Fidèle à ses habitudes, l’éditeur Perrin réédite dans sa collection Tempus, version poche à prix très abordable, le livre de Roland de la Poype, L’épopée du Normandie-Niémen. Le contenu n’ayant évidemment pas changé, nous vous proposons notre compte-rendu de l’édition de 2007.
De ses premiers vols, sur Caudron Luciole, à la promotion « Z » de l’école de pilotage militaire d’Angers, d’où il sort troisième derrière Jean Maridor, Roland de la Poype finit par réaliser son rêve de gosse : voler comme Fonck, Guynemer, Nungesser et surtout Mermoz son héros. Désireux de suivre le général de Gaulle après la défaite de 1940, c’est de Saint-Jean-de-Luz, et déguisé en soldat polonais, qu’il gagne l’Angleterre et y reste, malgré la tragédie de Mers El-Kébir qui ébranle ses convictions. Présenté au chef de la France Libre, il ressent sa détermination et renforce sa volonté de combattre. En septembre 1940, il est du corps expéditionnaire franco-britannique qui échoue devant Dakar tenu par les vichystes. C’est de Douala qu’il participe en Lysander au ralliement progressif des colonies africaines. De retour en Angleterre, il apprend la mort de son père au début de la campagne de France. Il sera digne de ce père adoré, tombé sous les balles allemandes pour ne pas se rendre.
Progressant dans les écoles de la RAF, du petit Tiger Moth au puissant Hurricane, il est affecté début 1942 sur Supermarine Spitfire, au 602 squadron City of Glasgow. C’est là qu’il obtient sa première victoire aérienne, un Messerschmitt Bf 109G, en compagnie de son commandant d’escadrille et leader de patrouille, As aux 32 victoires et héros de la bataille d’Angleterre, le wing commander “Paddy” Finucane. Touché par la Flak, “Paddy” disparaîtra en mer sous ses yeux horrifiés à l’âge de 22 ans. Ce « pote » au regard lumineux, dont la disparition fut un drame national, rejoignait dans son cœur Charles Ingold, mort accidentellement, comme beaucoup d’autres après lui.
En septembre 1942, le Groupe de chasse numéro 3 est créé. Roland de la Poype est des 14 premiers pilotes volontaires de cette unité française, intégrée à une division soviétique. Le GC3, « Normandie », se forme initialement à Rayak, au Liban, sous l’autorité de Joseph Pouliquen et les ordres du Commandant Jean Tulasne et de son adjoint, le Capitaine Albert Littolff, deux sacrés pilotes.
En Russie l’instruction sur Yak-7 biplace, à Ivanovo, prépare l’arrivée sur Yak-1 puis Yak-9, chasseurs rustiques, adaptés au théâtre d’opérations. Le froid glacial de l’hiver 42-43, l’isolement, le cafard, le respect mutuel, l’inconfort, la malbouffe, font grandir la fraternité entre aviateurs français et soviétiques. Le “Normandie” est déclaré « bon pour le front » mi-mars 1943, après une cérémonie bien arrosée, et une mémorable séance de voltige inversée du commandant Tulasne, devant des officiels ébahis.
La bataille aérienne suit la route empruntée par les armées napoléoniennes.
La première campagne du groupe, bientôt régiment, est celle d’Orel pour reprendre Smolensk ruinée. C’est un « effort maximum » (112 sorties en 4 jours et 17 victoires) selon le général Georgui Zakharov, chef charismatique qui engage toute la 303e division dans la bataille. Longues missions d’escorte, chasse libre et combats tournoyants contre Bf 109 et Fw 190, straffing des pistes de la Luftwaffe malgré la Flak, victoires mais aussi « bradage » (partage des affaires) des pilotes tués, montrent combien il est difficile de durer. « Un bon pilote est un pilote vivant » aime à répéter Marcel Albert, le plus brillant d’entre eux (As aux 25 victoires). 70 victoires sont acquises au prix de 21 pilotes disparus. Le régiment, devenu Compagnon de la Libération et franco-russe par ses seuls mécaniciens soviétiques, ne compte plus que 5 pilotes de ses débuts. Des renforts arrivent dont le Cdt Pouyade qui succède à “l’aigle” Tulasne abattu à son tour.
Marcel Lefèvre meurt gravement brûlé en juin 44, lors de la seconde campagne du régiment avant l’offensive d’Orcha. De Seyne refuse de sauter en parachute parce que son passager mécanicien russe n’en a pas. Ces drames ont un retentissement considérable en URSS. Le geste chevaleresque de Maurice de Seyne devient le symbole de l’amitié indéfectible entre la France et la Russie…. De nombreuses écoles russes portent aujourd’hui leurs noms. Le franchissement du Niémen vaut au “Normandie” son nom de “Niémen”, alors qu’on fête la libération de Paris, le 23 août 44, en chants, canonnades, bombances et interminables toasts à la vodka.
La troisième et dernière campagne aérienne accompagne les troupes soviétiques lors d’une offensive sans précédent sur la Prusse occidentale. Les combats sont acharnés ; les pilotes volent du matin au soir jusqu’au bout de leurs forces. Le Yak-3, un excellent chasseur plus léger et plus maniable, équipe désormais le régiment. Il peut rivaliser avec les meilleurs appareils allemands. Le régiment aligne plus de 100 victoires en 2 semaines et l’ennemi résiste…
La fin de cette épopée aux 273 victoires, pour 42 pilotes morts au champ d’honneur, est un sentier de gloire et d’honneur, surtout lors du retour triomphal du “Normandie-Niémen” au Bourget, le 20 juin 1945, à bord des Yak-3, devant des milliers de spectateurs enthousiastes.
Ce témoignage à la fois simple, passionnant et émouvant, nous fait entrer dans l’intimité quotidienne des pilotes du prestigieux Normandie-Niemen. C’est une équipe de copains, de toutes origines sociales, unissant la force de leurs convictions, leur courage, leur patriotisme, prêts à tous les sacrifices pour conquérir de haute lutte la paix. Au fil des lignes, les célébrités et les anonymes de cette épopée, si souvent racontée, retrouvent leur image et leur âme, un sourire, des larmes, des douleurs, des peurs, leur vérité. Ils s’assoient à une table de poker, séduisent des filles, se gèlent dans des abris infestée de puces, rêvent de permissions et de retour au pays, et surtout combattent en plein ciel, si loin de leur chère France et de leurs familles. Entre eux, il y a de la fraternité, de la solidarité, aussi de la retenue, de la jovialité, dans des escadrilles où chacun reste à sa place, souffre lors d’une disparition, vit et meurt parfois en pleine jeunesse. La sincérité touchante des mémoires de Roland de la Poype redonne à ces aviateurs leur riche personnalité, parfois gommée par leur statut actuel de héros.
L’épopée du Normandie-Niémen est un beau livre d’histoire et de combat que l’auteur, Héros de l’union soviétique et Compagnon de la Libération aux 18 victoires aériennes, devenu industriel et inventeur après guerre, nous livre avec la force de ses souvenirs et la collaboration de Jean-Charles Stasi, fidèle à la mémoire de tous ses amis disparus.
Richard Feeser
– Avec la collaboration de Jean-Charles Stasi
288 pages, 11 x 18 cm, broché