En novembre 2008 avait été organisé un colloque international intitulé « La culture aérienne, objets, imaginaire et pratiques de l’Aéronautique, XIXe et XXe siècles », dont l’objectif était de définir de nouvelles directions de recherche pour l’histoire de l’aéronautique.
Les actes de ce colloque n’ayant pas été publiés, Nathalie Roseau et Marie Thébaud-Sorget, qui avaient toutes les deux participé à l’organisation des rencontres, ont décidé de rassembler dans le présent ouvrage une douzaine d’articles confiés à autant d’intervenants du colloque, et abordant sous des angles différents le thème de l’aéronautique, en tant qu’élément essentiel de la culture du monde industriel depuis la fin du XIXe siècle.
Il est difficile de résumer un tel recueil de textes variés (un livre à la présentation élégante) qui vont depuis un travail classique sur le développement du transport aérien en Norvège pendant l’entre-deux-guerres, vecteur d’unification d’un pays qui n’a accédé à l’indépendance que quelques décennies auparavant, jusqu’à un article très littéraire consacré aux métaphores aériennes chez l’écrivain américain Thomas Pynchon…
On lira avec attention l’introduction de l’ouvrage qui précise le fil conducteur qui relie ces différents articles, lesquels tentent de définir ce que peut être une culture « aérienne », conséquence de l’apparition du vol motorisé au début du XXe siècle : perception que l’on peut avoir de l’espace qui doit se confronter à l’expérience aérienne même si la vue perspective existe depuis longtemps, imaginaire renouvelé où de nouveaux héros ne sont pas de simples remises au goût du jour d’images du passé, notion de frontière naturelle bouleversée, etc.
Les cinq axes suivants sont explorés :
L’épreuve du vol avec l’apparition d’un nouveau héros qui doit résoudre l’antagonisme entre dépassement de soi et sécurité du vol si on veut en démocratiser la pratique. Épreuve du vol également, avec une étude sur les problèmes rencontrés par les pilotes civils quand apparurent les premiers « glass cockpits*« , qui nous paraît cependant assez datée, ce dont l’auteur ne prend que partiellement conscience, sujet très franco-française. L’étude se focalise sur l’exemple de l’Airbus A 320, sans relever le contexte de la mise en ligne trop rapide de l’avion, le conflit latent entre certains pilotes de ligne et quelque(s) pilote(s) d’essais, et enfin la situation sociale au sein d’Air Inter. Il y a par ailleurs une confusion entre ce qui dû aux « glass cockpits*« , déjà présent sur les Boeing 767/757 et A 310, et le pilotage à deux (depuis les années 1960s sur le B 737 ou le DC-9).
L’expérience transfrontalière de l’aéronautique avec l’exemple de la Norvège entre les deux guerres, dans un bon article sur l’intégration des régions septentrionales au reste du pays récemment indépendant grâce à l’aviation commerciale naissante, suivi d’une étude de l’exemple d’Airbus, modèle d’intégration sans réel recours aux institutions politiques européennes (paradoxalement dû à un auteur italien dont le pays qui ne participe pas à Airbus, et dont l’industrie a fait le choix de la coopération américaine…).
Associé à l’article consacré à Thomas Pynchon, un travail s’intéresse aux « passion et peur de l’aviation au travers de la carte postale entre 1890 et 1914 », sujet certainement intéressant mais qui peine à nous convaincre par certaines approximations…
Suivent deux articles explorant la nouvelle perception du monde apportée par l’avènement de la navigation aérienne pratique, en ballon comme en aéroplane, sujet qui élargit de manière intéressante l’image traditionnelle (arts décoratifs au ballon, école futuriste, …) de l’influence que cette révolution aéronautique a pu avoir sur les arts comme sur l’architecture ou l’urbanisme, et qui fait écho au travail de Christoph Asendorf comme à l’organisation de l’importante exposition « Vue d’en haut » par le Centre Pompidou Metz en 2013.
L’ouvrage se conclut par deux articles pertinents sur la massification (relative) du transport aérien à partir de la fin des années cinquante et sur le cas particulier que représentent les aéroports, prototypes d’un monde futur où le transport aérien est de plus en plus incontournable, mais qui arrivent de moins en moins à s’insérer dans la trame urbaine : liaison avec l’hyper-centre de la cité qui tente de cacher la banlieue (problème de voisinage)…
Certains pourront ne voir là que des cogitations intellectuelles, mais il serait dommage de passer à coté de ces réflexions sur une culture aérienne (et non aéronautique !) qui rassemble professionnels, passagers et spectateurs; la littérature aéronautique dite spécialisée s’adresse beaucoup plus souvent qu’il ne le pensent à leur imaginaire…
Compte rendu informel d’un colloque organisé en 2008, on peut se demander quelle influence a pu avoir celui-ci sur la recherche historique depuis… Au vu du peu de travaux réellement novateurs apparus à l’occasion de la commémoration du déclenchement de la Première Guerre mondiale, une nouvelle histoire de l’aéronautique semble toujours à l’ordre du jour, qui justifierait certainement l’organisation d’une nouvelle rencontre.
L’intérêt pour le fait aéronautique de la part du monde académique que témoigne cet ouvrage est une avancée indéniable, mais l’exemple de l’article sur les « glass-cockpits*« montre qu’on ne peut plus faire l’impasse sur une connaissance fine d’une technologie pointue qui évolue très rapidement depuis un siècle (remarque qui vaut d’ailleurs pour une part des publications issues du monde dit « passionné »).
Pierre-François Mary
* Glass cockpit : poste de pilotage dans lequel les instruments à aiguille ont été remplacés par des écrans d’ordinateur
Textes de Claude d’Abzac-Epezy, David Burigana, Teresa Castro, Gilles Chamerois, Guillaume De Syon, Rune Hovd, Caroline Moricot, Frédéric Pousin, Nathalie Roseau, Vanessa R. Schwartz, Marie Thébaud-Sorger, Andrea Urlberger.
208 pages, 14 x 24 cm, broché, couverture à rabats