L’énigme des bombes en bois

Wood for wood
Pierre-Antoine Courouble

Regards croisés : deux regards différents pour un même ouvrage.

Le commentaire de Philippe Bauduin
Le commentaire de Georges-Didier Rohrbacher
Le droit de réponse de Pierre-Antoine Courouble

Commentaire de Philippe Bauduin
S’il est incontestable que quelques pilotes facétieux ont pu ici ou là bombarder avec des objets divers, parfois même en prenant de grands risques, des cibles symboliques, les nombreux témoignages de première ou énième main du livre n’accréditent pas la thèse qu’il aurait pu y avoir un plan concerté d’attaques fictives des faux aérodromes.

Plusieurs raisons, dont une seule est évoquée par l’auteur, excluent cette hypothèse. La première et certainement la plus déterminante, est la méfiance voire l’opposition farouche de la RAF pour toute mission de largage de tracts et autres initiatives du SOE. Il n’y a jamais eu en effet de Squadron affecté ce type de missions, non considérées le plus souvent comme missions de guerre, et lorsque des opérations SOE ont eu lieu c’était toujours à contre-cœur et souvent avec des équipages en OTU. La RAF était trop attachée à la sauvegarde de ses personnels pour autoriser des missions fictives. On note a contrario que l’USAAF avait dédié deux Squadron à ces tâches mais il n’est jamais fait mention qu’ils aient participé à ce type de missions.

Une autre raison est qu’aucun des pilotes alliés ne connaissait la localisation des faux aérodromes. Seuls les services de renseignements informés par les reconnaissances aériennes et les indications des informateurs au sol étaient les uniques détenteurs des positions de ces faux objectifs. Les missions ne pouvaient donc être décidées que par le commandement.

Il reste la rumeur, évoquée par l’auteur et qui semble-t-il, est la seule justification de tous ces témoignages, qui aurait mérité d’être davantage développée.

L’auteur n’aurait-il pas, presque 70 ans après, été lui aussi manipulé par les plus grands spécialistes de la désinformation et de la guerre psychologique que sont de tous les temps : les Britanniques ? L’UPC, Underground Propaganda Committee, indique en effet avoir soumis le 14 janvier 1941 une rumeur indiquant qu’un faux aérodrome allemand de Normandie a été le lendemain de sa construction bombardé par des bombes en bois. Le même UPC déclare cependant, la main sur le cœur, que cette rumeur n’aurait jamais été diffusée pour protéger ses sources ! Comment le croire ?

Le livre de P.A. Courouble a le mérite de compiler tout ce qui a pu se dire ou s’écrire sur ce qui fut l’une des plus grandes mystifications de la dernière guerre.

Philippe Bauduin


Commentaire de Georges-Didier Rohrbacher

De mémoire, les bénévoles qui œuvrent pour l’Aérobibliothèque n’ont jamais publié de recension « sanglante » ou « hilarante » : ils respectent infiniment le travail des auteurs, ne connaissent que trop les délais d’accès et d’exploitation des archives, le temps et les efforts qu’il faut aux chercheurs bénévoles, aux passionnés, érudits locaux, « monomaniaques » et autres « doux dingues » affectueux pour simplement récolter les matériaux historiques/techniques, les témoignages, pour trouver un éditeur qui restitue fidèlement le fruit de leur patient travail, etc. L’objectif reste ici de présenter le plus sobrement, le plus honnêtement possible (ce qui n’exclut heureusement pas les « coups de cœur ») toutes les publications soumises, sans distinction a priori de mérite ou d’intérêt. Pourtant, pour certaines d’entre elles (une infime minorité il est vrai), cela ressemble de prime abord à une « mission impossible » mais elles ne sont pas écartées pour autant, le résultat dût-il déplaire un tant soit peu à leur(s) auteur(s) et éditeur(s). Et ne croyez pas que ces impitoyables censeurs soient tous des « spécialistes » (qualificatif commode dès que l’on a besoin des services de quelqu’un !) : certes, leurs périodes ou sujets de prédilection sont relativement connus, mais cela ne signifie pas qu’ils ne sachent pas envisager une problématique avec l’œil du néophyte, qui ne demande qu’à voir, qu’à comprendre, avec la plus grande neutralité possible par rapport à la problématique et aux intervenants…

