Cette enquête traite d’un thème qui n’avait, pour l’instant, jamais fait l’objet d’un livre qui lui soit entièrement dédié. Que ce soit par un journaliste, un romancier ou par un vrai historien. Sans prétendre être exhaustive, elle essaie de faire le point des travaux au niveau historique et documentaire, et elle essaie de répondre à un mystère historique : l’énigme des bombes en bouse.
Elle résume non pas une soirée d’enquête, au moins deux feuilles de brouillon A5 noircies de remarques, environ un litre de café bien noir, et de nombreux échanges de courriels, comme pourraient le penser quelques esprits pervers, mais des années de compilation, des recherches internet intensives, d’incalculables visites sur le terrain avec rencontre des témoins de l’époque, de leurs descendants, de leur voisins, de quelques diptères concernés, et de personnes les ayant intimement connus. Une encyclopédie en plusieurs volumes n’aurait pu suffire à retranscrire la totalité de ces entretiens, notamment ceux avec les invertébrés qui furent particulièrement difficiles à énoncer en phrases non équivoques (Traduttore, tradittore !).
Mais cessons de tourner autour du pot et entrons dans le vif du sujet : lorsque l’auteur, Pierre-Quentin Durouleau, était enfant, son grand-père, Normand pure souche et qui avait vécu la Seconde Guerre mondiale, ses raids aériens et ses bombardements, lui raconta que l’aérodrome allemand qui jouxtait leur exploitation agricole fut l’objet d’une péripétie particulièrement intéressante, non pas pour son aspect stratégique et son impact sur le cours de cette guerre, mais pour souligner le caractère primesautier et blagueur des aviateurs alliés. Ah le légendaire British humor !
Le grand-père en question s’intéressait particulièrement aux choses de l’air depuis qu’en 1932 un aviateur avait fait un atterrissage forcé dans le champ voisin de sa ferme (celui-là même que les Allemands allaient transformer en aérodrome une dizaine d’années plus tard) et lui avait expliqué dans un grand sourire que cela s’appelait « faire une vache », ce qui ne pouvait que rapprocher l’éleveur et le descendeur. Il passa donc une grande partie de l’Occupation à observer les appareils décollant et atterrissant au-dessus de sa ferme, ainsi que ceux que l’on apercevait parqués derrière la haie qui bordait ses propres terres. Il avait ainsi vu les plus fins chasseurs s’y succéder, ces Messerschmitt effilés et ces Focke-Wulf aux longues pattes, tout en puissance. Mais à partir de 1944 il en fut tout autrement : les fins chasseurs avaient été remplacés par de ventrus appareils qui ne décollaient et n’atterrissaient plus, mais restaient juste à moitié cachés derrière la haie.
Avec son bon sens paysan il comprit que ces avions usés et démodés n’avaient été réunis là que pour faire diversion, alors que la fine fleur de la chasse avait été desserrée sur une plateforme voisine, pour lui éviter les attaques de l’aviation alliée. Et il savait bien qu’en langage de pilotes, de vieilles trapanelles telles que celles-ci portaient le nom de « bouses », et encore dans le meilleur des cas ! Il s’attendit alors avec angoisse à voir chaque jour déferler des formations de bombardiers venant raser cet objectif par trop évident, au risque d’être lui-même exposé à ces bombardements en tous genres.
Or si les bombardiers vinrent effectivement un soir larguer leurs charges dévastatrices au-dessus de lui, aucun impact d’explosion ne fut ressenti. Le lendemain, pour en avoir le cœur net, il parcourut les champs environnants et fut pris d’un terrible fou-rire en constatant que la seule chose qui émaillait ces champs était une constellation de bouses de vache, toutes les plus fraîches et les plus odorantes qui soient.
Qu’ils sont malins, ces Anglais ! Les Allemands avaient essayé de les tromper avec leurs vieilles bouses ? Ils répondaient en les bombardant avec les excréments de leurs propres bovins ! Un humour qui donne d’ailleurs toutes ses lettres de noblesse à ce qu’il peut y avoir de meilleur en l’homme en pareille circonstance : le sens de la dérision avec une certaine élégance : Shit for Scheiße !
Il est vrai que ce genre de démonstration humiliait — donc démoralisait — l’adversaire à bon compte, sans compromettre de grands enjeux stratégiques ni même tellement exposer des vies humaines.
