Le titre donne envie et le style (plutôt agréable) de la traduction, encourage à aller plus loin. Il s’agit d’un récit, dans lequel, assez vite, on reconnaît la manière du Britannique Antony Beevor, mentor de l’auteur Liouba Vinogradova. Et pourtant j’en ressors déçu ! Car assez vite, des questions apparaissent à la lecture de ce petit pavé de 488 pages.
Il est question de suivre, sans véritable analyse historique, les destinées de plusieurs aviatrices soviétiques (pilotes, navigatrices, mécaniciennes etc…) au long de la Seconde Guerre mondiale. Ce peut être fort intéressant, car elles sont autant de points d’entrée pour nous faire connaître les escadrilles féminines et mixtes des VVS*. Selon les sources disponibles, certaines de ces femmes reviennent plus souvent ; on finit par les reconnaître. D’autres sont déjà dans notre littérature occidentales comme Macha Dolina, Natalya (et non Natacha) Meklin ou Lydia Litviak. Mais la plupart nous sont inconnues. C’est pourquoi de courts résumés biographiques auraient été bienvenus en fin d’ouvrage. Car comme les aventures se croisent et se recroisent, il est de plus en plus difficile de savoir de qui il est question.
Dès le début, le lecteur est aussi dérangé par des longueurs que l’auteur aurait pu réduire ; tout n’étant pas essentiel à la bonne compréhension du sujet. Ainsi (p.116), nous avons droit à un passage sur la mode féminine des années 1930, puis plus loin (p.164-165) à une digression sur un mouvement local de résistance au prétexte que ces jeunes gens auraient « vu » passer en ville, six mois plus tôt, les aviatrices soviétiques. Une simple note aurait suffi. Plus loin, l’auteur retient pas moins de huit pages (p.168-174) pour parler de la poésie des années 1920 car l’une des pilotes en aurait eu un recueil en poche. Enfin, elle ajoute trois pages encore (p.279-281) pour rappeler la carrière du général Joukov depuis 1939 jusqu’à son rôle, en 1953, dans la succession de Staline. Je cherche encore le lien avec nos aviatrices ! S’ajoutent quelques erreurs de traduction comme « l’huile de castor » (un classique) qui est en réalité de l’huile de ricin. Mais ce n’est pas le plus gênant.
Car si la bibliographie est abondante, additionnée de quelques archives et de témoignages recueillis entre 2009 et 2012 qui sont autant de vrais bons points, l’auteur n’a pas su prendre le recul nécessaire. Toutes ces sources sont mises sur le même plan sans la moindre critique, y compris les pires passages de la littérature soviétique des années 1940-50 ! Par exemple, on y lit qu’une des héroïnes, après avoir vu Staline en rêve (si, si…) aurait soudain retrouvé le courage de poursuivre sa mission !
Le livre présente malgré tout des points intéressants. On y décrit longuement la vie des unités d’aviation, leur organisation et leur fonctionnement au début du conflit. On voit notamment le poids des commissaires politiques et des officiers du NKVD* versés en escadrilles (p.105), capables de parasiter les décisions des commandants jusqu’à créer des tensions au sein des unités. J’y ai également découvert les conflits opposant les correspondantes du Parti communiste aux représentantes du Komsomol, l’organisation de jeunesse d’où sont issues la plupart des jeunes aviatrices.
Mais il faut malheureusement attendre la moitié du livre (p.235) pour arriver enfin au sujet promis : les aviatrices au combat. Cela donne un second souffle tout à fait bénéfique. Mais contrairement à ce qu’annonce le titre, on n’y croise aucun as allemand. Tout est vu du seul côté soviétique, alors qu’il aurait été justement intéressant de connaître les unités opposées. Les sources ne manquent pas (au contraire) sur ces sujets !
Dans cette seconde partie, Litviak tient une place plus importante encore, ce s’explique par son statut « d’as des as » féminine, mais peut-être au détriment d’autres aviatrices qui auraient mérité d’être davantage mises en lumière. D’ailleurs, l’ouvrage s’arrête en août 1943, à sa mort ! Quid des combattantes soviétiques durant l’année et demie suivante ?
Bien que plutôt agréable à lire et fournissant de nombreux éléments de connaissances sur les unités féminines et mixtes de l’aviation soviétiques entre 1941 et 1943, l’ouvrage de Liouba Vinogradova, tel qu’il se présente, ne parait pas totalement achevé ! Et c’est bien dommage. Le sujet méritait mieux.
Thierry Le Roy
* VVS : Force aérienne soviétique
* NKVD : Police politique soviétique
492 pages, 14 x 20,5 cm, broché
0,550 kg
Traduit du russe par Polina Petrouchina, Larissa et Darya Clarinard