Ainsi, j’ai abordé le livre de Pierre-Antoine Courouble (P-A.C.) intitulé L’énigme des bombes en bois sérieusement, espérant être convaincu de façon tout à fait pragmatique que l’hypothèse de bombardements délibérés d’objectifs factices (des leurres destinés à détourner l’attention des véritables sites visés par les bombes) par un adversaire armé de projectiles en bois, pouvait peut-être trouver un début de commencement de fondement réel, basé sinon sur des preuves irréfutables, du moins sur un faisceau de vraisemblances concordantes et largement corrélées. L’auteur nous avertit ainsi (p.11) : « Ce livre aborde un sujet qui n’a, jusqu’à présent, jamais été traité dans aucun ouvrage consacré. Que ce soit par un historien, un écrivain ou un journaliste. Il ne prétend pas à l’exhaustivité sur la question. Il essaye d’établir un état des lieux sérieux sur le plan historique et documentaire, et il tente d’apporter des éléments de réponse à une énigme historique » ou encore il « résume vingt mois d’enquêtes, trois cahiers de 96 pages noircis de notes, de très nombreux échanges de courriers ainsi que plusieurs centaines d’heures d’entretiens téléphoniques ou de rencontres sur le terrain. Il aurait fallu un livre entier, et même un gros livre, pour rendre compte de l’intégralité de ces entretiens. » Soit. Aucun travail ne peut être réputé exhaustif, l’avertissement est classique. Mais on a beau s’en défendre, on sent déjà poindre instantanément un léger… doute. La précision sur les trois cahiers de 96 pages peut-être…

Dans un premier chapitre intitulé « Mythe ou légende urbaine », P-A.C. détaille la « volée de bois vert » qu’il aurait parfois reçu de ceux qui ne partagent pas sa thèse, au rang desquels figurent les habitués du forum Aerostories, « le site américain Snopes, site web spécialisé dans le dépistage des rumeurs urbaines [qui] justifiait ce classement par l’analyse d’un seul témoignage sur lequel il développait une argumentation fragile témoignant même d’une certaine méconnaissance de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale » (p.23) et même « l’écrivain belge Jean-Louis Roba » (p.25). Et de nouveau, on a beau se défendre de vouloir rester neutre, on sait pourtant que les « esthètes turbulents » fidèles au site Aérostories sont aussi des « chibanis » (des « kakous » pour P-A.C. p. 22), qui ont pour certains de très nombreuses recherches et publications à leur actif. Jean-Louis Roba (un gamin, certes) « n’aime pas du tout cette histoire et ne porte pas non plus en affection la corporation des journalistes. Que M. Roba me pardonne donc, si le modeste écrivain et correspondant de presse que je suis, décide de poursuivre ses investigations sur le sujet… En matière historique, j’ai appris à me méfier des jugements à l’emporte-pièce surtout lorsqu’ils se drapent d’explications qui se veulent définitives et péremptoires. Il n’y a jamais eu de mauvais sujets d’enquête en histoire mais uniquement de mauvaises méthodes […] L’étude bibliographique qui va suivre dans les trois prochains chapitres ne prétend aucunement à l’exhaustivité (bis) sur le sujet des bombes en bois. Elle ne prétend pas non plus constituer une preuve en soi sur la question abordée. Elle démontre juste que le propos de ce livre est un sujet digne d’intérêt historique puisqu’il est relaté, maintes et maintes fois, par des personnes d’horizons très différents, dont certaines d’entre elles affirment avoir été les témoins directs des faits rapportés. » (p.26/27) Dès la fin du premier chapitre, le « malaise » se confirme ; car que faut-il comprendre exactement ? L’auteur est-il journaliste (selon la quatrième de couverture), correspondant de presse, écrivain ou historien ? Nous présente-t-il un état des lieux sérieux, historique et documentaire, une étude bibliographique qui n’est pas une preuve en soi, un recueil de témoignages qui se suffisent à eux-mêmes ? À trop vouloir expliquer sa cause… on ne comprend plus très bien ou alors, on sentirait pour le moins un « esprit de revanche » malgré toutes les précautions oratoires de l’auteur pour excuser d’avance les failles ou les insuffisances que les sceptiques pourraient détecter. Mais puisque, comme il l’affirme, en matière d’enquêtes historiques il n’y a pas de mauvais sujets mais de mauvaises méthodes… poursuivons !