Tenant ainsi un témoignage de première main, son petit-fils n’a eu de cesse en grandissant de connaître les tenants et aboutissants d’une telle opération. Sur le plan des témoignages, pas de problèmes : nombreux sont les témoins dignes de foi qui purent lui certifier que l’on trouvait effectivement pas mal de traces de bombardement à la bouse de vache autour — et voire sur — ces aérodromes-leurres. Un exemplaire, certes pétrifié par les années, est même visible dans un musée.
Mais en haut lieu chez les occupants, cette histoire semblait ne pas être en odeur de sainteté, certains ayant peut-être eu peur d’être éclaboussés par ce scandale en puissance montrant à quel point le Troisième Reich était au bout du rouleau. Du côté des Alliés, le problème, c’est que ces actions étaient clandestines et ne faisaient pas l’objet d’un enregistrement dans les ORB. D’ailleurs, s’il en avait été autrement, il se serait déjà trouvé, en soixante ans, au moins un chercheur pour mettre le doigt dessus et en faire part à ses collègues. Tout ce qu’on peut écrire c’est que, soit les Britanniques ont tout perdu ou tout oublié sur la question, soit ici (que les sujets de Sa Gracieuse Majesté nous en excusent) qu’ils se torchent du sujet royalement ! À moins qu’il n’y ait peut-être une troisième explication politique…
À la fin de la guerre, les Anglais annoncèrent toutefois que les terrains d’aviation factices avaient fait l’objet de 443 bombardements contre 434 sur les aérodromes opérationnels. Les reliques appâts auraient été bombardées quant à eux une centaine de fois, détournant près de 5% des bombes qui étaient initialement destinées pour les villes.
En annonçant le but de ses recherches, l’auteur trouva bien entendu des rieurs et des persifleurs. Par respect ou par indulgence, il a préféré ne pas communiquer l’identité précise des services concernés ni les noms de ses interlocuteurs. Citons toutefois le site américain Snoopy, site web spécialisé dans le dépistage des rumeurs urbaines, qui prétendit inclure cette thèse dans son classement en montrant du doigt l’analyse d’un seul témoignage sur lequel aurait été développée une argumentation fragile témoignant même d’une certaine méconnaissance de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Heureusement, en matière historique, nous avons appris à nous méfier des jugements à l’emporte-pièce surtout lorsqu’ils se drapent d’explications qui se veulent définitives et péremptoires. Il n’y a jamais eu de mauvais sujet d’enquête en histoire, mais uniquement de mauvaises méthodes, et P-Q. Durouleau a tenu à nous le démontrer.
L’étude bibliographique sur laquelle il s’est fondé ne prétend aucunement à l’exhaustivité sur le sujet des bombes en bouse. Elle ne prétend pas non plus constituer une preuve en soi sur la question abordée. Elle démontre juste que le propos de cette étude est un sujet digne d’intérêt historique puisqu’il est relaté, maintes et maintes fois, par des personnes d’horizons très différents, dont certaines affirment avoir été les témoins directs des faits rapportés.
Heureusement, non seulement le rédacteur avait mis le pied dedans, mais il s’y accrochait de toutes ses forces, quitte à devoir essuyer quelques quolibets !
Quelques critiques à l’esprit chagrin pourront très certainement reprocher à cette étude de ne pas présenter assez de matière, de ne pas citer suffisamment de sources documentaires, ou alors de ne pas corroborer les témoignages rapportés avec d’autres sources ou archives, ou encore que ce travail n’est pas assez ceci, ou qu’il est trop cela… Soit ! À ces derniers, l’auteur répondra qu’il est un enseignant, écrivain et journaliste qui adore l’histoire sans être pour autant un historien de formation et qu’il n’a jamais eu la prétention de l’être.
Car en quelques décennies, la belle histoire de son grand-père avait été reléguée au rang de simple mythe ou de rumeur urbaine. Ainsi donc, l’affaire des bombes en bouse serait devenue au fil du temps une amusante légende populaire…
De la connerie? La belle histoire de son grand-père, alors qu’il avait mis le doigt sur ce mystère tandis qu’il était encore chaud quand d’autres, moins chanceux, se seraient contentés de fouler au pied les preuves encore fumantes ? Nous aurions eu beaucoup de mal à l’avaler…
L’énigme des bombes en bouse dans l’Aérobibliothèque ? Un livre qui restera dans les annales…
Jean-Noël Violette
198 pages 15x21cm broché
Couverture Nicolas Pug
– Coup de cœur avril 2010
Short Stirling en cours de ré-armement (IWM)
Le Reichsmarschall Göring, venu prendre la mesure de l’impact psychologique des bombardements alliés, et Adolf Galland lui assurant que ce seraient « les premiers et les derniers ». (Bundesarchiv Koblenz)