Il ne manquait plus aux personnages créés par Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo que la consécration du grand écran après avoir séduit des millions de lecteurs et de téléspectateurs.
Depuis plusieurs années, la tendance cinématographique est de reprendre les grands succès de la BD pour en faire des films assurés d’un certain succès public (avec quelques échecs retentissants). Les passionnés d’aviation, depuis deux ans que ce film est annoncé, sont impatients et se partagent entre l’enthousiasme pour ce projet et la crainte qu’il ne soit finalement pas à la hauteur de l’attente et de l’enjeu.
Le film Les Chevaliers du Ciel sortira dans les salles le 9 novembre 2005 et c’est avec ces mêmes sentiments contradictoires que j’ai assisté à sa projection en avant-première.
Une déception, mais annoncée depuis longtemps : les personnages ne s’appellent plus Tanguy et Laverdure, mais Marchelli et Vallois. La rupture avec la BD semble donc consommée, mais elle est totalement transparente tant les traits de caractères des deux pilotes se retrouvent aisément, servis par des acteurs convaincants. Marchelli est interprété par Benoît Magimel qui évite de tomber dans la « Beau-gosse-attitude » et campe un pilote de chasse beaucoup plus réaliste que son collègue Pete « Maverick » Mitchell interprété par Tom Cruise dans Top Gun. Clovis Cornillac continue sa série de second rôle après Amour et Trahison où il donne la réplique à un Édouard Baer au sommet de sa forme et Brice de Nice où il forme un duo détonnant avec Jean Dujardin. Ici, son registre est dans un humour plus potache, moins burlesque, en clin d’œil et en bons mots très « Laverduriens » en somme, sans le ridicule et la quasi idiotie du personnage de BD qui le rendait totalement irréaliste dans le contexte impitoyable d’un escadron de chasse.
Ici, l’acteur parvient à rendre hommage au personnage sans le dénaturer, et en le rendant acceptable dans le contexte du scénario. En fait, Clovis Cornillac confirme qu’il est un des grands espoirs du cinéma français, par son jeu, sa gouaille, sa présence physique ; il est un faire valoir de grand luxe pour Benoît Magimel à qui il vole régulièrement la vedette. Pourtant, ce duo semble moins enthousiasmant que celui que le réalisateur avait créé en réunissant Frédéric Diefenthal et Sami Nacéri dans Taxi.
On retrouve des seconds rôles très intéressants avec une mention particulière pour Philippe Torreton, implacable en « barbouze ».
Il faut revenir vingt ans en arrière avec Top Gun pour retrouver un film où l’aviation de chasse et les images en vol prennent autant d’importance. La comparaison est nécessaire et finalement tourne à l’avantage du film français. Bien sûr, le Mirage 2000, qui n’est pas un Tomcat, se révèle finalement très photogénique. Mais ce film ne rendra vraisemblablement pas cet avion mythique de la même manière que Top Gun avait propulsé le F-14 au pinacle des grands chasseurs.
Les très nombreuses images en vol sont un régal et sont filmées très nerveusement. Gérard Pirès, lui-même pilote avion et hélico, est un grand passionné d’aviation et cela se sent dans son film. Une longue séquence, superbe, en Alpha Jet au dessus des Alpes démontre clairement son amour du vol.
L’histoire est plutôt bien menée, plus complexe qu’on ne pouvait s’y attendre. Sur fond de terrorisme international, très actuel, les deux héros sont confrontés dans un premier temps au vol d’un Mirage au cours du Salon de Farnborough, et leur intervention va les plonger dans une situation qu’il leur sera bien difficile de démêler. Pour en revenir à la comparaison avec Top Gun, là où le héros solitaire est en proie à une crise existentielle qui le pousse à chercher ses propres limites, Marchelli et Vallois ne sont que des pilotes, professionnels, intégrés à une escadrille, confrontés à une situation que le hasard a placé sur leur chemin et qu’ils cherchent à résoudre par conscience professionnelle ; on est donc loin des exentricités et de l’égocentrisme exacerbé de Tom Cruise.
La situation à laquelle les pilotes français sont confrontés est techniquement hautement improbable. Cependant, si on se réfère aux sources d’inspiration du film, c’est à dire la Bande Dessinée, on s’aperçoit que la plupart des situations du film ont été évoquées par Charlier au fur et à mesure des albums de la série.
En fait, si on peut taxer ce film de peu réaliste parfois, l’hommage à la BD est largement présent, et en gardant ceci en tête pendant la projection, on est certain de passer un très bon moment.
Si la situation est irréaliste, l’aspect technique et aéronautique est quant à lui un peu plus fidèle à la réalité, si on excepte quelques entorses de détail rendues nécessaires par l’avancement de l’histoire et qu’on pardonnera bien facilement. Ceci est rendu possible par la très grande implication de l’armée de l’Air à la réalisation du projet et la présence de conseillers techniques et de figurants qui n’ont d’autre rôle à jouer que celui de leur travail quotidien. Ceci est particulièrement sensible dans les scènes de base aérienne.
Il est difficile de dire comment ce film sera perçu par le grand public. Pour ma part, j’ai passé deux heures très divertissantes et je me suis bien amusé tout en en prenant plein les mirettes et les oreilles.
Puisqu’il ne faut pas confondre reportage sur l’armée de l’Air et film de divertissement, puisque l’hommage aux scénarios de Charlier est omniprésent, que les acteurs évitent bien des poncifs sur les pilotes de chasse, que les images en vol sont belles et nombreuses, que les avions sont véritablement magnifiés, le 9 novembre, vous pouvez vous précipiter dans les salles obscures : personne ne s’est moqué de vous.
Frédéric Marsaly – (Photo : Armée de l’Air et JM Leroy/HK)
– Les Chevaliers du Ciel. Un film de Gérard Pirès.
– Avec Benoît Magimel, Clovis Cornillac, Géraldine Pailhas, Philippe Torreton, Alice Taglioni.
– Durée 110 minutes, Super 35mm, SR-SDR-DTS.
À noter, la parution du livre « Les Chevaliers du Ciel, de la fiction… à la réalité », Éditions Altipresse, qui explique les dessous du métier de pilote de chasse.