Cela s’annonce mal dès le chapitre suivant, qui commence (p. 29) par un petit rappel sur les « négationnistes de cette affaire » (pas moins ! J’y reviendrai également) et où sont cités de multiples publications ou sites internet (précision utile, le nom du moteur de recherche utilisé, en l’occurrence Google !) qui évoquent bien le sujet mais sans jamais nous convaincre : témoignages indirects d’hommes parfois éminents (donc indiscutables) qui ont vu l’homme qui a vu « la » bombe ou entendu parler de « la » bombe en bois (ou des « boulets de bois », p. 37) larguée par les Anglais sur les Germains démoralisés devant tant d’effronterie, comme si la répétition d’un fait suffisait à en prouver de prime abord la véracité. Il est également question du « syndrome des pilotes canadiens » (lorsqu’un pilote allié était abattu, il était souvent présenté comme Canadien par les témoins) : « À croire que la RAF ne recrutait dans ses escadrilles que des pilotes en provenance du pays à la feuille d’érable. Pour autant ce n’est pas parce qu’une certaine rumeur populaire croyait voir des pilotes canadiens partout que la RAF n’a pas effectivement fait voler des pilotes originaires du Canada, ni que certains d’entre eux n’ont pas été abattus effectivement par la Flak allemande et sauvés par la Résistance française » (p.33). Logique imparable, révélation historique sans doute destinée à nous faire comprendre que ce n’est pas parce qu’une certaine rumeur populaire croyait voir des bombes en bois partout que la RAF n’en a pas fait larguer occasionnellement ? Une autre « explication » récurrente dans ce livre fait référence « au caractère très britannique des Anglais » (sic) p.15, à « l’humour légendaire britannique » (p.31), etc.

Des Anglais que nous retrouvons au chapitre 3 (« Entretenue par la Résistance »), tantôt sportifs : « Des bombes en bois étaient fichées dans le sol et beaucoup avaient même atteint les avions [les leurres allemands en bois] car les Anglais voulaient en profiter pour montrer leur adresse […] Les Anglais profitèrent quand même du voyage pour larguer une bonne cargaison de vraies bombes sur les vrais avions du vrai terrain » (p.45), tantôt de joyeux trompe-la-mort : « Ils avaient risqué leurs vies, afin de prouver à leurs ennemis que le légendaire humour britannique n’avait pas perdu ses droits, même pendant la guerre ! Ah, ces British !! » (p.56) Les témoignages de résistants recueillis par des universitaires ne nous en apprennent toujours pas plus et la thèse de P-A.C. censée être « Confortée par les militaires… et par les Allemands » (chapitre 4) ne l’est toujours pas : témoignages indirects de personnes « qui ont entendu dire » ou qui croient à la vraisemblance des faits. Le chapitre 5 nous révèle par récits indirects là encore que les Italiens auraient également reçu des bombes en bois anglaises, et les Russes des bombes en bois allemandes. Le filet de lumière viendra-t-il du chapitre « Humour chevaleresque et histoire ancienne » ? Hélas, nous retrouvons les éternels clichés sur la geste aérienne des chevaleresques aviateurs de 14-18 qui se posaient à côté de leur victime, ou qui lançaient leur carte de visite sur les aérodromes ennemis, tandis que la piétaille prolétaire se faisait massacrer dans les tranchées. Cela ne nous ramène inévitablement qu’au domaine de l’anecdotique ou à un parallèle lointain avec les « facéties » des aviateurs de 39-45 qui nous intéressent. La « Recherche de l’oiseau rare » (chapitre 7) – un aviateur qui aurait lui-même largué les fameuses bombes – ne donnant rien sinon une foule de témoignages de seconde main là encore destinés à nous amener au minimum à la vraisemblance de ces « attaques pour le sourire » (p.92), grâce à « Un humour qui donne d’ailleurs toutes ses lettres de noblesse à ce qu’il peut y avoir de meilleur en l’homme en pareille circonstance : le sens de la dérision avec une certaine élégance » p. 113 (sic)

