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L’épopée d’un aviateur de la France Libre
1940 – 1946


Jacques Gaston « Tony » Murray
Navigateur bombardier dans la Royal Air Force
Yves Morieult

Qu’il me soit permis d’expliquer au lecteur qui est exactement Yves Morieult, avant la présentation de son deuxième livre (cf. Icare, consacré à la Bataille d’Angleterre, grande était ma soif de savoir en découvrant les « biographies succinctes des pilotes français » qui avaient participé à cette bataille ; une poignée certes, mais des « super héros » à mes yeux d’adolescent ! Leur rédacteur, un certain Yves Morieult, contrairement à tous les autres prestigieux intervenants (B. Dupérier, A. Deere, J. Zumbach, A. Galland, etc.) m’était totalement inconnu et ne bénéficiait d’ailleurs d’aucune précision biographique. « Mais qui est donc ce Monsieur Morieult ? » Et Henry Lafont, aujourd’hui l’ultime vétéran de cet affrontement, qui m’avait dédicacé ce volume et qui allait devenir un père pour moi, de me répondre en substance : « C’est notre spécialiste des FAFL, il en sait parfois plus que nous d’ailleurs même s’il n’a pas volé pendant la guerre » J’ai encore « rencontré » YM ainsi pas mal d’années, au gré de quelques articles fugitifs dans diverses revues et surtout, dans les listes de remerciements à la fin de plusieurs livres. De même était-il bien connu au Bureau Central d’Incorporation et d’Archives de l’armée de l’Air (BCIAAA) de Chartres – qu’il assiégeait de demandes d’états des services et de notices biographiques – sans compter un dossier bien fourni à la section « correspondance » du Service Historique de l’Armée de l’Air – SHAA, que j’ai parcouru à mon arrivée dans ce sanctuaire en 1993. Et lorsque le général Hugues Silvestre de Sacy, mon seul chef au SHAA, m’a fait une confiance absolue en me laissant carte blanche pour la réédition des fameux son précédent ouvrage). En 1981, alors que je dévorais avidement le numéro 95 de la célèbre revue « Carnets » de René Mouchotte (2000) puis pour le Mémorial des FAFL – Aviateurs de la liberté de Henry Lafont (2002), j’ai véritablement pu apprécier la modestie, le dévouement, la disponibilité, le savoir encyclopédique qu’a acquis YM de longue date par de très nombreuses visites et multiples courriers aux survivants ou à leurs familles. Le succès de ces deux livres institutionnels lui doit beaucoup (et à d’autres contributeurs que je n’oublie pas), il ne m’a jamais fait de « réponse de Normand ». Tout au plus ai-je regretté parfois que son caractère bien trempé (son ancienneté dans la « Coloniale » sans doute…) et son franc-parler ne soient finalement pas… lorrains ! Bref, membre d’honneur de l’Amicale des FAFL (en plus de sa fidélité indéfectible, n’avait-il pas présidé à la découverte de la tombe inconnue du Squadron Leader « François » Fayolle, disparu sur Hurribomber durant le raid sur Dieppe, le 19 août 1942 ?), YM n’a rien à prouver à quiconque, même s’il n’a « que le certificat d’études » comme il aime à le rappeler. Et tout passionné qu’il est, aucune hagiographie ne l’inspire, il ne lui viendrait pas à l’idée d’enjoliver ou de déformer quoi que ce soit : son écriture a toujours été d’une sobriété exemplaire et la dimension humaine bien réelle cependant.

