pages, 15,5 x 22 cm, broché
Préface du général J.G. Salvan (Président de la Fondation des Gueules Cassées de 1996 à 2002)
Avec le soutien de la Fondation des Gueules Cassées
– Prix de La Saint-Cyrienne 2015