Curieusement, ces Anglais paraissent moins sympathiques pour l’auteur au chapitre 8 : devant le silence des organismes qu’il interpelle à tout va (p.153) : « Tout ce que je peux écrire ici (que les sujets de Sa Gracieuse Majesté m’en excusent) c’est que, soit les Britanniques ont tout perdu ou tout oublié sur la question, soit qu’ils se foutent du sujet royalement ! À moins qu’il n’y ait peut-être une troisième explication politique… » En effet, un agriculteur aurait été tué dans son champ de betteraves par une bombe en bois tombée du ciel et « un ancien officier mécanicien de l’armée de l’Air qui a écrit neuf ouvrages consacrés à la Seconde guerre mondiale » a vu l’objet du crime de ses propres yeux au printemps 1945 ! Il était temps que la « Grande muette » parle enfin mais la vérité est encore ailleurs et il faut tout le suspens du chapitre 11 « Des actions de guerre psychologique » pour nous convaincre qu’en réalité, l’auteur est probablement la dernière victime du service qui avait pour mission (p.168) « de produire et de disséminer toutes les rumeurs ‘blanches’ (officielles) ou ‘noires’ (officieuses) qui contribueraient à affaiblir le moral de l’ennemi et soutenir celui des populations occupées ». Apprécions également ce témoignage d’une pertinence fulgurante pour expliquer partiellement un silence organisé par le SOE sur ces éventuelles opérations et qui égratigne un peu le mythe des policés Anglais : « Vous savez, les Anglais, je les ai pratiqués et bien connus pendant la guerre et même après. Chez eux, la main droite ignorait bien souvent ce que faisait la gauche, quand elle ne luttait pas contre elle » (p.161) Mais comme l’indique P-A.C., les archives du SOE auraient partiellement été détruites et il ne serait de fait plus possible de prouver que ces missions relevaient de la guerre psychologique directe chez l’ennemi. Hélas ou heureusement ?

Plutôt que d’assiéger des organismes officiels dont la mission est de mettre à disposition les archives, pas de faire le travail des chercheurs, P-A.C n’aurait-il pas du exploiter en premier lieu les archives de la RAF (« Par respect ou par indulgence, j’ai préféré ne pas communiquer l’identité précise des services concernés ni les noms de mes interlocuteurs » p.251, merci pour eux !) ? N’aurait-il pas mieux valu éviter de se contenter d’un « ces actions étaient clandestines et ne faisaient pas l’objet d’un enregistrement dans les ORB. D’ailleurs, s’il en avait été autrement, il se serait déjà trouvé, en soixante ans, au moins un chercheur pour mettre le doigt dessus et en faire part à ses collègues » (p.143) et au contraire tarir véritablement toutes les pistes de recherche possibles ? Et nous touchons là du doigt la méthodologie utilisée : une recherche bibliographique et par Internet, une avalanche de témoignages indirects qu’on est prié de ne pas mettre en doute sous peine de mettre en cause directement leurs auteurs (« La plupart des témoins, dont j’ai enregistré les dépositions… » p.118 : des « dépositions », vraiment ? Mais avec quelle assermentation ?), moult précisions sur les mérites ou titres de tel ou tel adhérent à la « quête du Graal » (p.125), de lointaines cautions morales qui n’auraient peut-être pas aimé être ainsi « récupérées » et encore, après l’emploi par deux fois déjà du qualificatif « négationniste » (qui a pourtant une signification très précise), cerise sur le gâteau, l’amalgame particulièrement grossier que voici : « Pour autant l’absence d’archives écrites n’a jamais été une preuve de la non-existence d’un objet historique. On le sait bien avec la Shoah pour lequel certains historiens d’extrême droite, parfois historiens patentés, justifiaient leur négation de l’holocauste par l’absence de preuves écrites dans les archives allemandes ». À partir de là, autant le propos de l’auteur pouvait nous paraître sympathique, bien que fortement entaché de partialité et d’esprit de revanche, autant nous semble-t-il une ligne rouge était-elle franchie sans espoir de retour : circulez, y’a rien à voir messieurs les « négationnistes » ! Voilà mon « objet historique », si vous ne me pouvez pas me prouver que j’ai tort (en allant accessoirement faire les recherches vous-mêmes dans les archives officielles), c’est donc que quelque part, j’ai raison ! On appelle cela en droit un « renversement de la charge de la preuve » : grossièrement, si personne ne prouve que cela ne s’est pas passé, c’est donc que cela a pu se passer… Évidemment, à ce compte là, tout est possible et haro sur les sceptiques !

