Les cendres de la Seconde Guerre mondiale étaient encore tièdes que le monde s’interrogeait avec une certaine inquiétude (parfois mêlée, pour certains, d’une petite dose de fascination) quant aux « armes secrètes » dont Goebbels avait menacé la planète d’un index rageur. Une fois cette guerre enfin terminée, le public fut mieux informé quant au V1, premier missile de croisière (mais exploitant une technique dénuée d’avenir), et également quant au V2, engin qui, une fois aux mains des Américains, marqua la première étape de la conquête spatiale.
L’auteur, historien, limite le champ de son étude aux « armes secrètes » ayant effectivement été largement (et tristement) opérationnelles, les V1 et V2, sans prêter aucun intérêt aux autres menaces promises par Goebbels. Pas de soucoupes volantes ou de cloches à voyager dans le temps !
Alors quoi, tout n’aurait pas encore été dit ou écrit sur ces V1 et V2 ? Il faut bien reconnaître que le sujet est tellement vaste et complexe qu’il est difficile de prétendre en venir à bout. D’aucuns, comme Yannick Delefosse, s’appliquent à une sites de lancement de V1 de certaines régions, tandis que monographie très « pointue » du V1, d’autres, comme Laurent Bailleul, détaillent les Maud Jarry décortique de façon méticuleuse V1 et V2 dans tout ce qu’ils ont pu concerner les Français. L’ouvrage de Rémy Desquenes, quant à lui, étonne par la complexité des questions abordées et l’aspect exhaustif dans un volume restreint (144 pages). Il suffit de jeter un œil sur le sommaire pour comprendre que nous avons droit à un ouvrage très concentré, abordant quasiment tous les aspects de ces deux armes atypiques.
On commence très classiquement par l’achat par la Heer* et par la Luftwaffe** d’une vaste partie de l’île d’Usedom, dans la Mer Baltique, continuant par les développements des deux projets et par les inévitables tiraillements, l’un des projets étant soutenu par un organisme, l’autre « arme miracle » étant du ressort de l’autre entité nécessairement rivale. Si la question de la technologie dont relèvent ces armes, ainsi que celle, douloureuse, de leur fabrication, sont abordées, l’auteur accorde une importance majeure aux questions posées par leur lancement, ces deux engins fort distincts nécessitant des moyens de lancement différents.
Il serait déraisonnable de reproduire ici in extenso la table des matières bien chargée. Environ les deux tiers du livre sont consacrés au Fi 103 (V1), de son invention à sa mise au point, à l’opération Crossbow (campagne de destruction des sites de lancement de V1), à l’aspect technique de l’engin et de son environnement et aux offensives pendant lesquelles il fut utilisé massivement.
Le dernier tiers du livre est occupé par la fusée A4 (V2), sa description technique, les gigantesques ouvrages spéciaux (en particulier Eperlecques et Wizernes), les autres installations, le travail de la Résistance et les offensives utilisant la fusée V2.
L’ouvrage se termine par un édifiant bilan de la mise en œuvre de ces armes et, historien oblige, citation des sources et bibliographie.
Ce livre modeste, sous couverture souple pelliculée, présente bien des intérêts : relativement complet à défaut d’être exhaustif, il est abordable. Qui plus est, l’ouvrage est entièrement imprimé sur un épais papier glacé restituant fort bien plans, cartes et photographies. On notera néanmoins que les « seniors » auront besoin de leurs meilleures lunettes pour déchiffrer certains plans, lesquels auraient supporté une taille un petit peu plus grande.
Ce n’était peut-être pas le propos de l’auteur, mais peut-être eût-il été pertinent, dans le dernier chapitre où est évoqué le bilan de ces armes, de mettre en parallèle le nombre de victimes directes de ces « armes secrètes d’Hitler » et une estimation du nombre de déportés morts d’épuisement, de faim et de mauvais traitement à Dora-Mittelbau : les V1 et les V2 ont tué davantage parmi celles et ceux qui les ont construits, les fusées comme leurs lieux de fabrication, qu’elles n’ont fait de victimes en tombant sur leurs cibles.
La parution de ce livre prouve que l’on peut éditer des ouvrages denses, solides et complets, fort bien documentés et imprimés, et les proposer au public à des tarifs tout à fait raisonnables. En tout cas, nous recommandons chaudement Les armes secrètes d’Hitler par Rémy Desquesnes.
Philippe Ballarini
144 pages, 18 x 24 cm, broché
* Heer : armée de terre allemande
** Luftwaffe : armée de l’air allemande