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Les ailes noires

Roman
Jacques Béal

En 2009, Jacques Béal avait déjà écrit et publié une biographie Bessie Coleman, l’Ange noir, dont j’avais rédigé la recension avec un grand plaisir. Cette Afro-américaine était née au Texas en 1892, alors que sévissaient les lois Jim Crow imposant une ségrégation des plus primaires. Exilée à Chicago pour rejoindre ses frères de sang et de race, la jeune femme ne rêve que d’aviation et de liberté. Mais comment piloter en Amérique quand on cumule à la fois le handicap d’être née femme et métis ? Et surtout où  apprendre ?

C’est dans l’histoire de la Première Guerre mondiale qu’elle trouve la réponse à sa question avec l’espoir fou de réaliser son vœu le plus cher. Quitte à devenir pilote d’avion, autant montrer à cette Amérique ségrégationniste — et pourquoi pas au monde entier ? — qu’elle sera la première femme noire à danser avec le ciel. La seule école capable de lui enseigner la technique du vol et de la voltige et qui ne fait aucun distinguo entre ses élèves se trouve au Crotoy, en baie de Somme, sur le sol français.

Après avoir cumulé plusieurs petits emplois, elle a amassé un léger pécule destiné à financer ses cours. Le ruisseau pour l’atteindre est large mais ce petit bout de femme si volontaire le franchit d’un simple entrechat. Elle débarque en plein novembre 1920 à l’école dirigée par le charismatique René Caudron. Il suffit d’énumérer le nombre de pilotes et d’as de guerre qui ont transité par l’école Caudron pour comprendre qu’elle est classée parmi les meilleurs établissements du genre.

Ici, en baie de Somme, peu importe la couleur cuivrée de sa silhouette. Les Français y sont habitués depuis que les troupes supplétives coloniales sont venues se faire trouer la peau pour défendre la Patrie en danger. Comme tous les autres pilotes, Bessie est logée chez l’habitant. Pendant les dix mois que vont durer son apprentissage sur un Nieuport baptisé La grosse Julie, elle vit sous le toit d’un mécanicien et de ses parents, partageant le quotidien des habitants du Crotoy.

Cet ouvrage s’avère être un complément de Bessie Coleman, l’Ange noir. L’auteur s’est attardé principalement sur la tranche de vie de Bessie Coleman lors de son bref séjour en France. Le lecteur découvre au fil des pages des paysages somptueusement décrits, la mentalité des Crotellois où la population de marins et celle des aviateurs se côtoient dans une rivalité amicale, apprend au passage quelques mots de patois du cru. On sent que Jacques Béal est un habitué du lieu et qu’il aime ce terroir.

On retrouvera également, et avec un grand plaisir, de grands noms de l’aviation le temps d’un grand meeting aérien organisé par René Caudron pour recueillir des fonds destinés à venir en aide aux familles victimes d’une terrible tempête qui a laissé bon nombre de veuves et d’orphelins dans le besoin : Adrienne Bolland, la première femme à franchir la Cordillère des Andes, Alfred Fronval, René Fonck et l’acteur André Luguet, auquel l’auteur prête une liaison d’un soir avec Bessie qui n’a pas encore obtenu son brevet.

En septembre 1921, fraîchement titulaire de son brevet de la Fédération aéronautique internationale, la jeune métis embarque pour les États-unis où elle donne de nombreuses représentations, rêvant de financer sa propre école où noirs et blancs seront enfin réunis. Hélas, sa carrière de voltigeuse s’arrête brusquement le 20 avril 1926 lors d’un accident d’avion. Elle sera toutefois parvenue, à titre posthume, à réaliser l’irréalisable : cinq ans après sa mort, 25 écoles de pilotage porteront le nom de l’ancienne élève de l’école Caudron.

Certes, cet ouvrage est romancé, mais il vaut largement le détour, ne serait-ce que pour voir vivre cette école, découvrir cette magnifique région aux immenses plages et vivre au sein du petit village côtier des années vingt qui abritait la maison Caudron.

Corinne Micelli


14,2 x 22,6 cm, 360 pages, broché

En bref

Presses de la Cité

ISBN 978-2-258-08803-0

20,50 €