Survolons le reste du livre, relatif à la recherche d’une preuve matérielle de « la » bombe en bois : on ne sait plus à quel saint se vouer, entre les bombes anglaises, américaines, allemandes, en bois, en béton, incendiaires, de marquage, étaient-elles lâchées à la main ou sous un adaptateur, avions d’observation, bombardiers lourds ou chasseurs bombardiers, etc. Tout y passe confusément sans rien prouver. Une photo nous montre même un Skyraider lesté d’une cuvette de WC, qui va être lancée sur la tête des Viets : puisqu’on vous le dit, tout est possible ! Nous ne manquons d’ailleurs nous-mêmes pas d’exemples : un aviateur français vétéran des opérations aériennes sur l’Allemagne durant la « drôle de guerre » n’a t-il pas écrit que, puisqu’il ne pouvait pas larguer de bombes, il lançait sur l’Allemagne des encycliques du Pape par paquets compacts, accompagnés de pavés ? N’avons-nous pas lu que des êtres humains, d’autres « objets historiques » peut-être, furent balancés en plein océan par la porte d’avions ou d’hélicoptères militaires ? Il n’y a « pas de fumée sans feu », et alors ? Que des aviateurs alliés aient profité de leur mission pour balancer tout un tas de choses sur l’ennemi par dérision, y compris un jour une « bombe en bois » fumigène ou autre sur des leurres, pourquoi pas après tout ? Nous y souscrivons bien naturellement ! Mais est-ce en multipliant ces anecdotes que l’hypothèse de missions délibérées, programmées (mais occultées volontairement ou pas dans les archives) de largage de bombes en bois sur des leurres trouvera une crédibilité ? Cela dispense-t-il de mener une enquête (journalistique, historique ou policière), du mieux possible, pour éviter « l’erreur » possible au minimum, le règlement de comptes ou au pire le ridicule ? Sans doute eut-il mieux valu consacrer à ce sujet davantage que vingt mois d’enquêtes et trois cahiers de 96 pages, fussent-ils à petits carreaux, pour sortir à tout prix un livre « inédit » qui, selon nous, relève d’une recherche bibliographique importante, d’un long travail de correspondant de presse mais… pas plus ! (mes respects, Monsieur Roba !) État des lieux documentaire oui, nous n’avons objectivement pas de raisons d’en douter, mais pour l’état des lieux historique annoncé, les pièces principales n’ont pas été visitées…

Car si les mots ont un sens précis, le b-a-ba de la recherche en général, qu’elle soit menée par des institutionnels ou des particuliers, n’est-il pas de vérifier toutes les sources possibles, de les croiser et d’utiliser le conditionnel en l’absence de véritables preuves ? Ainsi, nous aurions bien aimé savoir quelle est la base exacte de cette affirmation (p.71) : « À la fin de la guerre, les Anglais annoncèrent que les terrains d’aviation factices avaient fait l’objet de 443 bombardements contre 434 sur les aérodromes opérationnels. Les appâts urbains auraient été bombardés quant à eux une centaine de fois, détournant près de 5% des bombes qui étaient initialement destinées pour les villes ». À supposer que la source fût crédible, c’eût été pourtant un excellent point de départ à une étude bien documentée du point de vue de la bibliographie certes, mais qui aurait été du coup autrement plus sérieuse , prenant les témoignages pour ce qu’ils sont (ayant travaillé entre autres à la section « Histoire orale » du SHAA, je ne connais que trop les très humaines faiblesses de la mémoire, y compris la mienne, et ce n’est pas faire insulte à ces témoins) et recoupant au maximum toutes les sources possibles. De même le prétendu raid sur Salon-de-Provence en mai 44, la seule piste qui aurait apparemment pu être creusée utilement dans un délai raisonnable, n’a bénéficié que d’un traitement superficiel, basé sur un unique témoignage.