Abordons à présent le livre consacré à Jacques Gaston « Tony » Murray – aviateur FAFL et navigateur-bombardier dans la RAF. Jacques Murray avait lu avant guerre Hitler m’a dit de Herman Rauschning, où Hitler prévoyait que seule l’Angleterre serait capable de lui tenir tête à l’Ouest : aussi, fuyant l’avance allemande de juin 1940 sur les routes de l’exode avec des moyens de fortune, l’élève officier de réserve d’artillerie Murray réussit à s’embarquer à Saint-Jean de Luz avec Lionel de Marmier. L’improvisation règne du côté de la France Libre naissante, et après avoir essayé sans succès de s’enrôler directement dans la RAF, il est recruté pour les FAFL mais demande tout d’abord à suivre un stage d’élève officier de marine sur le cuirassé Courbet à Portsmouth, avant de rejoindre le camp de rassemblement des FAFL de Camberley en mai 1941, comme… soldat de 2ème classe ! Après une formation initiale dans les écoles de la RAF (langue anglaise, procédures RAF, école de navigateur bombardier), nommé adjudant, il est censé renforcer le fameux GRB1 « Lorraine » au Moyen-Orient, mais est affecté à la mission française du Caire où il vole à l’Aéroclub royal d’Égypte, puis rejoint après un mémorable périple un OTU au Kenya. Nous sommes alors en juillet 1942 et le parcours des Free French est déjà jalonné par la perte de nombre de camarades du Commonwealth, tués notamment sous les cieux anglais à la météo difficile, alors qu’ils n’ont pas encore pu affronter l’ennemi (preuve s’il en fallait encore qu’une mission aérienne – fut-elle d’entraînement en pays ami – n’est jamais sans risque). Le petit détachement français au Kenya, de trente-trois hommes, est placé sous le commandement du capitaine Henri de Montal et, le 1er novembre 1942, alors qu’elle vogue vers l’Angleterre pour renforcer enfin le « Lorraine » en cours de réarmement, la « bande à Montal » passe trois éprouvantes journées de naufragés dans des canots de sauvetage au large de Durban, après qu’un U-Boot ait envoyé par le fond leur navire… La guerre n’est décidément pas une promenade d’agrément : « Lecteurs, arrêtez-vous un instant sur ces visages encore marqués par l’épreuve qu’ils viennent de subir. Apprenez que dix de ces quatorze jeunes hommes, jeunes pour la plupart, rescapés par miracle du naufrage du Mendoza, ne verront pas le jour de la victoire. La Camarde les avait manqués ce 1er novembre 1942 ; ce n’était que partie remise et elle les rattrapera, en traître, dans le ciel, dans les mois et années à venir » (p.37). Ces visages, nous les retrouvons au fur et à mesure de l’avancement de l’ouvrage : nous suivons leur parcours, leur disparition parfois, au fur et à mesure du destin parallèle de leur frère d’arme Jacques Murray. C’est l’un des grands mérites du travail de YM que de ne pas avoir omis – cette fois encore et dans l’esprit du Mémorial des FAFL de Henry Lafont – le rôle, la destinée d’autres « illustres inconnus ». On y retrouve des figures attachantes, tel le souriant Robert Colcanap, 19 ans et demi lors du torpillage, et sur lequel le capitaine Bundervoet d’Hautecourt (tué en juin 1944 au retour d’une mission sur Mosquito) écrivait « Brave petit Bob, si tous les Français étaient bâtis sur ton modèle, nous n’en serions pas là » (p.36) ou d’autres encore qui auraient pu rester bien au chaud dans leurs foyers, tel Michel Veber, vétéran de la Première Guerre mondiale rendu définitivement à la vie civile aux États-Unis à 47 ans, après une visite médicale et neuf missions de bombardement avec le Lorraine… tout de même ! La deuxième moitié du livre de YM évoque plus particulièrement (et toujours avec force détails) la suite de la guerre vécue par Jacques Murray, qui vole brièvement avec le Lorraine puis rejoint le No 613 Squadron avec lequel il mène 37 missions de guerre, essentiellement de nuit, sur… Mosquito FB Mk VI ! Or, les FAFL qui ont combattu sur cet appareil ne sont pas légion : Max Guedj avec le Coastal Command, Henry Bundervoet d’Hautecourt et Charles Kocher au No 141 Sqn, Philippe Livry-Level au No 21 Sqn (avec lequel il avait pris part à la célèbre attaque de la prison d’Amiens – l’opération « Jericho » en février 1944 – lui aussi était un vétéran de 14-18). Ce que nous apprenons du témoignage de Jacques Murray – sobre mais précis (notamment à propos de la mission spéciale, de l’attaque diurne de la garnison allemande retranchée à Égletons, le 18 août 1944) et du travail de recoupement, de documentation (extraits d’ORB, de comptes-rendus de missions, coupures de presse, nombreuses notes de bas de pages, etc.) de YM, est tout simplement inédit à notre connaissance ! De même l’existence et la carrière du pilote attitré de Jacques Murray à partir de mai 1944 nous étaient-elles inconnues : le FAFL René PUYT, pilote personnel du général Leclerc pendant la campagne du Fezzan, vétéran du Lorraine, né en 1911 et qui a continué de voler dans l’armée de l’air jusqu’à sa disparition en service aérien commandé, en mai 1956… Lorsque sonne l’heure de la victoire, Jacques Murray assiste au procès de Nuremberg et voit de près les criminels de guerre qui ont présidé durant son absence à l’assassinat de son père dans un camp de concentration. « De retour à Paris, après quelques semaines, il fait sa demande de démobilisation, qui lui est accordée et le 6 juillet 1946, il quitte l’uniforme après une « carrière » militaire de 6 ans et quelques jours. Il lui faut maintenant se mettre au travail et remonter l’entreprise que son père avait avant la guerre » (p.117)

À près de 90 ans, Jacques Murray continue d’ailleurs toujours de diriger ses entreprises quel que soit l’endroit où il se trouve, en Europe ou aux États-Unis, son maître mot étant « travail ». Mais depuis la fin de la guerre, il avait gardé un silence absolu sur ses souvenirs de guerre : même devant ses fils, il n’avait jamais évoqué son passé de combattant et sans une rencontre fortuite (?) avec l’auteur en 2002, il aurait pu rester dans l’ombre de l’histoire bien des années encore. Pourtant, alors que les rangs des vétérans des FAFL sont plus que clairsemés, alors qu’on promet toujours aux combattants que « la guerre finira par tuer la guerre », nous vous l’affirmons, Monsieur Murray : même à votre modeste échelle, nous savons aussi ce que nous vous devons et nous vous en remercions sincèrement, de la même manière que nous sommes reconnaissants à Yves Morieult de nous avoir fait découvrir votre histoire et celle de vos frères d’arme. Et nous recommandons chaleureusement aux lecteurs de l’Aérobibliothèque ce livre en autoédition qui, s’il comporte quelques défauts mineurs inhérents à ce mode de publication « faute de mieux » (ouvrage en noir et blanc excepté la couverture souple, quelques coquilles ou photographies à la qualité marginale), n’en est pas moins particulièrement émouvant et disponible à un prix très raisonnable.

Georges-Didier Rohrbacher


128 pages, 21 x 29,7 cm, couverture souple dos carré
0,510 kg

En bref

Yves Morieult autoéditeur

20 €