Derrière ce titre choc se cache une histoire unique qui allie l’extraordinaire au quotidien des équipages de l’U.S. Army Air Force. Ou plutôt à celui d’un équipage parmi beaucoup d’autres dont l’auteur prend soin de compter mille et une anecdotes tirées de ces milliers de groupes d’hommes et des missions qu’ils ont menées, au-dessus de l’Europe mais aussi dès leur apprentissage.
Ce livre débutant par une litanie de chiffres, nous inviterions le lecteur qui s’en lasserait à passer au chapitre suivant. Pourtant, cette cascade de statistiques et de bilans restitue combien la constitution, la mobilisation et l’utilisation de cette force aérienne avait quelque chose d’Herculéen et de tragique tant les chiffres du tribut sont lourds. Ne l’oublions pas.
Très vite, l’auteur se focalise tour à tour sur les deux principaux protagonistes de son sujet, Werner Goering* et celui qui sera son copilote en commençant par le début : leurs milieux familiaux et leur jeunesses tout en rappelant le contexte international de la fin du XIXe siècle (de leurs aïeux directs), la Première Guerre Mondiale et ses conséquences jusqu’à Pearl Harbor. Récit nécessaire qui éclaire l’incroyable choix du F.B.I., mais hélas entaché d’un procédé brouillon qui multiplie les allers-retours dans le temps et l’espace. Car si nombre d’anecdotes sont citées à point nommé pour soutenir ce qui survient à l’équipage phare durant ces trois cents pages, il en est beaucoup qui ouvrent des parenthèses qui nous égareraient presque. Passons les habituelles et lassantes approximations de la traduction, il reste quelques étrangetés de l’auteur lui-même (par exemple lorsqu’il évoque au-dessus de l’Europe les bombardiers lourds « tels les B-17, B-24 et B-29 » (!) [p. 149] ou la double évocation du même incident). C’est dommage car l’ouvrage grouille de situations et du ressentit de ces jeunes hommes face à leur incorporation, leur sélection, leur formation, leur arrivée en unité et bien sûr une fois en mission dans un milieu hostile pas seulement du fait de l’ennemi.
Cet équipage ordinaire (mais l’est-il vraiment ?) est confronté à ce que tant d’aviateurs ont vécu et Stephen Frater s’attache à illustrer en quoi leur sort est identique ou différent à cette masse d’engagés et de conscrits poussés par le rêve du vol. Et de nous rappeler ce que cette énergie coûta … et produisit. Les effets d’échelle (individu / équipage / Bomb Squadron / Bomb Group ― le 303th / 8th AF / USAAF) varient et montrent combien cette grosse machine qu’était la Puissante 8e (Mighty Eight) était parfaitement structurée pour mener son combat de titan face à une Luftwaffe évoquée plus laconiquement et parfois de façon un peu méprisante (le jugement sur ses bombardiers moyens ne ferait pas plaisir à leurs homologues alliés servant à bord des A-20, B-25 et autres B-26 …)
Sur la fin, le récit se fait plus ordonné, plus limpide : le temps de paix n’est pas le chaos du conflit ouvert mais n’est pas forcément propice au meilleur des mondes. Ce qui ressemble à une (longue) postface sur trois chapitres n’est pas sans intérêt et même fort en émotions. Il apporte une conclusion qui met en relief combien ces années quarante ont bousculé les existences, furent-elles « épargnées ».
Un livre intéressant mais parfois touffu qui aurait sans doute mérité plus d’attention dans les finitions. Si la trame est pourtant bonne, sans doute l’auteur en se voulant exhaustif aura perdu par moments la clarté qui aurait fait de ce livre un récit captivant. Il le sera néanmoins pour beaucoup qui découvriraient l’action des « lourds » mais gageons qu’ils auront peine en refermant la dernière page d’en tirer une chronologie évidente. Comme ce n’est pas un livre d’Histoire mais d’histoires, il restera pour un grand nombre de lecteurs une porte sur un monde où en quelques semaines votre vie basculait … et il y a là une foule de situations que beaucoup ne soupçonneraient pas.
François Ribailly
* Werner Goering : neveu d’Hermann Goering, commandant en chef de la Luftwaffe et ministre de l’Aviation du IIIe Reich.
318 pages, 15,3 x 24 cm, couverture souple
Traduction : Isabelle Souriau