Et enfin, après tant d’assertions données comme inattaquables, l’argument ultime consistant à évacuer d’avance les critiques par un « je ne suis pas un historien professionnel » n’est qu’une bien piètre excuse (p.194) : « Quelques critiques à l’esprit chagrin (décidément !) pourront très certainement reprocher à cet ouvrage de ne pas citer suffisamment de sources documentaires, ou alors de ne pas corroborer les témoignages rapportés avec d’autres sources ou archives, ou encore que ce travail n’est pas assez ceci, ou qu’il est trop cela… Soit ! À ces derniers, je répondrai que je suis un enseignant, écrivain et journaliste qui adore l’histoire sans être pour autant un historien de formation et que je n’ai jamais eu la prétention de l’être […] Ce livre ouvre une voie d’exploration, qu’on lui reconnaisse ce mérite, charge à d’autres de reprendre le flambeau et de poursuivre la quête ». Encore faut-il leur faire confiance, serait-on tenté de répondre, car les avertissements et les conseils n’ont pourtant apparemment pas manqué, à considérer le nombre de détracteurs manifestement visés ! Pourquoi seraient-ils mal informés, pourquoi comprendraient-ils moins bien l’histoire de la guerre aérienne, alors qu’ils ne sont pas plus historiens professionnels que P-A.C. ? Un dernier exemple ? Un des aspects intéressants de cette reconstruction a posteriori consiste à expliquer que la réalité de ces raids avec des bombes en bois est d’autant plus tangible que les faux aérodromes adverses n’étaient pas équipés de canons antiaériens et que les assaillants ne risquaient donc rien ! « Il est vrai que ce genre de démonstration humiliait donc démoralisait l’adversaire à bon compte, sans compromettre de grands enjeux stratégiques ni même tellement exposer des vies humaines » (p.160) Ni même tellement… et l’on se demande du coup ce que faisaient donc la Flak tout au long des trajets empruntés par les assaillants, ainsi que la Luftwaffe : étaient-elles averties de la farce par l’Abwehr au point d’ignorer superbement des appareils et des aviateurs qui, dès le début de la guerre, balançaient des bombes bien réelles sur leur Reich ? Tirez les premiers, Messieurs les Anglais ? Et les avions qui s’écrasaient régulièrement au décollage ou à l’atterrissage sur leurs bases, ou en campagne chez l’ennemi : le fait de participer a une mission – même sans opposition locale de la Flak – aurait-il donc constitué une promenade d’agrément ?

Me trouvera-t-on bien sévère avec cet ouvrage ? Sans doute, mais ce n’est vraiment pas une partie de plaisir ou une tâche aisée. Pourtant, il y a bien une dernière chose dont je n’ai pas parlé ici et qui « plaide » sans conteste pour l’auteur (la sempiternelle « enquête policière » annoncée en quatrième de couverture étant en l’occurrence bâclée, on ne m’en voudra pas d’utiliser un vocabulaire judiciaire) : appelons cela une « charge affective excessive ». Ainsi, toute cette affaire a commencé pour P-A.C. adolescent et « fana » d’aviation par la « belle histoire de [son] père » (p.13) : « Car en quelques décennies, la belle histoire de mon père avait été reléguée au rang de simple mythe ou de rumeur urbaine. Ainsi donc, l’affaire des bombes en bois serait devenue au fil du temps une amusante légende populaire… » (p.15) « ‘De la connerie’ !? La belle histoire de mon père ? » (p.18) Ajoutons à cela les réactions turbulentes de certains internautes au minimum dubitatifs (il faut bien comprendre cependant que Internet est un outil de spontanéité, d’immédiateté et ne pas prendre pour des attaques personnelles un langage direct) et il n’en fallait sans doute pas beaucoup plus pour partir en guerre contre vents et marées. Mais j’ai appris moi-même à mes dépens qu’il faut absolument essayer d’évacuer les charges affectives et les reconstructions favorables à notre seul point de vue, en matière de recherche historique (ou autre). Ainsi, dans les années 90, jeune sous-officier au SHAA, j’ai essayé de retrouver un équipage de B-24 disparu (42-50334 de mémoire, équipage McAnally) et j’y ai mis tant d’espoirs, tant d’énergie, que je n’ai pas écouté les avertissements de ceux qui m’aidaient : sur la base d’un seul et mince faisceau de vraisemblances invérifiables , je suis tombé dans quelques-uns des pièges « dénoncés » dans cette recension. Deux familles de ces aviateurs sont venues en France, et même si je les ai détrompées sur le caractère définitif de mes recherches, je l’ai amèrement regretté ensuite, en me disant tout de même qu’après tout, c’était peut-être mieux que de ne rien avoir essayé, mieux de leur faire savoir quand même… Mais la « vérité » repose à jamais avec ceux qui ont vécu les évènements (bienheureux ceux qui prétendent la connaître aujourd’hui) et la modestie, la retenue, la sobriété devraient rester la base indestructible de tout travail sur le passé. Pas de bavardages, de justifications personnelles ni de règlements de comptes ! La reconnaissance des pairs ne vient pas de ce que l’on publie un jour un livre « inédit » auquel les autres, quels que soient leurs titres ou diplômes, n’auraient pas eu le courage de s’attaquer, mais de la qualité, de la sobriété, de la crédibilité du travail qui y est proposé.

Et le fonds de tout cela finalement, la guerre, qui est fraîche et joyeuse lorsqu’on ne l’a pas connue ? Nous savons tous ce que nous devons à ceux qui se sont battus pour nous, alors qu’on leur avait promis que la guerre finirait bien par tuer la guerre. Cette guerre qui fait ressortir ce qu’il peut y avoir de pire chez l’homme en matière de sauvagerie… Tant qu’il se trouvera encore au XXIe siècle des auteurs pour magnifier seulement des « héros », la geste aérienne des « chevaliers du ciel » dont le quotidien – il ne faudrait tout de même pas l’oublier – se nommaient aussi promiscuité, faim, saleté, solitude, peur, alors nous n’en finirons jamais d’écrire de jolis ouvrages sur les générations de guerriers et leurs armes magnifiques… Est-ce bien ce que nous voulons ?

Georges-Didier Rohrbacher


260 pages, 14,5 x 20,5 cm, couverture souple
– Préface de David Whiting, fils de Lord Dowding



Droit de réponse de Pierre-Antoine Courouble
L’histoire de ce livre est effectivement liée à un épisode malheureux qui s’est déroulé en début d’année 2008 sur les Aéroforums, où la virulence de certains propos m’avait profondément marqué, presque choqué. Mon texte s’en ressent. Si je devais le reprendre aujourd’hui, je ferais autrement sur la forme. Mais sur le fond, j’ai tenté de mener mon enquête le plus honnêtement possible, en n’oubliant aucun point et en recherchant toutes les explications possibles. Il reste certes des questions sans réponses, mais je ne crois pas avoir agi autrement qu’en essayant le plus rationnellement d’apporter des preuves tangibles chaque fois que cela était possible sur les pistes explorées. Je reconnais également avoir utilisé cette comparaison maladroite, que si l’on ne se fiait qu’aux seules archives, la Shoah n’aurait jamais existé (ce que d’ailleurs certains « historiens » révisionnistes, souvent d’extrême droite, ne manquent pas d’exploiter), mais effectivement, l’affaire est là d’un tout autre niveau.

Ce livre préfacé par un ancien ingénieur de la RAF, sir David Whiting, fils de Lord Dowding est une synthèse sur un sujet jamais traité, un état des lieux documenté et enrichi de 86 illustrations et 187 notes et références. Il réunit 163 témoignages et récits qui émanent de militaires, de pilotes, de résistants, de vétérans (dont des témoignages allemands !) qui peuvent être de simples soldats, mais aussi de grands noms, des as de l’aviation ainsi que des officiers supérieurs. Il y a les témoignages d’anciens ouvriers réquisitionnés sur les aérodromes allemands, de professionnels de l’armée de l’air, d’historiens de la Seconde Guerre mondiale dont certains sont des universitaires. Je n’affirme rien sur le sujet que je n’ai pu personnellement vérifier. J’ai fait l’inventaire rigoureux de toutes les pistes d’interprétation du phénomène. La piste Nève (confusion avec des leurres au sol de bombes en bois), la piste Verstraeten (confusion avec des réservoirs largables), la piste De Vos (désinformation par la propagande). Lorsque je me suis engagé dans une direction qui ne s’avérait pas concluante (bombe en bois de Lillemer), j’ai corrigé le tir et reconnu que c’était une fausse piste. Concernant la thèse Benamou, je reconnais dans le livre qu’elle est hélas indémontrable. Concernant l’interprétation Billion des Ailes anciennes (bombe en bois lamellées collées pour l’exercice), je reconnais qu’elle n’a pas obtenu de validation malgré mes nombreux efforts pour la confirmer. Enfin la piste normande, appelée hypothèse Whiting, qui renvoie aux fameuses bombes US Mark 4 & 5, est la seule pour laquelle j’ai trouvé clairement un faisceau d’éléments et de témoignages concordants qui débouchait sur une preuve concluante en fin d’ouvrage (cas Merlier à Prédefin).

On me reproche de ne pas avoir fouillé plus avant les archives officielles, mais, et je reprends en ça des propos tenus notamment sur les Aéroforums par les plus courtois : il n’y a probablement rien, puisque ces missions n’étaient pas officielles. Aurais je donc dû passer plusieurs années à éplucher des rapports, là où la plupart des spécialistes dont l’historien anglais Stuart Usher (et je les en remercie) m’ont conseillé de ne pas me fourvoyer ? La seule alternative qui me restait était de tenter de recouper des témoignages.

Concernant le rôle ambigu des services anglais sur cette affaire, il m’est prêté des propos qui ont été tenus par M. Jacques Vico, ancien résistant qui travaillait en étroite collaboration avec Londres au sein du réseau Robert Guédon en Normandie. De même, je n’ai jamais accrédité personnellement la thèse selon laquelle il y avait des missions spécifiques de largage de bombes en bois, tout au contraire. Mais cette thèse existe. Cette piste d’interprétation n’est pas mienne mais celle du Dr Jean-Pierre Benamou, historien spécialiste de la Normandie, cofondateur du Mémorial de Caen et de la revue 39-45. Lui est non seulement convaincu que ces actions de largage de bombes en bois étaient bien effectives, mais qu’elles étaient programmées par le SOE dans le cadre d’une guerre psychologique menée par les Alliés (il donne dans le livre quelques éléments de preuve). Qui pourrait lui refuser le droit de le penser ? Il me fallait l’évoquer tout en reconnaissant cependant que cette piste est hélas fragile parce que impossible à prouver définitivement (les archives du SOE n’ont pas été « partiellement détruites » mais brûlées à 90%).

Une anecdote pour conclure : au cours de la promotion cet été de la version anglaise de mon livre aux Etats-Unis, un ancien pilote de l’USAAF, Bill Walker (84 ans), m’a fait part à San Francisco du fait qu’il connaissait l’affaire. Lui-même ne l’avait pas pratiqué, ne disposant pas dans ses munitions des fameuses bombes en bois Mk 4/5, mais il m’a confié que « beaucoup de pilotes avaient des marottes » de ce genre durant la guerre. « Moi mon truc, me confia-t-il, c’était de larguer au-dessus du Reich des bouteilles de Coca remplies d’urine ! »

Pierre-Antoine Courouble
Le 21 août 2009


Bill Walker
Bill Walker

Pierre-Antoine Courouble offrant son livre à Bill Walker, vétéran de l’USAF, sur l’aérodrome de Sonoma.

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Les Presses du Midi

ISBN 978-2-8127-0064-4

20 €